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Jours tranquilles à Paris
20 février 2017

Barcelone mise sur la décroissance touristique

Par Sandrine Morel

Avec 34 millions de visiteurs chaque année, la cité catalane est devenue une ville musée, au grand dam de certains de ses habitants. Pour contrer ce phénomène, la mairie a décidé de limiter les implantations d’hôtels.

Le calme règne dans la cafétéria de l’Ateneu, située non loin des célèbres ramblas de Barcelone, l’avenue continuellement prise d’assaut par des hordes de touristes. Et pour cause. Pour y entrer, s’installer dans ses confortables fauteuils ou profiter de son paisible jardin en plein cœur de la ville, il faut être membre. Trente euros de cotisation par mois, c’est ce qui lui en coûte à Teresa Picazo, membre de l’Assemblée des quartiers en faveur d’un tourisme durable (ABTS) pour se sentir chez elle, dans son quartier du Gotico, où logent aujourd’hui autant de touristes que d’habitants.

L’ABTS, née il y a deux ans, ne mâche pas ses mots pour dénoncer la transformation de Barcelone en un « parc à thèmes », ou critiquer le « tsunami touristique » qui s’est aggravé ces dernières années avec l’apparition de plates-formes de location d’appartements privés.« Nous nous battons pour la décroissance touristique et une révision de l’offre touristique, résume Mme Picazo. Nous ne pouvons plus supporter de voir le centre-ville se vider de ses commerces de proximité et de ses habitants. »

Le Gotico est le premier quartier de Barcelone où l’augmentation du tourisme a fait baisser le nombre d’habitants, de 8 % en quatre ans, selon les travaux du démographe de l’université autonome de Barcelone, Toni Lopez. Teresa, qui a renoncé à faire ses courses dans le marché traditionnel de la Boqueria, où les primeurs et bouchers d’antan ont été largement remplacés par des stands de restauration sur le pouce pour touristes, se plaint aussi du bruit à toute heure de la nuit et de la saleté qui a envahi les rues les plus prisées. Elle n’est pas la seule. Le tourisme est devenu la deuxième « préoccupation » des habitants de la ville, derrière le chômage, selon un baromètre publié en janvier.

L’attrait touristique de Barcelone n’est pas nouveau. Après l’organisation des Jeux olympiques de 1992, la ville côtière s’est transformée en un pôle d’attraction : la mer et le soleil, associés aux merveilles architecturales de Gaudi, à ses vieux quartiers et des prix bas en ont fait une destination phare en Europe. De 187 hôtels recensés en 2000, Barcelone est passée à 328 en 2010 et 426 en 2015, accueillant 8,3 millions de touristes par an. A cela s’ajoutent les pensions, les auberges et surtout, ces dernières années, les appartements touristiques – plus de 9 700 officiellement recensés, auxquels s’ajouteraient au moins 6 000 appartements illégaux selon la mairie. Sans compter les visiteurs, croisiéristes ou touristes logés dans les environs, qui ne viennent que pour la journée. Barcelone, premier port de croisière d’Europe, voit débarquer jusqu’à 30 000 personnes sur les ramblas en une seule journée. Au total, 34 millions de personnes visitent Barcelone chaque année.

Fermeté

Augmentation brutale des prix des loyers, dénaturalisation des quartiers, perte de qualité de vie pour les habitants ont accompagné le phénomène. D’autres villes d’Europe souffrent une situation plus ou moins similaire. Mais la différence majeure est la fermeté avec laquelle la mairie a décidé de s’attaquer au problème. Au pouvoir depuis mai 2015, la plate-forme citoyenne Barcelone en commun, menée par l’ancienne activiste du droit au logement Ada Colau, a fait de la lutte contre le tourisme de masse son cheval de bataille.

Dès son arrivée au pouvoir, elle a dicté un moratoire interdisant la concession de nouveaux permis d’ouverture d’établissements hôteliers, le temps d’étudier l’impact du tourisme sur la ville, les services, la pollution, la propreté et les dépenses publiques. En parallèle, elle a lancé un ambitieux plan de lutte contre les appartements touristiques illégaux, augmentant les amendes et les contrôles, grâce à un corps d’inspecteurs dédiés à la chasse aux fraudeurs et à un appel à la population à dénoncer les appartements illégaux.

« Ces six derniers mois, nous avons ordonné la fermeture d’un millier d’appartements touristiques illégaux », résume au Monde Janet Sanz, conseillère municipale en charge de l’écologie, l’urbanisme et la mobilité, qui en décembre dernier, a imposé une amende de 600 000 euros à Airbnb pour la promotion des appartements sans permis touristique. Le 7 février, Airbnb a proposé de limiter les annonces à une par propriétaire dans Barcelone. Refus catégorique de la mairie, qui estime qu’aucune publicité ne doit être faite pour des appartements sans licence touristique.

Le 28 janvier, la municipalité est allée encore plus loin en approuvant le Plan spécial urbanistique de logements touristiques (PEUAT) 2016-2010, avec comme but affiché la décroissance touristique. « Une décision inédite au monde »,soulignent les experts en planification du territoire.

« Obstacles bureaucratiques »

Le PEUAT divise la ville en quatre zones. Les plus courues ne verront plus un seul hôtel ouvrir ses portes, même pas pour remplacer les établissements qui fermeraient. Dans les zones adjacentes, ne sont autorisées de nouvelles ouvertures que pour remplacer l’offre déjà existante. En périphérie, la mairie autorise la création de 4 000 places hôtelières. De quoi provoquer la grogne du secteur.

« Barcelone n’a pas un excès de touristes, tranche Manel Casals, président du syndicat hôtelier de Barcelone, qui se targue d’un taux d’occupation moyen de 80 % à 95 % pour les établissements de la ville. Le problème réel est l’apparition, ces cinq dernières années, de 10 000 appartements touristiques légaux et autant d’illégaux. Cela représente 100 000 places hôtelières de plus, qui ne sont pas surveillées, encore moins encadrées, et provoquent des problèmes de cohabitation avec les habitants. Il faut être ferme avec cela. Mais limiter un secteur d’activités comme le fait la mairie porte préjudice au développement de la ville. »

Le secteur déplore les « victimes » de cette politique, comme la chaîne Hyatt, qui a renoncé en janvier à ouvrir un hôtel dans la tour Agbar, du fait des « obstacles bureaucratiques » posés par la mairie. L’an dernier, c’est le groupe Four Seasons qui a renoncé à son projet d’ouvrir un hôtel dans le quartier de Gracia, où la pression touristique est « pourtant peu élevée », souligne M. Casals, qui craint que l’image « d’insécurité juridique » ne limite les investissements dans la ville. C’est une marque prestigieuse qui allait créer 300 emplois directs et autant d’emplois indirects. L’édifice va devenir un immeuble d’appartements de luxe. Qu’y gagne la ville ? Si nous n’orientons pas le flux touristique, ce dernier ne cessera pas pour autant, ce sera simplement un type de tourisme que nous n’aurons pas choisi… »

« Mesures absurdes »

Assis à une table du salon de thé de l’hôtel Praktik Bakery, dans le quartier de l’Ensanche, José Maria Trénor, directeur général de cette chaîne hôtelière, qui compte six établissements à Barcelone, est fier de la façon dont il a intégré l’hôtel dans la vie de quartier : il a fait venir l’une des boulangeries les plus cotées de Barcelone, le Forn Baluard de la Barceloneta, pour qu’elle ouvre une succursale dans le hall de l’hôtel. Dans la queue qui s’étend jusque sur le trottoir, des voisins et des travailleurs se mélangent à quelques visiteurs étrangers. Pour lui, cette association entre un commerce de proximité et le développement touristique peut fonctionner.

« Les mesures radicales de la mairie contre les hôtels sont absurdes, critique-t-il. C’est de la démagogie. Le mouvement contre le tourisme est né à la Barceloneta, où il n’y a aucun hôtel mais de nombreux logements touristiques illégaux. »

M. Trénor est l’une des bêtes noires de la mairie. Son projet d’hôtel en bas des ramblas, face aux Drassanes, les chantiers navals royaux du XIVe siècle, n’a pas pu être paralysé. Au moment où la mairie a prononcé le moratoire sur les permis hôteliers, il avait déjà le sien en poche. Il ne lui manque que la signature au bas du permis de chantier pour commencer la construction. Elle traîne depuis plus d’un an et demi. Mais, pas question de se décourager comme l’ont fait les investisseurs de la Torre Agbar.

« Je ne vais pas abandonner », dit-il. Il a déjà déposé une « réclamation patrimoniale » pour exiger un dédommagement. « Chaque mois qui passe, ce sont 450 000 euros que je ne gagne pas, assure-t-il. Et les voisins sont favorables à mon hôtel. La gentrification n’est pas un phénomène nécessairement négatif. L’arrivée des hipsters peut permettre de moderniser certains quartiers… »

Le terrain vague où est prévu son projet hôtelier de 200 chambres réparties sur deux édifices, se trouve face à une « salle de shoot », dans une zone défavorisée. Des modestes immeubles de briques bordent la rue. De plusieurs fenêtres pendent des pancartes : « Sauvons les Drassanes. Non à l’hôtel. »

« Dans cette zone, nous avons besoin de bureaux et de logements sociaux, pas d’hôtels, explique Janet Sanz à la mairie. Nous lui demandons simplement d’inclure dans son projet un de ces deux éléments. Nous devons prendre garde : si la ville devient un parc thématique, elle perdra son intérêt pour les touristes aussi. »

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