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Jours tranquilles à Paris
18 avril 2016

Comment reconnaître un Parisien en vacances ?

Déjà planter le décor : le Parisien qui englobe aussi la Parisienne, ne part jamais en vacances. Il fait un break, se met au vert, s'évade dix-jours-pas-plus-parce-qu'il-est-tout-seul-à-l'agence, et souhaite profiter de cette parenthèse pour réfléchir à un projet qui lui tient à cœur. Traduire : il vient d'être viré et digère le coup comme un boa une antilope.

De surcroît, les vacances en été, bien peu pour lui s'il est célibataire, sans enfants et s'il s'est disputé avec toute sa famille en mai dernier lors du déjeuner de communion de la petite Annonciade, ce qui lui a fermé toutes les portes du Sud, de Toulouse à Menton. Reste le gros week-end du 14 juillet où il est indispensable qu'il parte sinon il va péter un câble, fondre les plombs ou faire un blitz-burnout. Le Parisien en vacances ou « PeV » se repère donc à la livraison des bagages des aéroports en se trompant de tapis ou en râlant parce que son-sac-qu'on-l'a-obligé-en-soute-de-mettre n'est pas sorti en premier. L'autre topographie de répérage s'effectue à la station des taxis en sortie des gares TGV - plus personne ne se hasarde à venir chercher un « PeV » à la gare Saint-Charles de Marseille ou en celle d'Avignon qui n'est pas en Avignon. Là, dans la file, le « PeV » est celui qui tire la tronche ou qui est le plus fermé, le plus gris, le plus revêche de tous. Certains tentent le sourire béat, forcé genre vacances-j'oublie-tout ou ravi du village au choix, mais ça se renifle à cent mètres, plus visible que l'auréole électrique fluo d'une statue de la vierge à Lourdes.

Maintenant qu'il est débarqué, le « PeV », qui a évidemment choisi le Sud, se croit obligé de prendre l'accent assorti, sorte de marqueur de débilité oscillant entre la tirade pagnolesque de la Pomponnette et l'hommage posthume à Charles Pasqua. S'il est accompagné, le Parisien se fera rabrouer par sa moitié, déjà liquéfiée à l'idée de finir au large du Frioul les pieds dans le ciment. S'il est seul, c'est la roue libre, le suicide social. 

Évidemment, le « PeV » a réservé via Airbihancoque - Le Bon Coin c'est pour les ringards de province, et à peine les pieds dans la place, réclame déjà un bargain, un discount, une ristourne, parce qu'il a repéré qu'il n'y avait pas assez de prises pour ses chargeurs. Il est d'ailleurs déjà sur Trip Advisor pour flinguer l'adresse. Celui qui a choisi l'hôtel, si possible un 4* avec piscine, négocie pied-à-pied la gratuité du wifi, inclus dans le prix, mais c'est pour le principe.

Une fois installé, le « PeV » se change pour sortir faire trois courses ou humer l'air des lieux : t-shirt informe, froissé, bardé d'une inscription absconse, short cargo de couleur diarrhée, tongs trop petites. Rien de nouveau depuis 2011 : on ne change pas une formule qui gagne. Variante bourgeoise : la chemise de ville bleue portée par dessus le cargo beige et les mocassins sans chaussettes, voire les docksides. Point commun : le mollet blanc bidet, les lunettes noires et le panama. La Parisienne, déjà mieux préparée, tend à marcher quelques pas en avant ou en arrière, histoire qu'on ne croie pas qu'elle soit avec ce tocard.

Comme il est vacances, le « PeV » se croit obligé, comme un souverain en visite, de goûter aux choses du cru en faisant comme si c'était son régime de tous les jours. En tête : l'apéro. Grand moment de solitude allochtone que le « PeV » vit pourtant comme un adoubement en commandant au pif, une mauresque en reprenant l'accent de Fernandel. Il a aussi acheté le journal local pour s'imprégner et, pourquoi pas, commenter l'actualité ou le carnet noir (très important) avec un voisin de terrasse. Ces « PeV »-là on les voit arriver gros comme la maison d'Inès de la Fressange, plus clignotants qu'un gyrophare d'ambulance du SAMU.

Le « PeV » adore acheter tout ce qui est local - tu savais qu'ici la baguette c'est une ficelle ou vice versa, tandis que la Parisienne s'exaspère que la petite épicerie du village n'ait pas de quinoa ni aucun produit gluten-free. Ben si, y'a la Maizena et la farine de châtaigne. À peine arrivé, le « PeV » s'enquiert des dates et lieux des marchés aux puces, déballages, vide-greniers et autres brocantes. C'est dans la chine que le « PeV » s'épanouit, enchanté de devoir marchander des prix déments pour arracher un truc en bois d'olivier pourri ou une crèche marine de Vallauris kitschissime à un marchand descendu de Paris pour arnaquer les Parisiens en Vacances.

Le « PeV » adore comparer et confronter ses idées parigocentrées, donc universelles, avec celles des autochtones, histoire de bien montrer que franchement, la région n'a rien à envier à la capitale et que, personnellement s'il le pouvait, il viendrait s'installer ici. Tiens, c'est bien vous les plus heureux allez ! Monseigneur est trop bon... Par ces discours, le « PeV » tend aussi à montrer qu'il connaît du monde qui a le bras long. Il oublie juste qu'en région, tout le monde n'est pas retraité ou rentier, qu'il y encore plus de monde qui connaît du monde qui a le bras long. Le piston, coco, le piston. Le « PeV » passera dès lors pour un fumiste ou un couillon.

Le « PeV » est le plus souvent un provincial déraciné revenu se ressourcer. Comprendre que les temps étant ce qu'ils sont, l'attrait économique de la maison de famille pour laquelle il n'a jamais payé une tuile, même à la campagne, même mochetasse, devient un snobisme assumé, revendiqué. Là aussi, le Parisien en vacances se croit obligé de reprendre l'accent du cru, quand il y en a un. Il ne comprend pas pourquoi la salle de bains n'a pas été refaite mais adore ces sanitaires roses posés par la tante Marfise en 1953. Il peste car il n'y a pas de wifi et part frimer avec ses instruments au seul café du coin en espérant que... Là aussi, journal local et conversations du même acabit, augmentée d'une dimension foncière quasi notariale. « Et Machin il a toujours pas vendu ? » « Et Truc, toujours en indivi ? » « Ah bon, y a des termites chez Chose ? » « Sinon, il n'y aurait pas quelque chose à vendre dans les parages, de facile à vivre, avec du charme et un jardin ? » Si : la chapelle au cimetière.

Le « PeV » à la mer est sans cesse à la recherche de la petite crique isolée accessible par un sentier caprin après trois heures de crapahute dans la garrigue ou le maquis. Une fois atteinte, il découvre que la dite-crique est bondée par tous ceux qui y ont débarqué par bateau. C'est ce qui distingue le « PeV » des autres : il n'a pas de bateau. Sinon, la plage, berk, quelle horreur. Trop de monde, de sable, de soleil. Le « PeV » vit dans l'horreur de bronzer. A peine tolère-t-il un léger hâle qui traduira, une fois rentré à Paris, que : 1) il n'est pas parti si longtemps, 2) le bronzage ça fait kakou, 3) avec tout ce qu'il y avait à faire à la maison, j'ai tout juste eu le temps de me baigner deux fois, mais tu sais, moi, même sous un arbre, je bronze... Le tout-ce-qu'il-y-avait-à-faire se résume généralement à changer deux ampoules et le balai-chiottes.

Le « PeV » profite généralement des « VdA » pour se déplacer. Les Voitures des Autres, si commodes et si blablapaschères n'est-ce-pas . Habitué à tout partager, hum, à se servir, le « PeV » en région-chez-lui-où-qu'il-est-né, adore rouler dans de vieilles carlingues qu'il appelle youngtimers, et qui furent neuves en 1979. Assurées au lance-pierres, entretenues au Carambar, elles roulent sur trois roues en polluant un max, mais c'est le cool de l'histoire. Et ça enfonce le clou de son appartenance au terroir, sans se rendre compte que le « PeV » est alors la risée de tout le pays.

Le seul qui l'aime est ici le garagiste qui lui répare son épave avec des épingles à cheveux et des grilles de friteuse SEB.

Le « PeV » est en réalité un touriste qui s'ignore. Ne lui dites pas, cela pourrait le briser. Lui  qui est déjà si fragilisé par cette caniculette de saison, véritable warm-up quant à sa garde-robe estivale. La tong, pas morte. Grrrr

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