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Jours tranquilles à Paris
21 janvier 2017

Journal Libération - Donald Trump

Le nouveau chef de l’Etat a été investi vendredi. Son allocution a sanctuarisé un pays profondément divisé entre ses partisans et ses opposants venus dans la capitale.

Donald Trump, un président et deux Amérique à Washington

Washington a vécu ce vendredi l’intronisation du 45e président des Etats-Unis (Potus). «Tout commence aujourd’hui !» avait lancé le magnat de l’immobilier dès le lever du jour sur Twitter. Sur fond de protestation et de sécurité XXL, quelques centaines de milliers de personnes ont rallié la capitale pour suivre l’immuable protocole : église, thé à la Maison Blanche, prestation de serment, speech inaugural de Donald Trump. Retour sur le D-Day du président le plus imprévisible jamais parvenu à la tête de la première puissance mondiale.

«Etre ingouvernable»

Ils sont une centaine, réunis devant le quartier général de la police de Washington. Il est 7 h 30. Point de départ d’une journée «de manifestations et d’interruptions», dit Janaya Khan, venue de Californie. «Aujourd’hui, ce qui compte, c’est de marquer notre dissidence. Ils ne pourront pas dire que Trump est arrivé au pouvoir et que tout le monde était OK avec ça. Ils ne pourront pas dire qu’aujourd’hui était un jour de célébration», lance-t-elle, debout devant une grande banderole «Black Lives Matter». Et la militante afro-américaine de dénoncer un système électoral «obsolète», et de rappeler que Trump a perdu le vote populaire par 2,8 millions de voix. «Aujourd’hui peut être le premier jour où nous décidons d’être ingouvernables. Cela veut dire résister par tous les moyens», ajoute-t-elle. Dans la petite foule, A’idah Defilippo porte une pancarte «Femme musulmane, impénitente». A 18 ans, celle qui a grandi à New York et étudie désormais l’arabe à Washington dit n’avoir pas dormi de la nuit. Elle estime Trump légitime, ce qui ne l’empêchera pas de «résister». «Certains aspects de mon identité ne font pas partie de ceux que Trump est prêt à protéger», dit-elle, en référence à sa religion.

«Une belle journée»

Peu avant 8 heures, le long de D Street, le flot de partisans de Trump est ininterrompu. Sur leur chemin, ils croisent des grappes de manifestants, dont certains en tenue orange de prisonniers qui réclament la fermeture de Guantánamo. Un groupe compact a pris position sur la rue pour tenter de bloquer l’accès à la Blue Gate. Les pro-Trump se frayent un chemin au compte-gouttes. Quelques insultes fusent, mais nul débordement. Soudain, la police du Capitole charge. La foule recule en criant «shame, shame, shame» («honte»). «C’est une manifestation pacifique, il n’y a même pas eu de sommation», se plaint une jeune militante. Ben, bonnet «Trump président» sur la tête, observe le manège avec dédain. «Personne n’a fait ça lors de l’investiture d’Obama en 2009, et pourtant Dieu sait qu’on le détestait, dit ce père de famille, venu du Maryland avec son fils de 16 ans. Trump est élu, il faut qu’ils arrêtent leurs foutaises.» Ce qu’il attend du nouveau président ? «Mon top 3 : abroger tous les décrets exécutifs d’Obama, commencer la construction du mur avec le Mexique et expulser les criminels illégaux.» Il se dit «confiant» que Trump, grâce à «ses talents de communicant», parviendra à «unifier» le pays. «C’est une belle journée, conclut-il sous quelques gouttes de pluie. A partir d’aujourd’hui et pour les huit prochaines années, nous reprenons notre pays.» Sur sa veste, près du cœur, il a accroché un badge «Réélisez Trump en 2020».

The Future is feminist

Tout autour du Mall, où Trump va prêter serment, différents groupes d’opposants, coordonnés au sein de Disrupt J20 («Perturbons le 20 janvier») tentent d’empêcher les gens d’entrer. Ou, du moins, de leur faire passer un message. Ici des antifas, là Black Lives Matter, Climate Justice un peu plus loin… Au croisement de la 10e rue et E Street, c’est «The Future is feminist» qui mène la charge. Ils accueillent les participants à la cérémonie d’investiture aux cris de «No Trump ! No KKK ! No fascist USA !» («Ni Trump, Ni Ku Klux Klan, ni une Amérique fasciste»). Quelques «Go home !» («Rentrez chez vous !») fusent en réponse. On se bouscule, la situation s’envenime - les policiers américains ont la gâchette du pepper spray (poivre) facile. «Je crois qu’un misogyne, xénophobe, raciste, islamophobe n’a pas sa place à la Maison Blanche, et n’est pas capable de diriger le pays, lâche Sandura. Il a insulté les femmes, promu le harcèlement sexuel.» «Donald Trump, go away, racist, sexist, anti-gay», reprend une manifestante au mégaphone.

A côté d’elle, Joseph, 28 ans, porte une pancarte représentant Trump en marionnette de Vladimir Poutine. Lui veut «protester contre l’élection d’un raciste, qui n’a que ses propres intérêts en tête et pas ceux du peuple américain». Il regarde, atterré, la file de supporteurs en bandanas, tee-shirts à l’effigie de Trump ou casquettes «Make America Great Again», qui s’allonge devant le check-point. «Trump leur a dit exactement ce qu’ils voulaient entendre…»

Sous les «shame !» des manifestants, le bruit des sirènes de police et des hélicoptères, les pro-Trump parviennent à passer les intenses contrôles de sécurité - ouverture des sacs, palpations, portiques… L’attente est longue. «Vous êtes pour ou contre ?» demande, un peu provocateur, un quinquagénaire à une jeune fille arborant un tee-shirt «American feminist». «Franchement, ces manifestations, c’est une perte de temps, lâche Tim, 22 ans, qui en est à son 6e événement Trump. En plus, elles ont toujours l’air beaucoup plus importantes à la télé qu’en vrai.» Il est venu de Pittsburgh, en Pennsylvanie - un Etat qui a voté à 48,2 % pour Trump et lui a donné 20 grands électeurs - dans un bus affrété par une organisation républicaine. «On est partis à deux heures du matin, on était une cinquantaine dans le bus, c’était marrant, raconte cet étudiant en comptabilité. Ce que j’aime vraiment avec Trump, c’est qu’il est un stéréotype d’Américain. C’est un homme du peuple, il parle notre langue, il ne fait pas partie de l’élite et d’ailleurs le parti ne l’a pas soutenu au début.»

«C’est un cow-boy»

Les services secrets ont bloqué tous les passages en direction du Mall. Deborah, 64 ans, porte un gros badge «Trump President». «C’est un nouveau départ pour notre pays, se réjouit cette fonctionnaire du Département d’Etat. Je n’étais pas satisfaite par l’administration sortante : ni de la volonté de contrôler les armes, ni des régulations de l’EPA, l’agence pour l’environnement. D’accord, le réchauffement, c’est important, mais ce n’est pas la priorité. Il faut qu’on soit ferme sur l’immigration. Regardez dans quel état est l’Europe d’avoir ouvert les bras aux réfugiés !» Au loin, on entend les manifestants, qui continuent à bloquer les entrées. Le pays n’est-il pas plus divisé que jamais ? «On était déjà très divisés ces huit dernières années, dit-elle. On sera capable de se rassembler.» Sa personnalité, aussi, a séduit Deborah : «C’est un "wow-man", un cow-boy. Ça fait du bien, dans un monde si politiquement correct.» Michael, Pat et deux de leurs amis sont venus en voiture depuis le Michigan avec leurs drapeaux américains. «Cette investiture, c’est l’événement d’une vie, s’enthousiasme Michael, qui possède une usine qui fabrique des machines d’assemblage pour l’industrie automobile. Nous devons créer des emplois chez nous, pas en Chine ou au Mexique.» «On a besoin de quelqu’un qui soutient les valeurs de la classe moyenne américaine, enchaîne Pat, 64 ans. Je viens d’une famille de fermiers, et pour nous, le plus important, c’est de travailler dur, d’avoir une morale, être honnête. Trump est un homme d’affaires, il est très intelligent. Il va encourager nos soldats, nos policiers, et il va construire le mur.»

«Je suis très inquiet»

Sur le Mall, face au Capitole, la foule se disperse rapidement après l’hymne national, chanté par la jeune Jackie Evancho, finaliste du télé-crochet America’s Got Talent. Le premier discours de président investi de Donald Trump, retransmis sur des écrans géants tout au long de la pelouse, résonne encore dans les oreilles de Sharon, la cinquantaine, qui habite dans le Maryland. «On est plein d’espoir, s’enthousiasme-t-elle. La façon qu’il a de soutenir l’armée, la police, c’est très important. Il se bat vraiment pour les gens. Son discours était très direct, et nous nous en avons marre d’entendre des politiciens. Je préfère quelqu’un qui fait des choses, plutôt que quelqu’un qui parle poliment.» John, lui, est venu en famille, avec ses quatre enfants, depuis New York. «Ça a vraiment été un super bon discours, se félicite-t-il. J’aime son honnêteté, sa dureté envers le terrorisme islamique ou l’establishment de Washington. Il n’a pas besoin de fioritures, il va droit au but.» Avec son panneau «Save Healthcare», Keith, un instituteur à la retraite de Chicago, se sent bien seul. «Cela dit, je suis surpris de l’absence d’agressivité des supporteurs de Trump à mon égard», sourit-il. Il a, lui, peu goûté la prose du 45e président des Etats-Unis. «On avait vraiment l’impression qu’il était toujours en campagne… Il dit "je vais faire ci, je vais faire ça", comme s’il suffisait de le dire pour que ça change ! Je suis très inquiet pour les années qui viennent. Pour nos assurances santé, pour l’éducation… Oh man, Obama va vraiment me manquer.»

«LE TEMPS DE L’ACTION EST VENU !»

Le premier discours de Donald Trump en tant que 45e président des Etats-Unis reste dans la droite ligne de ses déclarations de campagne, la posture présidentielle en plus. Il a promis de «reconstruire [le] pays» et de lui redonner «ses rêves», «sa grandeur», «sa richesse», «ses frontières», «sa sécurité». Pour le nouveau président, le pays sera à partir de ce jour dirigé par une seule et même vision : «America first ! America first !» L’Amérique d’abord. Trump a ravivé la ferveur anti-establishment qui l’a portée à la Maison Blanche. «Nous ne transférons pas seulement le pouvoir d’une administration à une autre, mais le pouvoir de Washington D.C. à vous», le peuple. Lui qui a nommé dans son administration plusieurs milliardaires aux conflits d’intérêt tentaculaires. «Le temps des discours vides est fini, le temps de l’action est venu !» Sur le plan international, Trump a promis d’«éradiquer complètement de la surface de la Terre» le terrorisme islamique. Le Président a aussi essayé d’appeler à l’unité du pays. «Quand l’Amérique est unie, elle est impossible à arrêter, a-t-il déclaré. Que l’on soit noir, métisse ou blanc, nous avons le même sang rouge de patriote dans les veines.» Ce discours restera pourtant comme le moins rassembleur de l’histoire des Etats-Unis. Les Américains se souviennent de Franklin Roosevelt qui a, lors de son investiture en 1933, avait uni le peuple américain avec cette phrase : «La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est la peur elle-même.»

Isabelle Hanne à Washington , Frédéric Autran à Washington - Libération

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