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Jours tranquilles à Paris
22 février 2017

Les portraits de Warhol, quête de l'image immortelle

Il y a 30 ans mourait Andy Warhol. Figure majeure du pop art, il est surtout connu pour ses portraits en série : Liz Taylor, Marylin Monroe, Mao Zedong... Un travail qui témoigne d'une volonté d'abolir la mort en transformant les simples mortels en icônes.

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Qui ne visualise pas mentalement une Marylin Monroe polychrome en entendant le nom d'Andy Warhol ? Il y a 30 ans, le 22 février 1987, le dieu du pop art s'éteignait dans son sommeil suite à une attaque cardiaque. Il reste notamment célèbre pour ses œuvres sérigraphiées, qu'il s'agisse de boîtes de soupe Campbell, ou de portraits de célébrités... 

Warhol était fasciné par le visage. Or, la philosophe Marie-José Mondzain disait discerner de deux sortes d'images, dans les portraits réalisés par Warhol : les "idoles", et les "icônes". Affirmant que l'artiste jouait avec ce double pôle : "Il a utilisé les idoles du peuple américain et il en a fait des icônes. Et lui qui a désiré être la machine idolâtrée du milieu culturel artistique américain s’est vécu lui-même comme une idole. Il a produit aussi son icône." Et la philosophe de préciser sa pensée en soulignant la nette distinction, voire la confrontation existant pourtant entre les réalités que désigne initialement chacun de ces termes. Du simple fait que l'idole est mortelle, contrairement à l'icône :

[Andy Warhol] sait bien ce qu’est une icône, c'est-à-dire un visage qui est doué d’immortalité, d’indestructibilité, et dans lequel s’inscrit matériellement un espoir de résurrection (…) et l’icône lorsqu’elle s’est constituée comme telle dans la tradition théologique orthodoxe, s’est construite contre l’idole." Marie-José Mondzain

Dans cette même archive, le philosophe Georges Collins soulignait également la dimension existentielle, quasi spirituelle des sérigraphies de Warhol, rappelant que l'artiste avait commencé ses séries de portraits après le suicide de Marilyn Monroe, en août 1962 : "Ce tableau incarnerait un interminable travail de deuil, on pourrait presque dire de commémoration funéraire."

"Que faire de la mort d’une célébrité ? Que faire de ce savoir curieusement intime que nous possédons, touchant un personnage que nous ne connaissons pas. (…) Que faire d’un événement qui est à la fois public, et étrangement intime ?" Georges Collins

Fabriquer des images non faites de main d'homme

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A la National Portrait Gallery, à Londres, en 2007, un visiteur devant les "Marilyn Monroe" (1967) d'Andy Warhol• Crédits : Peter Macdiarmid - Getty

Dimension spirituelle dans le portrait, devenu icône, donc, mais pourquoi répéter l'image ? "J’aime simplement refaire toujours la même chose. Quand quelqu’un vient d’être élu président ou maire, on colle son image sur tous les murs. Je crois toujours que c’est mon œuvre. C’est un moyen de s’exprimer. Toutes mes images sont pareilles, mais différentes à chaque fois. Elles changent avec la teinte des couleurs, le moment, l’état d’esprit. La vie n’est-elle pas une série d’images qui changent en se répétant ?", expliquait Andy Warhol. Pourtant, Marie-José Mondzain ne voit pas que l'amour de la répétition dans les sérigraphies warholiennes. Elle y voit également le désir de l'artiste de devenir machine : "L’un des modèles machiniques les plus fascinants pour lui c’est l’appareil photographique et la caméra, c'est-à-dire des machines qui travaillent avec l’impression, avec l’ombre, avec le négatif, en tous les cas en ce qui concerne l’appareil photographique, et avec la tradition du Saint Suaire, c'est-à-dire le voile, la sérigraphie." Machine permettant de s'affranchir de la mortalité de l'homme, en imprimant des images non faites de sa main... :

"C'est comme si Warhol était à la fois quelqu’un qui pose sa griffe, très artiste au sens traditionnel du terme, et qu’en même temps, à travers la machine (…) il essayait de fabriquer ce que la tradition appelait les images acheiropoïètes, des images non faites de main d’homme. La machine servant le double objectif d’être productive, indolore, immortalisante, et d’un autre côté d’avoir une référence orthodoxe qui est l’image non faite de main d’homme." Marie-José Mondzain

Détruire l'idole

Andy Warhol, par deux fois, a été confronté à un geste de destruction d’idole.

Le premier, en 1964, visait ses portraits de Marylin Monroe, sa première sérigraphie sur toile réalisée à l'acrylique en 1962. Un jour, l'artiste performer Dorothy Podber se rend à la Factory, atelier artistique de Warhol, dans lequel il était en train de tourner un film, Shooting a picture. Alors que Warhol est occupé par son tournage, elle lui demande si elle peut elle aussi tirer sur des œuvres. L'artiste lui ayant répondu qu'il n'y voyait pas d'objection, Podber tire de son sac un petit pistolet allemand et vise une pile de portraits de l'actrice. Quatre "Marilyn" furent touchées en plein front par l'impact. Warhol les vendit plus tard sous le titre de "Shot Marilyn".

"En continuant à promouvoir les portraits de Marylin avec les impacts de balles, il a maintenu l’axe iconique de sa production en montrant que ça n’a en rien détruit ce qui était une œuvre d’art." Marie-José Mondzain

Le second geste de destruction d'idole visait cette fois sa propre personne : en juin 1968, Valérie Solanas, une militante féministe, lui avait envoyé le manuscrit d'une pièce de théâtre. Frustrée par l'indifférence de l'artiste, elle vide sur lui tout un chargeur dans le hall de la Factory (l'atelier artistique de Warhol). Il est déclaré cliniquement mort pendant un temps... et les séquelles de cette tentative d'assassinat l'obligent à porter un corset durant le restant de ses jours. Un épisode qui a un impact sur son corps, et son propre travail... qui correspond, d'après la philosophe, au moment où Warhol s'est confondu avec son image : "Il a été touché dans son image. C'est toujours très inquiétant pour une idole d'apprendre qu'elle n'est plus qu'une image, c'est à dire qu'elle devient la cible d'une destruction sacrificielle." Pour tenter de pallier cette peur, Warhol se fait photographier, peindre... son torse dénudé, couturé de cicatrices : "Il réhabilite, il reconstruit. Il se sépare de son image, il cherche un axe existentiel. Mais je pense qu’il n’y est jamais véritablement arrivé." Il réalise également des autoportraits avec ombre "comme la mise en scène de son propre Saint Suaire, comme pour ressusciter." Texte de Hélène Combis-Schlumberger

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