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Jours tranquilles à Paris
28 mars 2017

En Russie, la génération Poutine dans la rue

Par Isabelle Mandraud, Moscou, correspondante - Le Monde

L’opposant Alexeï Navalny a été condamné lundi à quinze jours de détention après les manifestations de la veille, qui ont rassemblé une majorité de 15-25 ans.

On les disait détachés, vaccinés de la politique. Les jeunes Russes ont répondu massivement présents à l’appel de l’opposant Alexeï Navalny pour protester contre « la corruption du pouvoir ». « La révolte des enfants contre les pères », titrait à la « une », lundi 27 mars, Moskovski Komsomolets, au lendemain des plus importantes manifestations qu’ait connues la Russie depuis la réélection de Vladimir Poutine en 2012.

Parmi les 1 030 personnes interpellées à Moscou recensées par OVD-Info, une ONG spécialisée dans la surveillance des mouvements de contestation, 46 au moins étaient des mineurs. Beaucoup avaient 18 ans, ou à peine plus, c’est-à-dire l’âge de ceux qui n’ont connu que l’actuel président parvenu au pouvoir en 2000. La génération Poutine.

Le phénomène n’a pas échappé au Kremlin. « Nous ne pouvons pas respecter ceux qui, sciemment, trompent les mineurs, en fait des enfants, en les encourageant et en leur promettant certaines récompenses pour prendre part à une manifestation non autorisée, exposant ainsi leur sécurité et même leur vie », a fustigé dès le lendemain le porte-parole de la présidence, Dmitri Peskov.

« Ce que nous avons vu dans de nombreux endroits et davantage encore à Moscou était une provocation », a-t-il ajouté, laissant planer l’image d’un Navalny dans le rôle de Peter Pan, entraînant derrière lui des jeunes séduits par des contes de fées. Lundi, l’opposant, candidat à la présidentielle de 2018, a été condamné à quinze jours de détention pour refus d’obtempérer à la police et 20 000 roubles d’amende (environ 330 euros) pour rassemblement illicite.

« Poutine, voleur »

A Nijni-Novgorod, sur les bords de la Volga, des parents de lycéens interpellés ont reçu un procès-verbal pour « non-exécution de leur devoir d’éducation », conformément à un article du code civil. A Tomsk, filmé par un téléphone portable, c’est un jeune orateur, élève de 6e, qui s’est saisi du micro lors du rassemblement dans cette ville de Sibérie occidentale. « Bonjour, je m’appelle Gleb Tokmakov, s’est-il exclamé un bonnet enfoncé par-dessus ses yeux clairs et ses joues rondes. La Constitution doit travailler pour nous et non pour les corrompus ! » « A bas l’inégalité entre les canards ! », brandissait drôlement sur une affichette Katia, 16 ans, sur l’avenue Tverskaïa de Moscou.

Symboles de la contestation, baskets et canards en plastique ont fait fureur parmi les 15-25 ans venus en nombre dans les défilés. La plupart d’entre eux connaissaient parfaitement la vidéo de 50 minutes diffusée le 2 mars sur YouTube, dans laquelle Alexeï Navalny, décortiquait en détails les biens du premier ministre Dmitri Medvedev acquis par l’entremise de proches, depuis ses baskets onéreuses jusqu’à ses résidences somptueuses abritant des canards. Non seulement la vidéo, vue par plus de 12 millions de personnes, révèle une réalité différente de l’actualité officielle, mais aucune réponse ou aucune tentative d’explications n’a été fournie par le gouvernement.

En utilisant tous les réseaux sociaux pour contourner la censure des chaînes de télévision du pouvoir, Alexeï Navalny, 40 ans, a joué sur la corde sensible de la corruption. « La machine télé-propagande n’agit pas sur la jeunesse et toute cette xénophobie ultra-patriotique orthodoxe ne peut donner que la nausée, assène le sociologue Igor Eïdmann. Les jeunes vont sur Internet chercher l’information réelle sur ce qui se passe dans le pays. »

L’influence de Navalny plus forte grâce à Facebook ou Twitter ? Voilà de quoi aviver la paranoïa du pouvoir russe, qui n’a cessé de dénoncer le rôle joué par les réseaux sociaux dans les révoltes arabes et le soulèvement ukrainien, avec le soutien des occidentaux. « Le pouvoir doit revoir son attitude sur le phénomène Navalny qui les a doublés », affirme le politologue Andreï Kolesnikov, cité par le journal Vedomosti.

A Moscou, sur la place Pouchkine, deux adolescents accrochés à un lampadaire ont créé le buzz lorsque, cessant d’agiter un drapeau russe, l’un d’eux a eu l’idée de verser de l’eau sur un policier. « Descendez, ou vous serez arrêtés », leur a intimé ce dernier. « De toute façon, on sera arrêté, j’aime autant rester ici », lui a répondu l’un des gamins sans se démonter. Au final, lui et son copain ont fini dans un fourgon, comme beaucoup d’autres.

Lundi, l’un des premiers condamnés, né en septembre 1999, a été condamné à dix jours de prison pour avoir crié « Poutine, voleur » en « gesticulant » et parce qu’il « s’appuyait les pieds sur l’asphalte », comme l’indique curieusement le procès-verbal. « Je ne suis pas d’accord, je ne me considère pas coupable », a ajouté le jeune homme à côté de sa signature. Sans illusion, sans adhésion à un quelconque parti, ni même à la personne d’Alexeï Navalny, la génération Poutine tient tête.

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