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Jours tranquilles à Paris
9 février 2017

La dérobade des jeunes Japonais « sans genre »

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Par Philippe Pons, Tokyo

Ni « drag-queens » ni éphèbes androgynes, les « genderless danshi », de jeunes hommes travestis en femme, ne veulent pas tant devenir filles que s’affranchir des normes liées à l’identité sexuelle.

LETTRE DE TOKYO

Deux jeunes Japonaises emmitouflées en raison des frimas de l’hiver, joliment maquillées, chevelure au vent pour l’une, bonnet cachant des boucles blondes pour l’autre, font du lèche-vitrines en se tenant par la main.

Quoi de plus naturel à Harajuku, quartier de la mode à Tokyo, prisé de la jeunesse. « Couple de femmes » ? Eclat de rire. « Non pas du tout, c’est ma copine ! » Donc, « la » blonde bouclée est un garçon… Elle est lui. Lui est elle… Difficile de distinguer.

Un cosplay, mascarade des ados nippons cherchant à donner vie aux personnages des mangas ? Non. Une nouvelle mode : « genderless danshi », les « garçons (danshi) sans-genre ». Une mini-culture qui fait fureur chez une minorité de jeunes Japonais qui se maquillent, se teignent les cheveux de toutes les couleurs, portent des vêtements de style féminin et prennent des poses de filles minaudant sur leurs selfies. A deux pas, la boutique Ding de leur styliste préféré, Yoji Kondo, présente ses créations.

Les plus célèbres genderless danshi lancent des modes, font de la promotion des marques de vêtements, sont omniprésents sur les réseaux sociaux et adulés des filles. Même la très conventionnelle chaîne de télévision nationale NHK leur a consacré un reportage en 2016.

Transgresser la structure binaire homme/femme

Takashi Marutomo est l’agent d’une quarantaine de modèles genderless danshi, dont le plus célèbre, Toman Sasaki (24 ans). Il a épinglé le phénomène apparu d’abord en Corée du Sud avec les vedettes de la K Pop et il a forgé l’expression japonaise.

« Les premiers sont apparus en 2014 sur les réseaux sociaux, explique-t-il. Le genre, très normé au Japon, est devenu secondaire pour ces jeunes garçons : ils cherchent ce qui leur plaît sans se soucier de ce qui est masculin ou féminin. Ils ne veulent pas devenir fille mais être beau. Une aspiration qu’ils partagent avec les filles qui, elles aussi, cherchent à plaire et se disent si tel genderless danshi réussit à s’embellir, je le peux aussi. C’est pourquoi ils suscitent un tel engouement chez elles. »

Les genderless danshi cherchent à transgresser la structure binaire homme/femme. Leur look et leur préférence sexuelle ne se recoupent pas. Ils se construisent une apparence en fonction de leurs goûts ; et, sur le plan sexuel, ils peuvent être hétéro, homo, bi… ou indifférents.

Frêle silhouette toute de noire vêtue, portant des chaussures à plateforme, tour à tour rieur ou romantique, Toman Sasaki se prépare dans sa loge à un spectacle qu’il donnera avec son groupe pop XOX (« kiss hug kiss », « bisou câlin bisou ») pour la Saint-Valentin, la fête des amoureux, très populaire au Japon.

Il se dit hétérosexuel sans exclure qu’un jour il puisse tomber amoureux d’un homme… « Ce que je recherche, c’est la beauté et plaire aux femmes comme aux hommes, poursuit-il. Adolescent, je ne m’aimais pas mais, plutôt que de rester complexé, j’ai décidé de m’embellir en me maquillant. Je ne vois pas pourquoi le maquillage et les parures seraient réservés aux filles. » Pourquoi la vogue des genderless danshi ? Toman Sasaki rit et reconnaît que lui-même ne comprend pas. Il ne conteste pas l’appellation mais n’en fait pas un étendard.

« Les Japonaises se détournent du macho »

Les genderless danshi ne sont ni des « drag-queens » échevelées, ni des éphèbes androgynes ; ils refusent d’ailleurs d’être qualifiés d’« efféminés ». « Ils introduisent une fluidité dans le genre en refusant de se conformer à l’image de l’homme et de la femme normée par la société »,estime Junko Mitsuhashi, professeure assistante à l’université Meiji, spécialiste des questions de genre et elle-même transgenre.

« Depuis les années 1980, les jeunes Japonais sont en quête d’une identité indépendante du monde du travail où se forgeait la personnalité de leur père. Mes étudiants me disent qu’ils envient les filles pour leur façon libre d’exprimer leur individualité, par le biais de leur apparence », explique Junki Mitsuhashi.

Embryonnaire déplacement du marqueur de la masculinité ? « Le phénomène des genderless danshireste marginal mais, ce qui est sûr, c’est que les Japonaises se détournent du macho », poursuit Junko Mitsuhashi.

« Dans le genderless danshi, la masculinité ne se renie pas : porter des atours féminins ne signifie pas qu’on veut forcément attirer les hommes. Le cross-dressing bénéficie au Japon d’une certaine tolérance et s’inscrit dans une longue tradition, rappelle Junko Mitsuhashi. Du kabuki, où des hommes interprètent des rôles de femmes, à la troupe théâtrale moderne Takarazuka où c’est le contraire : des femmes jouent des hommes. »

Dérobade de jeunes garçons qui cherchent à se soustraire aux normes imposées par la société, le phénomène genderless danshi n’est sans doute qu’une mode. Mais parfois, une mode en dit long sur les questionnements d’une société.

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