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Jours tranquilles à Paris
7 décembre 2015

Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine, ces jumeaux

poutine et le tuirc

Il y a un an, le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, étaient les meilleurs alliés du monde. D’une poignée de main cordiale, les deux hommes venaient de sceller, le 7 décembre 2014 à Ankara, leur nouvelle association dans l’énergie : un gazoduc prévu sous la mer Noire, puis jusqu’à la frontière turco-grecque. Le projet du South Stream, censé traverser l’Europe orientale pour contourner et punir l’Ukraine, était mort-né. L’ère était au « Turkish Stream », symbole de la nouvelle alliance russo-turque.

Armé de Gazprom, son sabre pour la politique étrangère, M. Poutine venait de montrer aux Européens que, dans un contexte de tension avec le reste du monde, la Russie pouvait se choisir d’autres partenaires. L’Union européenne n’avait qu’à bien se tenir.

Aujourd’hui, les deux alliés sont à couteaux tirés. De gazoduc, il n’est plus question depuis que l’aviation turque a abattu, le 24 novembre, un chasseur-bombardier russe près de la frontière syrienne. Deux hommes sont morts des suites de l’accrochage, l’un des pilotes du Su-24 ainsi qu’un militaire russe parti à sa recherche.

Depuis, l’algarade russo-turque se lit comme un feuilleton. Les dirigeants turcs « vont le regretter », a tonné le maître du Kremlin, jeudi 3 décembre. « Il semble qu’Allah ait décidé de punir la clique au pouvoir en Turquie, en la privant de la raison et du bon sens », a-t-il expliqué, accusant, une fois de plus, le président turc et sa famille de complicité avec l’organisation Etat islamique (EI). Calomnie, rétorquait M. Erdogan le même jour, assurant détenir « les preuves » de l’implication des Russes dans le trafic de pétrole avec l’EI.

En résonance avec leur peuple

L’une des pièces à charge contre le dirigeant turc a été publiée par la presse russe. Il s’agit d’une photo de Bilal Erdogan, fils cadet du numéro un, qui prend la pose en compagnie de deux barbus. Coiffés de petits chapeaux musulmans et vêtus de kamis, ils sont présentés comme des suppôts du califat de l’EI. En fait, les deux djihadistes présumés sont les propriétaires d’un restaurant de kebabs à Aksaray, un quartier populeux d’Istanbul. Certes, Bilal Erdogan est, à 35 ans, un richissime armateur qui doit beaucoup à l’entregent de son père, mais son implication dans la contrebande de pétrole reste à prouver.

Une chose est sûre, son succès ressemble en tout point à celui de Katia Poutine (Tikhonova), milliardaire en dollars à l’âge de 29 ans. Sa fortune n’a pas été amassée à la sueur des compétitions de danse acrobatique qu’elle affectionne, mais grâce aux liens de proximité qu’elle entretient avec les oligarques amis de son père.

Le combat de coqs entre M. Poutine et M. Erdogan met aux prises deux adversaires en tout point semblables, deux autocrates populistes bercés par l’illusion d’un retour à la puissance perdue. Tous deux se sentent investis d’une mission restauratrice. L’un se lève le matin avec l’idée de ressusciter l’empire tsariste ou soviétique, l’autre se couche le soir en rêvant à la grandeur ottomane passée. Tous deux ont su, à un moment donné, entrer en résonance avec leur peuple. Le 26 mars 2000, les Russes, qui avaient voté pour l’accession de M. Poutine au Kremlin, n’avaient eu aucun mal à s’identifier à « Vova », le chenapan d’une « kommounalka » (appartement communautaire) du vieux Saint-Pétersbourg, qui, à 13 ans déjà, rêvait d’entrer au KGB (police politique et services secrets soviétiques) pour défendre le pays contre les ennemis. Le 14 mars 2003, bien des Turcs s’étaient laissé séduire par « Tayyip », l’ancien petit vendeur de thé de Kasimpasa, à Istanbul, devenu le premier ministre le plus charismatique du pays.

Des atours impériaux

Parfaits autocrates, ils musellent les médias indépendants, ne supportent pas la moindre critique envers leur personne, sapent les libertés fondamentales, font main basse sur les actifs de leurs opposants. Populistes roués, ils instrumentalisent la religion à des fins politiques, jouent sur les peurs ancestrales, excellent à la fabrication d’un « ennemi » imaginaire. Ni l’un ni l’autre n’envisagent de passer le flambeau. Après treize années passées au pouvoir, trois mandats en tant que premier ministre, un mandat présidentiel gagné en août 2014 avec 52 % des voix, M. Erdogan se voit en « hyperprésident », sans contre-pouvoir. Fort de sa majorité parlementaire retrouvée lors des législatives du 1er novembre, il n’a qu’une obsession, modifier la Constitution pour se tailler un costume présidentiel à la mesure de ses ambitions.

Installé au Kremlin depuis quinze ans, M. Poutine est étranger à la notion d’alternance. Depuis Lénine, seuls deux dirigeants soviétiques ont quitté le pouvoir de leur vivant : Khrouchtchev, limogé en 1964, et Mikhaïl Gorbatchev, contraint à la démission en 1991, parce que l’URSS venait de disparaître. Boris Eltsine, l’homme de la transition démocratique, a consenti, en 1999, à passer la main à M. Poutine, son successeur choisi sur « casting ». Un pacte a été scellé, à Poutine la couronne, à Eltsine l’immunité.

Parés de leurs atours impériaux – la toge de « Vladimir Monomaque » pour M. Poutine, l’armure de « Mehmet le Conquérant » pour M. Erdogan –, les deux présidents s’affrontent désormais sur le terrain syrien. En désaccord sur le futur de Bachar Al-Assad, Moscou et Ankara se disputent le contrôle de la région située au nord d’Alep, entre Marea et Jarabulus, dont les Turcs auraient tant voulu faire une « zone tampon », un sanctuaire pour les rebelles syriens qu’ils soutiennent. L’installation récente, juste après la destruction du bombardier russe, de missiles antiaériens S-400 russes dans le réduit alaouite vient de porter un sérieux coup d’arrêt au projet turc. Entre le tsar et le sultan, le duel ne fait que commencer. Article de Marie Jégo (Istanbul, correspondante). Journaliste au Monde

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