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Jours tranquilles à Paris
19 novembre 2016

Malgré l’ouverture d’un centre à Paris, les « migrants se cachent  »

Alors qu’il reste de nombreuses places, le camp refuse des arrivants

Une semaine après son ouverture et alors que beaucoup craignaient une saturation immédiate, le centre humanitaire parisien de premier accueil pour les migrants situé boulevard Ney (18e arrondissement) est loin d’afficher complet : 220 lits occupés sur 400 disponibles et 80 personnes orientées ailleurs – familles, femmes, mineurs isolés… –, selon les derniers chiffres communiqués par Emmaüs Solidarité, l’association qui gère les lieux, mercredi 16 novembre.

Ce lendemain matin, pourtant, une centaine d’entre eux fait la queue, avant même l’ouverture du centre à 8 heures. Certains sont là depuis 5 heures. A l’entrée, un jeune homme de l’association Utopia56 leur sert du café et commente : « Cet endroit est totalement sous-dimensionné. Il en faudrait deux ou trois pour que cela marche vraiment. »

Sous-dimensionné mais à moitié vide ? Il faut regarder la file d’attente pour mieux comprendre. En fait, il y en a deux : à gauche pour ceux qui se présentent aux portes du centre pour la première fois ; à droite pour ceux qui ont un tampon sur le poignet ou la manche de leur sweat-shirt, un système mis en place la veille pour prouver qu’ils sont déjà venus mais n’ont pas pu entrer. Ceux-là seront reçus en premier.

Devenir invisibles

Un bénévole confirme : « Certains essaient depuis au moins quatre ou cinq jours. » L’objectif affiché par la Mairie de Paris, qui cofinance le centre avec l’Etat, était pourtant clair : elle veut empêcher la reconstitution de campements de migrants dans les rues de la capitale et absorber le flux des 50 à 70 exilés qui arrivent chaque jour à Paris. « A partir du moment où un centre existe, il n’y a pas de raison qu’il y ait des migrants dans les rues », répète la Mairie. Avec la préfecture, elle y veille. Mais alors, où sont les migrants ?

Dans le quartier de La Chapelle, où ils avaient trouvé refuge, on ne croise que quelques hipsters qui sortent des bistrots. Mais Faty, 39 ans, est en colère. Cette habitante de Saint-Denis, membre des Brigades du cœur, un groupe de bénévoles, ne parle pas, elle « gueule » : « Après l’évacuation [3 800 migrants le 4 novembre] de Stalingrad et l’ouverture de ce centre, on a cru que leur situation allait s’arranger, qu’ils quitteraient la rue. Mais pas du tout, c’est pire. Maintenant, comme ils sont traqués par la police, ils se cachent. Il faut arriver à les trouver pour pouvoir les aider. » Car les migrants sont bien là, mais ils apprennent à devenir invisibles.

Il est 23 heures, rue Riquet, lorsque Yona et cinq copains arrivent au coin de la rue Pajol. Ils ont la vingtaine et portent sur leurs épaules duvets et couvertures élimés. Ils viennent d’Erythrée et sont à Paris depuis quatre jours seulement, après un périple de quatre mois au cours duquel ils ont traversé le Soudan, la Libye et l’Italie.

S’ils marchent si lentement, c’est qu’ils ont peu dormi depuis leur arrivée et surtout qu’ils ne savent pas où aller. « Go ! Go ! nous crient les policiers dès qu’on s’installe quelque part », raconte Yona, avec ses quelques mots d’anglais.

Ce soir-là, ils tentent de se (re) poser sur l’esplanade Nathalie-Sarraute. Mais quelques secondes plus tard, un homme en pantalon noir et polo blanc leur ordonne de décamper : « Non ! Ne restez pas là ! Partez ! » L’homme n’est pas un policier, son polo porte le logo « SPG », une société de sécurité privée qui confie que la Mairie de Paris l’a chargée de veiller à ce qu’aucun migrant ne déplie sa couette. Le petit groupe remballe donc ses maigres effets et se pose discrètement de l’autre côté de la place. Cette fois, l’agent de sécurité vient les déloger avec un berger allemand.

« Système illisible »

Ils repartent sans but et tombent vite sur une quinzaine de compatriotes et quelques Soudanais, allongés sur le bitume, planqués derrière des panneaux de travaux de voirie.

La plupart sont à Paris depuis deux semaines, quelques-uns depuis la veille. Tous racontent la même histoire : les lampes torche en plein visage et les cris « No sleep, get up, go ! ». Sans jamais se voir proposer une alternative d’hébergement. Comme Yona, ils ont bien essayé d’entrer dans le centre humanitaire. Parfois à plusieurs reprises. Mais en vain. « “Demain, demain”, ils nous disent, raconte Kiros, 23 ans. Mais le lendemain, c’est pareil. Je ne sais pas pourquoi. »

Le système est tellement illisible que personne ne comprend pourquoi certains entrent et d’autres pas. La Mairie de Paris avait pourtant insisté sur « l’accueil inconditionnel ». Aujourd’hui, elle juge « impossible » que certains attendent plus de vingt-quatre heures avant d’entrer, « à condition d’arriver le matin », précise-t-elle. Même refrain chez Emmaüs Solidarité, qui affirme que personne n’est refoulé à l’entrée, à moins de se présenter après 18 heures. Ce serait les entretiens individuels, de vingt minutes en moyenne, qui gripperaient la machine, selon l’association.

Héloïse Mary, présidente du bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants, n’en croit pas un mot : « Ce centre n’est pas rempli parce qu’il s’agit en réalité d’un centre de tri : il exclut et envoie ailleurs les déboutés de première instance, les femmes, les mineurs et les “dublinés” [les demandeurs d’asile qui ont laissé leurs empreintes dans un autre pays d’Europe et qui, au nom du règlement de Dublin, devraient y demander asile] ». Selon ses estimations, le centre du boulevard Ney ne concernerait qu’autour de 10 % des migrants de Paris. Article de Louise Couvelaire

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