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Jours tranquilles à Paris
11 avril 2017

Le dilemme du Kremlin face à la fronde des jeunes

Par Isabelle Mandraud, Moscou, correspondante

Deux semaines après les plus grands rassemblements de protestation qu’a connus la Russie depuis les années 2011-2012, marqués par une forte présence de jeunes dans la rue, le pouvoir cherche une issue.

La répétition s’interrompt. Sous le regard atterré de ses collègues, Andreï Ossipov, jeune premier violoniste de l’orchestre symphonique de la ville de Tcheboksary, située à 600 kilomètres de Moscou, dans la région de Tchouvachie, est emmené ce 31 mars par un policier. « J’étais à la manifestation contre la corruption du pouvoir. Dmitri Medvedev [premier ministre] nous a volé des milliards, dit-il en se levant avec calme. Que quelqu’un s’occupe de mon violon. » Deux semaines après les plus grands rassemblements de protestation qu’a connue la Russie depuis les années 2011-2012, marquées une forte présence de jeunes dans la rue, le pouvoir cherche une issue.

Les interpellations, plus de 1 600 sur tout le territoire, se sont poursuivies sans donner lieu, jusqu’ici, à des condamnations pénales. Le sort de l’opposant Alexeï Navalny, qui devrait sortir de prison lundi 10 avril, après avoir été placé 15 jours en rétention, reste en suspens. Cible numéro un de la contestation, après la diffusion d’une vidéo l’accusant de corruption massive, Dmitri Medvedev, est en chute libre dans les sondages avec 57 % d’opinions négatives en mars, selon l’Institut Levada. Jamais, depuis 2006, le premier ministre n’était descendu en dessous de 50 % d’opinions favorables. Un deuxième sondage du même institut, publié jeudi 6 avril, révèle que 38 % des Russes approuvent les manifestants, motivés, selon eux, par un mécontentement « accumulé ».

Echange cinglant

Profitant de la trêve ouverte par l’attentat meurtrier survenu le 3 avril dans le métro de Saint-Pétersbourg, M. Medvedev est pour la première fois sorti de son silence. En visite mardi dans une usine de Tambov, il a dénoncé les « objectifs politiques » d’Alexeï Navalny, à l’origine de la vidéo, sans le nommer autrement que « ce personnage ». Sans démentir sur le fond, le chef du gouvernement a surtout mis en avant le « principe de la compote : on prend de la boue, on récolte des absurdités et on mélange (…). Ils [l’opposition] rassemblent des paperasses, des photos (…) et ils en font un tout ». Jeudi, d’autres rassemblements ont pris le relais. A Moscou, 50 000 personnes selon la police se sont réunies « contre le terrorisme », à l’initiative des autorités.

Des enseignants sont montés au créneau pour tenter de raisonner les adolescents et les étudiants descendus massivement dans la rue le 26 mars. Mais loin de faire profil bas, les jeunes persévèrent dans le registre de la fronde. Comme à Tcheboksary, tout est filmé avec des téléphones portables, et immédiatement publié sur les réseaux sociaux. A Bryansk (350 km au sud-ouest de Moscou), un élève a ainsi enregistré la directrice de son établissement venue sermonner toute une classe après l’interpellation de l’un d’eux. « Ce que fait Navalny est une pure provocation (…), notre situation économique est très instable… » plaide-t-elle. Mal lui en prend. A cause de la Crimée et des sanctions, lui répondent du tac au tac des élèves.


L’échange est cinglant. « Vous avez vu des troupes russes en Ukraine ? », s’étrangle la principale. « Oui, il y a des vidéos », lui répond sans se démonter un jeune. « Des montages (…). Vous regardez dans une seule direction », poursuit la responsable, s’attirant pour toute réponse : « Oui, et nos chaînes de télé montrent seulement ce qui est bon pour le gouvernement. » « Ça signifie quoi, être un patriote ? Que vous soutenez les autorités ? », lance un autre. « Bon, donc, vous pensez que la vie dans ce pays est pire depuis l’arrivée de Poutine et Medvedev ? », s’énerve la directrice. « Non, mais ils sont restés trop longtemps », riposte un élève.

« Colombes » ou « faucons »

La même scène s’est produite ailleurs. A l’université de Tomsk (Sibérie occidentale), un enseignant, qui tentait de minimiser la corruption, s’est vu vertement répondre : « Ça vous plaît, quand on vous vole ? ». A Samara, non loin de la frontière avec le Kazakhstan, d’autres étudiants ont dû assister à un forum baptisé « non à l’extrémisme », au cours duquel ont été diffusées des vidéos sur les « printemps arabes » et le soulèvement de 2014 à Kiev, en Ukraine. Là encore, un étudiant malvoyant a été expulsé après avoir entonné un chant ironique. Selon Kirill Martinov, rédacteur en chef du journal indépendant Novaïa Gazeta, le pouvoir, tiraillé entre « colombes » et « faucons », hésiterait sur la marche à suivre. « La victoire des seconds amènerait à une augmentation inacceptable des risques pour la société et pour le Kremlin », prédit-il. A un an de l’élection présidentielle, l’embarras est manifeste.

Plusieurs projets de loi sont sur la table, l’un pour renforcer l’« éducation patriotique », l’autre pour restreindre l’accès des jeunes aux réseaux sociaux, considérés comme le principal vecteur du succès des manifestations. Leur accès deviendrait impossible aux mineurs de moins de 14 ans et obligerait les autres à s’identifier « avec leur passeport », selon le quotidien Izvestia de jeudi 6 avril. « La pertinence de ce texte est confirmée par les événements récents », y soulignait Vladimir Petrov, député de l’assemblée législative de la région de Leningrad. Citant des sources anonymes de l’administration présidentielle, le site RBK rapporte pour sa part que le Kremlin réfléchirait à une « reconfiguration » de la télévision russe sous son pouvoir, où l’on parlerait davantage de la situation intérieure du pays.

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