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Jours tranquilles à Paris
28 juin 2016

Juppé : « Organiser un référendum sur l’Europe, aujourd’hui en France, serait irresponsable »

Après le « choc » du « Brexit » – la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) –, Alain Juppé met en garde sur le « risque de retour des conflits » sur le continent. « L’Europe est mortelle », rappelle le candidat à la primaire à droite, affichant sa volonté de mener campagne pour défendre « l’idéal européen » face aux « extrêmes ». Il expose les cinq piliers de son projet de refondation pour « sauver la construction européenne, en la transformant profondément ».

Comment avez-vous réagi à l’annonce du « Brexit » ?

Alain Juppé : C’est un choc. Plus rien ne sera désormais comme avant. D’abord pour le Royaume-Uni lui-même, qui doit assumer les conséquences, très lourdes, de son choix. A la fois du point de vue de son unité politique, compte tenu de la position de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord, et également pour son poids économique, au vu de la division entre Londres et le reste de l’Angleterre et de l’importance de la City. Ce sont des défis considérables. Mais c’est désormais son affaire, c’est un vote souverain, il faut le respecter.

Le retrait britannique doit être mis en œuvre, et sans tarder. Rien ne sera comme avant non plus pour l’UE : ce serait une erreur stratégique de continuer à vingt-sept comme on le faisait à vingt-huit, ce serait se voiler la face sur la réalité de la situation en Europe. Ecoutons, enfin, le message.

Quel est le message du vote britannique que doivent retenir les autres pays ?

L’UE telle qu’elle s’est construite suscite un sentiment d’incompréhension, de désamour, voire, on l’a vu, de rejet. L’évolution des Pays-Bas, l’un des six pays fondateurs, est frappante : l’extrême droite y conteste la construction européenne, et elle progresse.

En France, si on additionne les extrêmes, on pourrait avoir une majorité antieuropéenne. Le fossé entre pro et anti-européens est en passe de se substituer au clivage droite-gauche. Cette situation nous oblige à réinventer l’Europe et à écrire une nouvelle page de son histoire. Les institutions ne doivent pas tuer l’idéal européen. Je me battrai pour cet idéal.

Peut-il y avoir un effet domino dans les autres pays avec, à terme, l’effondrement de l’UE ?

Prenons conscience que l’UE est mortelle. Dans son état actuel, elle est menacée de dislocation. Le sentiment de rejet se fonde sur des raisons qu’il faut regarder en face. Tout d’abord une incompréhension face au fonctionnement de la machine bruxelloise, une bureaucratie très éloignée des réalités du terrain. Ensuite, un double sentiment d’impuissance : impuissance à relancer la machine économique et à faire reculer le chômage, et impuissance à contrôler les frontières et à mettre en place une politique des flux migratoires cohérente. Les citoyens européens n’ont pas le sentiment d’une Europe qui protège. Ils voient une Europe tatillonne sur les détails, et faible sur les grands sujets. Pour éviter cet effet domino dont vous parlez, revenons à des principes simples.

Faut-il accélérer la rupture avec le Royaume-Uni ?

Il faut que le retrait soit rapide et il n’est pas question de renégocier je ne sais quel arrangement complémentaire. Les Britanniques ne peuvent pas continuer avec à la fois un pied dehors et un pied dedans. Nous devons réinventer nos relations avec ce partenaire important, notamment sur le plan militaire, mais pas à notre détriment. Un délai est fixé par les traités, il faut déclencher la procédure et la mettre en œuvre le plus vite possible. Par exemple, je n’imagine pas comment un premier ministre britannique pourrait présider l’UE au deuxième semestre 2017, comme c’est prévu aujourd’hui par le calendrier.

Qu’auriez-vous fait à la place de François Hollande dans les jours qui ont suivi le « Brexit » ?

Il incombe à la France, parce qu’elle a un rôle particulier à jouer, de proposer une alternative, une nouvelle organisation de l’Europe, un nouveau chapitre de l’histoire européenne. Mais elle n’a pas aujourd’hui le poids politique pour le faire. La France est totalement aphone à Bruxelles, elle a perdu tout crédit, vis-à-vis de l’Allemagne et de ses partenaires. Je suis extrêmement sceptique sur sa capacité à assumer sa responsabilité historique.

Le président de la République a sa part de responsabilité ?

Oui. La méfiance inspirée par son incapacité à mettre en œuvre les réformes structurelles a affaibli durablement la France. Et au début du quinquennat, il a cru pouvoir se détourner de l’Allemagne, c’était une erreur.

La France de François Hollande n’est une référence pour personne. Au Pllearlement européen, nous ne pesons plus, et dans les instances communautaires et les services de la Commission de Bruxelles, nous n’avons plus les postes clés que nous occupions par le passé.

L’exemple le plus caricatural de cet affaiblissement a été la négociation directe entre Angela Merkel [la chancelière allemande] et Recep Tayyip Erdogan [le président turc], qui s’est soldée par l’acceptation sous certaines conditions de la suppression des visas entre la Turquie et l’Europe et la reprise de la négociation sur de nouveaux chapitres pour l’adhésion de ce pays à l’UE. Où était la France dans ce moment décisif ?

Faut-il revenir sur cette suppression des visas et sur les négociations avec Ankara ?

Il faut dire stop à l’élargissement ! Faute de fondations solides, la maison européenne est délabrée. Rajouter un étage par-dessus, c’est précipiter l’effondrement. Il faut faire comprendre à la Turquie que nous n’avons plus l’intention de poursuivre les négociations d’adhésion. Le flou sur le sujet a assez duré et suscite une incompréhension majeure qui s’ajoute à toutes les autres.

Il faut vraiment convaincre les Européens que nous avons une politique de l’immigration, qui consiste à harmoniser les procédures du droit d’asile, à développer avec les pays d’origine une politique de réadmission et de codéveloppement, mais surtout à contrôler nos frontières. Nous avons décidé – in extremis – la création d’un corps de gardes-frontières, il n’est toujours pas opérationnel…

La relance de l’Europe passe-t-elle par un nouveau traité ?

Un traité n’est qu’un outil, qui vient concrétiser un projet. C’est un point d’aboutissement et non un point de départ. Avant tout, il s’agit de définir ce qui fait notre bien commun, un idéal qui parle au cœur des peuples européens, pour vivifier le désir d’Europe.

Avant de mettre en œuvre un nouveau traité, il faut d’abord que la France mette sur la table des propositions concrètes pour rebâtir l’Europe, puis qu’un accord soit noué avec nos partenaires, ceux qui le souhaitent, sur les objectifs que l’on poursuit. J’en ai cinq en tête qui me paraissent prioritaires.

Lesquels ?

Il faut d’abord dire stop à l’élargissement, je vous l’ai dit. Il faut ensuite redéfinir les périmètres des compétences car les institutions européennes ne peuvent pas continuer à produire autant de normes et de lois. Le principe de subsidiarité doit – enfin ! – s’appliquer en redéfinissant le périmètre entre l’UE, qui doit s’occuper de l’essentiel, et les Etats, qui doivent reprendre la main. Troisième idée : il faut relancer la zone euro avec davantage de convergence fiscale et sociale mais aussi grâce à un grand plan d’investissements d’avenir, ciblé sur l’innovation et la transition numérique. Il faudra aussi renégocier un accord sur les frontières – car Schengen ne fonctionne plus – en posant à nos partenaires une question de confiance : qui veut vraiment contrôler les frontières et est prêt à contribuer à un corps de gardes-frontières européen ?

Et, enfin, la question de fond reste de savoir si l’Europe a vocation à être un acteur défendant ses intérêts sur la scène mondiale et capable de contribuer à la sécurité de ses citoyens. La défense française restera nationale et une armée européenne n’est pas pour demain, mais nous pouvons mutualiser nos moyens et coopérer avec cinq ou six pays européens dans le secteur de la défense, notamment dans les secteurs industriels et technologiques.

La refondation de l’Europe passe-t-elle inévitablement par le couple franco-allemand ?

Ce couple ne peut fonctionner que s’il est équilibré : je veux créer les conditions d’une France dynamique économiquement et influente diplomatiquement ! La France doit poser la question de confiance à l’Allemagne : est-elle porteuse d’un tel projet refondateur avec nous ? Si c’est le cas, à partir de cette nouvelle alliance franco-allemande, il faudra rassembler les pays qui veulent y adhérer et nouer un nouvel accord pour une nouvelle Europe. Une certitude : l’Europe de demain sera évidemment à plusieurs vitesses, davantage encore qu’aujourd’hui. Le départ du Royaume-Uni doit permettre à ceux qui veulent aller plus loin de le faire. Faisons-en une chance. C’est le projet que je propose.

Approuvez-vous l’idée d’un référendum sur un projet européen proposé par le candidat à la primaire à droite Bruno Le Maire ?

Organiser un référendum aujourd’hui en France serait totalement irresponsable. En revanche, les peuples européens ont le sentiment que la construction européenne s’est faite sans eux. Ce sentiment fait partie du rejet actuel. Il faudra un référendum, non pas seulement en France, mais dans tous les pays concernés, à un certain stade de la reconstruction de l’Europe.

Quand ?

Si la France et l’Allemagne se mettent d’accord sur un accord de reconstruction de l’UE, et que des partenaires y sont associés, on pourra alors proposer aux peuples de l’approuver. Je ne suis pas contre un référendum – ce serait paradoxal pour un gaulliste – mais je pense qu’une telle consultation populaire se prépare.

Il y a des moments historiques où les hommes d’Etat ne sont pas faits pour suivre l’opinion. Ils sont là pour la guider : voilà ce que nous pensons et ce que nous proposons à nos peuples et, à ce moment-là, il est possible d’organiser un référendum. Pas avant.

Comment renforcer la zone euro et sa gouvernance ?

Il faut accentuer la convergence entre les économies de la zone euro, qui restent trop divergentes. Dans le domaine budgétaire et monétaire, l’Europe est déjà bien dotée. La Banque centrale européenne existe et a une politique. Sur le plan budgétaire, des règles existent.

En revanche, il y a un gros travail à faire sur l’harmonisation fiscale. L’impôt sur les sociétés en France est largement supérieur à la moyenne européenne. Mettre en cohérence nos régimes sociaux me paraît également primordial car on ne peut pas continuer avec la directive actuelle sur les travailleurs détachés. Il n’est pas acceptable de payer en France un salarié venu d’un pays européen au smic français, avec les charges sociales de la Pologne ou de la Roumanie !

En Angleterre, ce sont surtout les milieux défavorisés et les ruraux qui semblent avoir voté pour une sortie… Constatez-vous cette fracture sociale et territoriale en France ?

Oui, on constate aussi en France un fossé entre les métropoles dynamiques et une ruralité qui se sent méprisée et abandonnée. Il est donc indispensable de reprendre une politique d’équilibre entre les territoires. Partout en France, on demande par exemple que soit achevé le réseau de connexion à très haut débit. Politiquement, cela se sent aussi. En Gironde, le Médoc, qui n’est pas la partie la plus urbanisée, a voté très largement Front national aux dernières élections alors que l’immigration y est quasi inexistante. Il y a donc bien d’autres ressorts, qu’il faut comprendre, analyser, et auxquels il faut répondre.

Le FN a-t-il raison de crier victoire, en affirmant que ce qui est possible au Royaume-Uni l’est aussi en France ?

Ils sont dans leur logique. Ce parti anti-européen saute évidemment sur l’occasion pour rêver d’une « contagion ». Mais ce parti fait totalement fausse route car il n’y a pas d’avenir pour la France en dehors de l’Europe. Le réveil a été dur pour les Britanniques, et les conséquences seront négatives et durables. Retenons cette leçon.


La question européenne sera-t-elle un des marqueurs-clés de la campagne présidentielle ?

Bien sûr. J’ai l’intention de répéter pendant ma campagne l’importance de la construction européenne et de l’idéal européen auxquels notre jeunesse est attachée. Il faut se situer d’un point de vue historique. Les analogies avec les années 1930 n’ont échappé à personne, avec une crise économique durable, des fractures sociales importantes, une violence verbale très forte, la stigmatisation de l’autre, des attaques contre Merkel haineuses…

Les extrémismes et les nationalismes progressent, dans un contexte international très instable. Il y a un risque de retour des conflits. Lorsqu’on rappelle que l’Europe, c’est la paix, certains se moquent en disant que c’est une vieille rengaine. Le risque sur la paix est pourtant totalement d’actualité. Oui, je veux sauver cette construction européenne, en la transformant profondément, parce que demain, comme depuis soixante ans, l’Europe, c’est la paix.

Nicolas Chapuis - Journaliste au service Politique

Alexandre Lemarié - Journaliste en charge du suivi de la droite et du centre

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