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Jours tranquilles à Paris
18 mars 2017

Dans les gares, des voyageurs devenus, malgré eux, des consommateurs

Par Cécile Prudhomme

Comme les aéroports avant elles, les gares empruntent résolument la voie du commerce, générant ainsi de nouvelles recettes pour la SNCF.

Terminé le temps où il fallait s’armer de patience et d’un bon livre en attendant son train. Aujourd’hui pour passer le temps, les voyageurs sont invités, dans les grandes gares, à dépenser dans les boutiques situées aux abords des quais, comme ils le feraient dans n’importe quel centre commercial. Et ce, sept jours sur sept dans douze grandes gares dites « d’affluence exceptionnelle » (Paris, Lyon, Nice…) depuis la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques d’août 2015.

Dix millions de personnes arpentent chaque jour les gares françaises, dont 750 000 à la gare du Nord à Paris, la première en Europe. Un tiers d’entre elles vont dans les boutiques, indique Patrick Ropert, directeur général de SNCF Gares & Connexions, filiale du groupe ferroviaire.

Espaces baignés de lumière

Dans cette forme de commerce très atypique, le projet emblématique du moment est le réaménagement complet de la gare Montparnasse. De 10 000 mètres carrés actuellement, la place qu’y occupent les commerces et les restaurants passera à 18 600 mètres carrés, au quatrième trimestre 2020.

Des espaces baignés de lumière extérieure dignes d’un aéroport ultramoderne fondus dans une architecture de centre commercial dernier cri, « là où aujourd’hui, l’ambiance, sombre, est un peu anxiogène et étouffante, avec de nombreux courants d’air », constate Ludovic Castillo, directeur général d’Altarea Commerce, l’un des acteurs du projet.

Façade et intérieurs seront entièrement refaits, et les flux des voyageurs repensés. Finis les espaces perdus, les réserves non exploitées et les grands guichets consacrés à la billetterie rendus caducs par le numérique ; les 90 millions d’usagers de la gare Montparnasse à échéance 2020 – contre 70 millions actuellement – seront obligés de passer devant les vitrines de la galerie marchande.

Ce projet de rénovation est mené conjointement par la SNCF et la société foncière Altarea Cogedim, qui en a remporté la concession pour une durée de trente ans. La foncière a investi 120 millions d’euros et a lancé la commercialisation des futures boutiques, le 7 mars.

Le chantier de l’ensemble de la gare a débuté fin 2016, mais la pose de la première pierre, en présence d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, prévue initialement en avril, a été décalée à septembre une fois passé le tumulte des élections présidentielles.

Objectif : capter le flux de voyageurs

Montparnasse n’est pas la seule à développer son activité marchande. S’appuyant sur le succès de la transformation de la gare Saint-Lazare à Paris depuis 2012 et ses 11 000 mètres carrés de commerces, Gares & Connexions fourmille de projets.

La filiale de la SNCF a annoncé, mercredi 15 mars, lors du Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), le lancement, en mai, d’un appel d’offres pour choisir un trio réunissant un architecte, un constructeur et un investisseur afin de transformer la gare du Nord d’ici à 2023. La rénovation de la gare de Bordeaux, dotée de nouveaux commerces, sera, elle, achevée en juin. A Lyon Part-Dieu, la surface vouée aux commerces devrait augmenter prochainement. « Nous travaillons aussi sur la transformation des [gares] Nantes et de Rennes pour 2020 », souffle M. Ropert.

« Aéroports, gares, aires d’autoroute, stations de métro : les zones de transit sont devenues des lieux d’expérimentation mais aussi des lieux de vie et de rencontres. Pour capter le flux de voyageurs, potentiellement consommateurs, de nouvelles offres de commerces et de services sont expérimentées », constate le cabinet Xerfi, dans une étude publiée en avril 2016.

La SNCF a vite flairé le bon filon, s’inspirant de la réussite de modèles implantés dès les années 1970 au Japon. Et comme l’établissement public était novice sur la question, il s’est associé, à l’occasion de sa première opération à Saint-Lazare en 2009, au promoteur immobilier spécialiste des centres commerciaux, Klépierre (150 sites en Europe, dont Créteil Soleil, Val d’Europe, Belle Epine…).

Doubler les revenus des concessions commerciales

A la Gare de l’Est et sur une partie de la gare du Nord, le groupe ferroviaire a fait affaire avec Altarea Cogedim (41 centres dont Qwartz à Villeneuve-la-Garenne, Cap3000 à Nice et Bercy Village dans le 12e arrondissement à Paris).

« Aujourd’hui, commercialiser des espaces en gare c’est aussi notre métier, et nous privilégions les concessions lorsque nous cherchons une contribution d’investissement supplémentaire », explique M. Ropert.

D’ici à 2022, la SNCF a prévu d’investir plus de 2 milliards d’euros pour améliorer les gares. Elle entend aussi doubler les revenus de ses concessions commerciales dans les huit ans qui viennent. En 2016, les recettes issues des loyers commerciaux encaissés par sa filiale Gares & Connexions ont progressé de 8 % sur un an.

« Le chiffre d’affaires moyen d’une gare est de 13 000 euros au mètre carré pour l’opérateur, c’est près du double d’un bon centre commercial », précise M. Castillo, ajoutant que lorsqu’une gare se rénove, le chiffre d’affaires d’un magasin Relay bondit de 60 %.

Recettes adaptées

Car la clientèle des espaces marchands logés à l’intérieur des gares n’est pas uniquement celle des voyageurs utilisant les trains. « Dans les grandes gares parisiennes, 30 % des clients qui viennent pour consommer ou utiliser des services ne prennent pas le train, contre 20 % en moyenne en France », constate M. Ropert.

D’autant plus que les travaux de rafraîchissement des commerces s’accompagnent de plus en plus d’une ouverture de l’espace de transport sur la ville. A Saint-Lazare en 2016, si 57 % des clients des boutiques étaient des Franciliens, et 11 % des provinciaux, 32 % étaient parisiens.

Mais il a fallu s’adapter car les recettes qui fonctionnent dans un centre commercial classique ne sont pas les mêmes dans les zones de transit. « Le temps passé dans une gare est en moyenne de 30 minutes contre 1 h 30 à 2 heures dans un centre commercial », rappelle M. Castillo. Et dans une galerie marchande de périphérie, « les gens viennent pour la destination et découvrir l’offre commerciale, alors que dans une gare, il faut les attirer, et les fidéliser pour les faire acheter », renchérit Beñat Ortega, directeur des opérations de Klépierre.

La manne de clients potentiels est sans commune mesure. Tous les ans, 150 millions de personnes fréquentent Saint-Lazare, contre 20 millions au centre commercial de Créteil Soleil ou près de 18 millions à Val d’Europe.

Des charges de loyer élevées

La gare, et plus généralement les lieux de transit, pourraient donc représenter l’avenir du commerce, englué dans une certaine atonie.

Les moins du modèle ? Des charges de loyers, dont les montants sont gardés secrets, mais que les enseignes estiment deux fois plus élevées que celles acquittées dans un centre commercial. Les plus ? Une certaine souplesse due au fait que les commerçants ne sont pas propriétaires de leur fonds et une durée des baux, en moyenne de six ans, inférieure aux dix ans minimum dans un centre commercial.

L’offre commerciale doit aussi répondre à l’attente de ces consommateurs un peu particuliers. « La plupart des gens sont pressés et les achats doivent se faire rapidement. De ce fait, nous y mettrons un peu moins de textile que dans un centre commercial classique, plus de bijouterie, de parfumerie, d’accessoires, et d’alimentation », indique M. Ortega.

« Il y a des produits adaptés au commerce en gare et le chocolat en fait partie », appuie Philippe Jambon, président de Jeff de Bruges, qui précise ne pouvoir s’implanter que dans des stations fréquentées par des voyageurs à fort pouvoir d’achat. « Dans le chocolat, il faut une certaine image. Mais cela fait partie de nos meilleurs chiffres d’affaires. La rentabilité, c’est une autre histoire, car il y a davantage d’amplitude horaire, et donc de charges de personnel. »

« Un excellent vecteur de publicité »

A Saint-Lazare, l’ensemble des baux commerciaux arrivant à leur terme, un vaste processus de renouvellement s’est enclenché pour deux ans. Certains commerces ayant vu leur loyer grimper de 30 % ont décidé de ne pas rester. Pour d’autres, ce nouveau format est attractif.

En témoigne l’expérience de Nature & Découvertes qui l’a testé sous forme de magasin éphémère sur le parvis de la gare de Lyon entre novembre 2016 et février 2017. « Un excellent vecteur de publicité pour rappeler aux gens que nous existions, mais pas un emplacement fort pour le commerce à cet endroit, selon Antoine Lemarchand, PDG de l’enseigne. Sur le parvis, les gens ne font que passer pour aller prendre leur train et ils ont peu de temps. Cela a d’ailleurs généré beaucoup de ventes sur notre site Internet. »

Un essai qui ne demande qu’à être transformé voire amplifié. Nature & Découvertes va demander à faire partie des magasins permanents situés à l’intérieur de la gare.

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