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Jours tranquilles à Paris
10 mars 2017

Décès de Pierre Bouteiller

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bouteiller

Pierre Bouteiller, grande voix de la radio, est mort

Passé par Europe 1, France Inter et France Musique, le journaliste et animateur a marqué la radio par son ton persifleur et sans complaisance.

Par Renaud Machart

Il avait une manière à nulle autre pareille de souhaiter la bienvenue à ses auditeurs par un « bonjour » aussi enjôleur que cajoleur, lancé avec la détente swinguée de ce jazz qu’il aimait tant. Ce logo sonore restera comme la signature de l’homme de radio légendaire que fut Pierre Bouteiller, qui vient de mourir dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 mars à Paris à l’âge de 82 ans.

Né le 22 décembre 1934 à Angers, Pierre Bouteiller aura eu une enfance « sonorisée » par la radio, à une époque où « l’“audiovisuel” se limitait à l’“audio” », ainsi qu’il le rapporte dans son plaisant et insolent livre de souvenirs Radioactif (Robert Laffont, 2006). Sa jeunesse est itinérante : la famille déménage tous les trois ans au gré des nominations du père (« catho ma non troppo »), directeur de différentes succursales régionales de la Banque de France.

Son frère travaille assidûment son piano sur le demi-queue Erard du salon. Mais Pierre Bouteiller à d’autres dons : « Je préférais me fier à ma mémoire, et surtout à mon oreille, qui n’était pas extraordinaire mais tout de même assez fiable pour que je pusse entendre un thème et le reproduire assez fidèlement. » Sans avoir appris le solfège, Bouteiller deviendra un remarquable pianiste, pouvant jouer de mémoire tous les « standards » de la musique populaire et de jazz.

« Coupe des reporters »

Il entre à la Sorbonne en 1955 où il poursuit « mollement de vagues études de psychologie ». Car il préfère se produire au sein d’un petit groupe de jazz dans les clubs du Quartier latin. Il se passionne pour une émission de jazz animée par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, diffusée chaque soir sur une radio « périphérique » fraîchement ouverte, Europe 1, alors appelée Europe n° 1. Leur ton tranche avec celui des « speakers compassés » de Paris Inter, la radio nationale. « Europe 1 avait, d’un seul coup, ringardisé toutes les autres radios, écrit Bouteiller. Comme Paris Match l’a fait en son temps parmi les news magazines. Comme Canal le fera, plus tard, pour la télévision. »

Europe 1 organise en 1958 une « Coupe des reporters ». Bouteiller s’y présente avec « plusieurs dizaines de postulants. (…) Au fil des éliminatoires, nous nous sommes retrouvés trois en finale : Philippe Labro, Michel Anfrol et moi. » Labro obtient neuf voix, Bouteiller huit, Anfrol zéro. « Dans sa grande magnanimité le jury a décidé que Philippe et moi étions ex æquo. Et nous avons tous deux été engagés au “Journal parlé”. »

A partir de 1959, Il y apprend son métier en tant que « soutier » tout terrain mais se rend vite compte que, même sur une radio privée, tout ne peut pas être dit. Un reportage sur le général de Gaulle lui fait connaître la censure pratiquée au montage. Il préfère la compagnie des artistes et devient le « Monsieur je-sors-pour-vous », de la chaîne. Mais son ton déjà persifleur et sans complaisance lui vaut encore des ennuis.

En 1969, l’heure du départ d’Europe 1 (que certains surnommaient « Radio Barricades ») a sonné : « Je n’ai pas été surpris de cette rupture. Depuis longtemps je savais que j’agaçais. Mai-68 a été le prétexte pour mettre un nom – “gauchisme” – sur un mauvais esprit que l’on me reprochait depuis longtemps. »

Le trio « A. B. C. »

Dix ans après son arrivée, Pierre Bouteiller quitte Europe n° 1 avec de solides indemnités, négociées par l’avocat Georges Kiejman. Alors qu’il s’apprête à partir en vacances, il reçoit un appel de Roland Dhordain, directeur de France Inter, qui lui demande de refaire, à l’ORTF, ce qu’il faisait à Europe 1. C’est le magazine « Embouteillages », dont la « formule est de ne pas en avoir », selon son animateur, qui traite de tout, de l’art de vivre à Paris comme en province. Car, ainsi que l’annonce son premier billet introductif, le 6 octobre 1969, « le parisianisme se décentralise. »

Bouteiller devient vite l’un des membres du trio surnommé « A.B.C. », complété par José Artur et Jacques Chancel, deux autres grandes voix de la chaîne, promis eux aussi à une carrière retentissante et longue sur le service public. A partir d’octobre 1969 il y animera de nombreuses et fameuses émissions, « Au bénéfice du doute », « Comme de bien entendu », « Le Magazine de Pierre Bouteiller », « Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous », « Quoi qu’il en soit »…

En 1981, il devient le directeur des variétés de TF1, pas encore privatisée. Son court passage sera marqué par la suppression de la diffusion du Concours de l’Eurovision et la mise à l’antenne de l’émission « Droit de réponse » de Michel Polac. En marge de son activité radiophonique, Pierre Bouteiller signera, dès 1971, de nombreux reportages et entretiens pour la télévision, où il animera diverses émissions. Il sera également le producteur, via sa société de production, de documentaires consacrés à la musique (des crooners aux sœurs Labèque en passant par Pierre Boulez).

Retour à Radio France

Il revient en 1982 à France Inter, mais, peu apprécié du président de Radio France, Jean-Noël Jeanneney, et de Jean Garetto, directeur des programmes de la chaîne, Pierre Bouteiller est mis « au placard », avec en cadeau de consolation, la présentation hebdomadaire, jusqu’en 1989, du « Masque et la plume », où il succède à François-Régis Bastide. De 1984 à 1988, il anime parallèlement différents magazines hebdomadaires sur France Musique.

En 1988, à la nomination de Jean Maheu, à la présidence de Radio France, et d’Eve Ruggieri, aux programmes de France Inter, il se « réinstalle à 18 heures avec un magazine intitulé “Au bénéfice du doute”. » L’année suivante, Eve Ruggieri est nommée directrice des programmes de France 2 et laisse la place. Bouteiller lui succède.

En 1995, au départ à la retraite de Jean Maheu, Pierre Bouteiller présente sa candidature à sa succession à la présidence de Radio France. Mais le CSA lui préfère Michel Boyon. Il est « débarqué de la direction des programmes de France Inter » mais, à la demande de son successeur, Jacques Santamaria, il reprend le chemin des studios pour un magazine quotidien, « Quoi qu’il en soit », chaque matin de 9 à 10 heures, avec sa bande de chroniqueurs favoris (Gérard Lefort, Philippe Collin, Philippe Couderc, Kathleen Evin, etc.).

Au départ de Michel Boyon (auquel il réglera son compte de manière carnassière dans son livre de souvenirs), Pierre Bouteiller est nommé en 1999 par Jean-Marie Cavada, nouveau président de Radio France, à la direction de France Musique. Il dira, dans un entretien de février 2009 : « A Radio France, j’ai eu de vrais patrons (ex-journalistes) comme Roland Dhordain, Roland Faure et Jean-Marie Cavada. (…) Les autres, je les appelle des touristes, des amateurs. »

« Si bémol et fadaises »

En 2004, atteint par l’âge de la retraite, Pierre Bouteiller doit quitter le service public. Dans Radioactif, il accablera le nouveau président de la Maison ronde, Jean-Paul Cluzel, de noms d’oiseaux, l’accusant d’avoir mis fin à son mandat, ainsi qu’à celui du directeur de France Inter, Jean-Luc Hees, pour des raisons politiques.

Mais il est vite appelé par ses amis Jean-François Bizot, patron du magazine Actuel et fondateur de Radio Nova, et Frank Ténot qui ont repris la radio TSF jazz. Pierre Bouteiller y animera quotidiennement « Si bémol et fadaises » (un titre typique de son goût pour les calembours « limite »).

En septembre 2013, le programme passe à un rythme hebdomadaire. Pierre Bouteiller mettra un point final à ses activités radiophoniques le 28 juin 2015, après une avant-dernière émission qu’il avait annoncée être un « Petit panthéon jazzistique personnel ». Mais, décidément, la fatigue et la difficulté d’élocution de cette voix légendairement tonique et moqueuse se faisaient désormais entendre.

Pour cette dernière de « Si bémol et fadaises », le pianiste et compositeur Michel Legrand, dont il était proche, était présent à son côté au micro – avec pour premier disque, une version au… clavecin des Moulins de mon cœur. Très affaibli, Bouteiller n’animait pas l’émission (il y interviendra d’ailleurs très peu) et avait laissé la main à une jeune consœur qui fit du titulaire du programme l’invité d’honneur de sa dernière.

Renaud Machart - Journaliste au Monde

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