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Jours tranquilles à Paris
22 mars 2017

Auguste Rodin, éternel modèle

Par Philippe Dagen

Cent ans après la mort du sculpteur, deux expositions confrontent l’artiste à ceux qu’il a inspirés.

Auguste Rodin est mort le 17 novembre 1917, à 77 ans. Il fallait célébrer ce centenaire et ces hommages se déroulent au Grand Palais, à Paris. Mais celui-ci est à un quart d’heure à pied du Musée Rodin, rue de Varenne, qui conserve un immense ensemble de ses œuvres, travaux préparatoires, assemblages, dessins et aquarelles ainsi que sa collection d’antiques, des œuvres d’amis et celles de Camille Claudel.

Cette proximité obligeait à renoncer à la banale rétrospective et à trouver autre chose. Ce qui a été fait et bien fait. Ont été invités des artistes qui ont eu affaire à Rodin, de son vivant pour quelques-uns, après sa mort pour la majorité.

Etant donné la folle ampleur de sa création, ses expérimentations aventureuses, son dédain des conventions et sa passion forcenée pour la vérité des corps, les filles et fils de ce père titanesque sont nombreux et très différents les uns des autres. L’égalité est presque parfaite : à cent soixante-neuf Rodin sont confrontées cent soixante-deux œuvres de ses successeurs, ni respectueux ni dociles pour la plupart.

Rude affrontement

Le visiteur en est averti dès l’entrée : à côté du Penseur dans sa grande version de presque deux mètres de haut est assis un bonhomme de trois mètres de haut exécuté par l’artiste allemand Georg Baselitz, agrandissement en bronze d’une sculpture dégrossie dans le bois, peint en bleu vif et blanc. Sur son chapeau est écrit « Zero », car la pièce s’intitule Volk Ding Zero (chose populaire zéro).

L’affrontement est rude entre le modelé michélangelesque de l’un et les découpes rudimentaires de l’autre, la dignité méditative du Penseur et l’hébétude ou l’idiotie du pantin gigantesque qui trône à ses côtés, usurpateur ou bouffon.

Que Baselitz ait agi sciemment fait d’autant moins de doute qu’il a une connaissance encyclopédique de l’histoire de l’art. Il y joue volontiers le trouble-fête qui dégonfle les rhétoriques et rit des prétentions philosophiques de certains de ses confrères.

Or Rodin a parfois cédé à cette tentation, comme Victor Hugo, son alter ego, mage et satirique comme lui. Faire ainsi commencer le parcours revient à annoncer qu’il ne s’agit pas ici d’un pieux hommage, mais d’une opération de rajeunissement et de réactivation : Rodin descend de l’Olympe et se retrouve au présent.

Corps incomplets ou décapités

Il s’y trouve si bien qu’il arrive que l’on ne sache plus qui a fait quoi à quelle date. Ce Jongleur, également nommé L’Acrobate, de qui ? Une femme dont seuls épaules et bras reposent au sol porte sur ses pieds une deuxième figure masculine à l’anatomie difficile à comprendre. Les jambes de la porteuse et son dos sont anormalement étirés. Ces disproportions font penser à Henri Matisse, Germaine Richier ou Barry Flanagan, tous présents ici. Mais c’est un Rodin du début des années 1890, qui pourrait avoir été modelé un siècle plus tard.

Même remarque à propos de Petite ombre portant un nu féminin, plâtre des années 1880, aussi disproportionné. Le nu est acéphale et son bras gauche manque, ce qui ne l’empêche pas de paraître vivant puisque c’est la dynamique visible du modelage qui met en mouvement les corps incomplets ou décapités. Elle aussi qui, accentuant les volumes, creusant les orbites et ouvrant grand les bouches, injecte une présence terrible à des têtes sans corps.

Bien des sculpteurs ont tenté de suivre l’exemple de Rodin, de son élève Antoine Bourdelle à Alberto Giacometti, Jean Fautrier et Germaine Richier – encore elle, l’une des grandes figures de l’exposition car de celles qui, pour le dire brutalement, sont à la hauteur de Rodin, quand d’autres ne soutiennent pas la comparaison.

L’un des points culminants de cette liberté, ce sont les assemblages. Rodin se sert des figures qu’il modèle et tire en plâtre comme autant d’éléments qui peuvent être renversés, coupés, greffés entre eux, associés à une branche de houx séchée ou une petite coupe de terre cuite.

Bronzes érotiques

Au masque de Camille Claudel il attache une main à hauteur de l’oreille gauche. Il juche la tête d’Henry Becque en déséquilibre sur le cou – creux évidemment – de L’Ombre et ajoute une sorte de feuille de plâtre oblique, ce qui accroît l’impression d’une statue en train de se défaire. C’est juste sidérant.

Les nymphes accroupies, ployées ou écartelées qu’il glisse dans des vases ou entre les nœuds d’un serpent de terre cuite surprennent moins, étant depuis longtemps intégrées à l’histoire de l’assemblage dont le surréalisme est, après Rodin, le deuxième apogée.

Autres moments où il anticipe sur ce qui vient plus tard, les sections consacrées aux œuvres sur papier. Parfois on peut hésiter sur l’attribution.

Ces nus spectraux, peaux translucides, taches de couleurs flottantes : de Rodin la plupart. Mais aussi de Joseph Beuys – occasion de rappeler son œuvre graphique, trop négligée. Les nus au crayon rehaussés d’encre et de gouache ? Lui encore, mais aussi Théodore Géricault, avant lui, et Jean-Paul Marcheschi, artiste vivant et méconnu à qui l’exposition accorde une place légitime.

La nudité selon Rodin étant très crue, ces corps de dames s’allongent ou se crispent entre ceux tracés par Millet, Klimt, Schiele ou Fautrier. Il manque Dufour et ses études d’après Iris messagère des dieux de 1895 aux jambes écartées – affreusement mal présenté ici.

Cette question du désir et de l’obscénité, évidemment centrale, n’est pas la mieux traitée. On ne sait quelle pudibonderie empêche que des Bellmer, des Masson et des Picasso ne rappellent que Rodin est, avec Courbet, l’un des deux transgressifs décisifs du XIXe siècle. L’auteur d’Obsession et de Femmes damnées, bronzes érotiques, leur a, si l’on ose dire, montré la voie.

Deux Annette Messager seulement, c’est trop peu. L’absence de Louise Bourgeois est aussi peu justifiable et, côté Etats-Unis encore, celle de Gaston Lachaise, l’un des sculpteurs les plus extravagants du XXe siècle. On aurait ôté quelques Lehmbruck solennels et les encombrantes fontaines à symboles de Minne et de Mestrovic pour leur fait place, le rôle essentiel de Rodin en la matière aurait été mieux démontré.

Plusieurs sculptures méconnues

Le Musée Rodin devait s’associer à la manifestation. Il a invité Anselm Kiefer, dont on avait vu avec peine à la Royal Academy de Londres en 2014 des dessins d’après les érotiques de Rodin. Ceux qui sont montrés à Paris sont aussi peu convaincants et les tableaux qui seraient des hommages aux Cathédrales de France, ouvrage de Rodin paru en 1914, ne sont que le dernier état de ce que Kiefer fait avec ses tours en béton de guingois depuis plus d’une décennie. Faire couler un peu de plomb par-dessus n’en fait pas des chefs-d’œuvre.

On sortirait dépité du musée si celui-ci ne profitait de l’occasion pour montrer quelques aquarelles de nus, où l’anatomie féminine devient architecture monumentale, et plusieurs sculptures méconnues de Rodin.

Parmi elles, restaurée récemment, Absolution : deux corps de plâtre qui ne sont pas à la même échelle et ne sont pas non plus complets, une caisse en bois en guise de socle et un drap plissé et enduit de plâtre par endroits enveloppant le groupe comme un linceul. On ne sait pas précisément quand Rodin a procédé à cet assemblage, sans doute l’un de ses plus grands. Il faut tourner autour de ce monument silencieux dédié à la souffrance et au deuil pour mesurer, une fois de plus, combien Rodin a révolutionné la sculpture.

« Rodin, l’exposition du centenaire ». Grand Palais, Paris 8e. Du mercredi au lundi de 10 heures à 20 heures, 22 heures les mercredis, vendredis et samedis. Entrée : de 9 € à 13 €. Jusqu’au 31 juillet.

« Kiefer-Rodin ». Musée Rodin, 77, rue de Varenne, Paris 7e. Du mardi au dimanche de 10 heures à 17 h 45. Entrée : de 7 € à 10 €. Jusqu’au 22 octobre.

L'#ExpoRodin vient d'ouvrir au #GrandPalais, le voile est levé! 🎉 #expoparis #paris #expo #rodin #rodin100 #sculpture #exhibition

Une publication partagée par Le Grand Palais (@le_grand_palais) le 22 Mars 2017 à 3h58 PDT

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