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Jours tranquilles à Paris
18 mars 2017

Aurélie Dubois - «Voir peut-il rendre fou ?»

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 Ci-dessus : Aurélie Dubois au cours du vernissage de son exposition

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Artiste spécialisée dans la «confusion», Aurélie Dubois hybride les corps mâles et femelles ou s’amuse à mixer des anatomies repoussantes et bizarres.

En 2015, Aurélie Dubois fait un micro-trottoir dans Paris, montrant les images de ses oeuvres aux passants pour filmer leurs réactions : «C’est trash», «C’est dégueulasse», «C’est répugnant», sont les phrases les plus souvent prononcées de même que les questions : «Là femme, là homme et là c’est à l’envers alors ?». «En fait elle fait un mélange entre les deux. C’est pour montrer qu’on est… différent ?», demandent des étudiantes. Ces réactions illustrent une peur, toujours la même : celle d’un monde sans limites claires entre soi et les autres. Aurélie Dubois s’est fait une spécialité de jouer sur la corde sensible de cette peur, avec une joie maligne. Du 16 au 26 mars, ses oeuvres dérangeantes sont exposées lors d’une rétrospective, au 24Beaubourg, une galerie située près du centre Pompidou. L’exposition s’intitule «Voir peut-il rendre fou?» par allusion au fait, peut-être, qu’Aurélie Dubois voudrait nous entraîner dans cet univers de confusion mentale qui consiste à abolir la frontière entre son corps et celui des autres…

Le petit laboratoire du clonage artistique

Paul Ardenne, Commissaire de l’exposition, commente : «Dans toute image produite par Aurélie Dubois, un corps humain. Mais lequel ?» Le sien, souvent nu, et ceux de tous les «êtres qui gravitent autour du sien». Aurélie met volontiers en scène son anatomie admirable, amalgamée avec celle d’hommes, de singe, d’enfants, de poupées ou même d’arbres au fil de croisements génétiques aberrants, voire «abominables», pour reprendre un terme souvent utilisé dans les textes sacrés lorsqu’il est question des transgressions les plus funestes. Les pires de toutes –travestissement, bestialité, inceste, etc– ce sont celles justement qui touchent aux frontières séparant les sexes, les âges, les espèces ou les règnes. Aurélie Dubois s’amuse volontiers avec ce genre d’interdits, n’hésitant jamais à accentuer encore l’aspect rebutant-fascinant de ses oeuvres en déformant les visages et les corps jusqu’à la laideur.

Faut-il être dupe d’un discours «engagé» ?

Son goût pour le protéiforme s’arrange volontiers d’un discours qu’elle veut militant : il s’agit, dit-elle, d’un «appel à la résistance et à la vigilance, face aux diktats de notre société contemporaine». La formule est si ridiculement enflée qu’il est difficile d’y croire. Ca sonne creux. L’artiste auto-proclamée «de garde» pense probablement bien faire en caressant les bonnes causes dans le sens du poil… bonnes causes qu’elle dessert joyeusement. Il n’y a qu’à voir la tête des passants. Qui voudrait d’un monde peuplé de femmes à barbe et de gamines au visage prématurément ridé de septuagénaire ? Là où l’oeuvre d’Aurélie Dubois est intéressante vient justement de ce qu’elle provoque : un irréductible sentiment d’horreur. En opposition totale avec ce qu’elle prétend défendre (l’idéal d’un monde où les gens seraient heureux de vivre avec un corps hétéroclite),Aurélie Dubois représente un monde fortement anxiogène, avec un goût morbide pour les clonages contre-nature. «Vivre, c’est muter», dit-elle. Ce qu’on pourrait traduire «vivre c’est se perdre», irréversiblement. Son oeuvre exsude la peur de la dissolution.

Ce processus en cours qui nous travaille au corps

Ses dernières oeuvres sont d’immenses dessins d’un mètre cinquante tracés à la mine graphite sur du «papier moisi» (dit-elle) ou sur des «feuilles utilisées dans le bâtiment pour faire disparaitre les fissures». Aurélie y a tracé des figures qui s’entrelacent les unes aux autres, en fondus-enchainés proche du film gore : une femme tient un crâne aux orbites noires entre les mains, une autre se masturbe, une autre se fait écarter la mâchoire, une dernière dort allongée. Une tresse de cheveux lui sort du sexe comme un serpent et relie toutes les autres figures. C’est la même tresse de cheveux serpentine qui, sur un autre dessin géant, enroule les dents mal plantées dans une bouche, étrangle une petite fille ou sert de cordon ombilical à un bébé… Les cheveux dans ces dessins torturés illustrent l’idée centrale : tout est lié. Mort et vie inextricablement. Masculin et féminin. Animal et humain. Impossible de trancher nettement les limites.

«Mascarade pileuse» : inversion sexuelle et chevelure

Ce sentiment d’être reliée à tout –à ce qui l’entoure, aux êtres qu’elle aime et à sa propre disparition–, il n’est pas innocent qu’Aurélie Dubois le représente comme une tresse de cheveu. Dans un article intitulé «Pilosités héroïques et femmes travesties», l’historien François Delpech raconte l’anecdote suivante : en 713 après J.-C. le magnat visigoth Théodomir, enfermé dans une forteresse espagnole, fit croire aux assaillants musulmans qu’il possédait d’innombrables troupes. «Il fit monter sur les remparts les femmes de la ville après les avoir munies de bâtons susceptibles de passer de loin, pour des lances, et avoir arrangé leurs chevelures de telle sorte que les assiégeants puissent les prendre pour des hommes». La légende existe, sous différentes formes, dans beaucoup d’autres mythes indo-européens, toujours accompagnée de précisions sur les coiffures des femmes. «Les cheveux sont au centre même de l’anecdote», insiste François Delpech qui fait de la «mascarade pileuse» le ressort principal des stratégies de travestissement.

Cheveux et psychisme : même pouvoir d’excorporation

Le système pileux occupe une place privilégiée dans les cultures humaines. Florent Pouvreau dans Du poil et de la bête, le formule ainsi : «La qualité d’interface du poil, comme zone de contact entre l’intérieur et l’extérieur du corps, dépasse [souvent] le seul rapport d’échange et implique un rapport d’identité». Raison peut-être pour laquelle Aurélie Dubois fait des cheveux le nouveau support de son travail : les cheveux, par «illusion d’optique» peuvent facilement faire passer un homme pour une femme (et réciproquement). Mais les cheveux, surtout, renvoient à l’idée d’une toile : ils tissent autour du corps comme les rêts d’une pensée qui ne cesse de se projeter hors du corps. Les cheveux poussent sans cesse. La pensée s’extériorise de même : traversant la fragile paroi de notre tête, elle entre dans la tête des autres, elle essaie de penser à la place de l’autre… Impossible, sur le plan psychique, de faire franchement la différence entre notre corps et celui des personnes que nous regardons. Si nous voyons quelqu’un se faire mal, nous faisons la grimace. Notre capacité d’empathie est telle qu’il nous arrive parfois de «sentir» physiquement des choses à distance. Il y a là un danger, certainement. Chaque jour, nous essayons de protéger qui nous sommes (qui nous croyons être). La peur de perdre pied nous guette. C’est dans ce monde privé de repères, d’angoisse diffuse et de souffrance partagée qu’Aurélie nous invite à la suivre. Texte d'Agnès Giard

EXPOSITION : «Voir peut-il rendre fou ?», du 16 au 26 mars 2017 au 24Beaubourg : 24, rue Beaubourg 75003 Paris // Vernissage le jeudi 16 mars 2017. «Voir peut-il rendre fou» sur facebook.

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Ci-dessus : Aurélie Dubois

Reportage photographique : Jacques Snap (au cours du vernissage - 16 mars 2017)

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Titre : Développement Pulsionnel

Format : 56×76 cm

Technique : graphite, encre carbone, urine

Année : 2017

Le lien est rompu. Des mains ombrageuses d’un âge qui n’est pas celui de la petite fille marquent la compulsion sexuelle des prédateurs humains. La tresse est rompue et finie comme la tête d’un serpent ou d’un sexe masculin. Elle est dans la position d’une personne qui se recroqueville ou qui s’apprête à se séparer de ses déjections. Le signe de la déjection est une mise en parallèle avec le stade psychanalytique sadique-anal, siège des perversions à venir.

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Titre : jeux d’enfants

Format : 50X70 cm

Technique : photographie couleur

Année : 2012

Les enfants cherchent à connaître ce qui est caché. Les adultes ne cessent d’être ces enfants. Cette image est en or parce qu’elle est précieuse dans sa vérité.

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Titre : Mes tresses s’amusent

Format : 150×200 cm

Technique : mine graphite et papier moisi

Année : 2016

Synthèse de toutes les dimensions qui composent mon travail de création. La mort, la naissance, la beauté, le lien, l’emprisonnement, la laideur, le sommeil et l’éveil.

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