Flyboard, l’ovni qui cherche sa place dans le ciel français
Par Philippe Jacqué
Cette planche fend l’air à 150 km/heure. L’invention intéresse l’armée mais son développement est bloqué faute d’homologation.
Sur la Toile, c’est l’indignation. Comment l’administration ose-t-elle couper les ailes d’un inventeur ? A lire les commentaires des internautes, le pays ne saurait pas valoriser ses pépites. Il forcerait ses meilleurs entrepreneurs à l’exil. Et notamment Franky Zapata.
Franky qui ? Son nom n’est pas encore très connu, mais les images de ses exploits ont fait le tour du monde. Et pour cause. Perché sur une planche dotée de six moteurs, le voltigeur, sanglé dans sa combinaison sombre, fend les airs, droit comme un i, vers l’horizon au-dessus de la mer Méditerranée. Il y a du Batman ou de l’Iron Man dans ce sportif passionné de défis. A 38 ans, il est à la tête de Zapata Racing, une société de la région de Marseille spécialisée dans le développement des « flyboards ».
Attraction fascinante
En 2011, l’inventeur a créé sa première planche, un engin volant relié à un jet-ski par un tuyau contenant de l’eau sous pression. Après avoir déposé de nombreux brevets, Zapata Racing a finalement industrialisé, à partir de 2012, cette première planche en s’appuyant sur le tissu industriel français. « C’est un produit 100 % made in France, précise-t-il. En cinq ans, nous en avons vendu 10 000. »
De nombreux spectacles aquatiques en Chine, aux Etats-Unis ou en Europe proposent cette attraction fascinante. En bord de plage, notamment à Miami, des loueurs proposent d’expérimenter le curieux engin. La petite société emplois désormais dix-sept personnes en France et une quarantaine à l’étranger, dont de nombreux démonstrateurs.
Pour être sûrs de pouvoir exploiter cette première planche à eau, « nous avons établi une nouvelle réglementation de ce type d’engins avec la Direction des affaires maritimes », précise le chef d’entreprise casse-cou.
Grâce au flyboard, la PME a décollé. Son chiffre d’affaires est passé de 500 000 euros en 2015 à plus de 5 millions en 2016, selon le chef d’entreprise. « Nous réalisons environ 1 million de bénéfices que nous réinvestissons dans le développement de notre Flyboard Air, précise Franky Zapata. Nous y pensions depuis le début. » Le premier vol a eu lieu officiellement mi-2016.
Un gros travail de sécurisation
Grâce à ses six turbo-réacteurs fonctionnant au kérosène, Franky Zapata peut voler dix minutes durant jusqu’à 150 km/h et à plus de 3 000 mètres. « Non seulement le système électronique est doublé, ce qui lui permet de fonctionner si l’un des systèmes tombe en panne, mais la planche poursuit son vol même si elle perd deux de ses six moteurs. Nous avons fait un gros travail pour sécuriser le Flyboard », précise M. Zapata.
La Direction générale de l’armement (DGA) couve ce projet. « Il a retenu l’attention du ministère de la défense, confirme-t-on à la DGA. Des rencontres ont eu lieu entre la DGA et les forces armées. Et l’entreprise a déposé une demande pour une subvention de type Rapid [régime d’appui pour l’innovation duale]. »
« Nous avons été sollicités dans le monde entier », assure par ailleurs Franky Zapata. Bref, la success story était en marche. C’était sans compter sur l’une des voisines de M. Zapata à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône).
Convoqué par les gendarmes
C’est de là qu’il s’élançait vers la mer pour perfectionner sa planche. Cette personne a porté plainte pour trouble de voisinage. Et les gendarmes ont convoqué, le 1er mars, l’inventeur pour « conduite d’un aéronef sans document de navigation, absence de titre aéronautique et survol d’une agglomération ».
Problème, alors que l’entrepreneur a déposé une demande d’homologation en décembre 2016 à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), il n’a toujours pas obtenu de réponse. « Les études sont en cours, confirme-t-on à la DGAC. Mais pour ce type de nouvelles machines, cela peut prendre du temps. La priorité est d’évaluer la sécurité du Flyboard, puis son insertion dans l’espace aérien. »
En attendant, « le procureur m’a demandé de ne plus voler, précise M. Zapata. Je risque jusqu’à dix ans de prison si je suis mis en examen ». Alors, que faire ?
La défense a bien proposé de prêter des terrains militaires. « Pour les essais, j’ai besoin de l’eau. Je suis en train de le pousser à fond pour en connaître ses limites, reprend l’entrepreneur. Si je tombe, je ne veux pas m’écraser à terre. Si je ne peux pas développer mon produit en France, je serai contraint d’aller ailleurs. Mais ce sera vraiment en dernier recours… »