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Jours tranquilles à Paris
17 avril 2017

L’évacuation de civils syriens tourne au carnage

Par Laure Stephan, Beyrouth, correspondance - Le Monde

Un accord visait à instaurer une trêve autour de quatre localités. Mais l’attentat qui a fait 126 victimes samedi risque d’exacerber les tensions confessionnelles.

Dans la très sale guerre syrienne, l’attentat de Rachidine est un nouveau sommet d’horreur. Cent vingt-six personnes, dont 68 enfants, ont été tuées – selon un bilan encore provisoire – lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser, samedi 15 avril, sur un terrain en plein air transformé en parking, dans cette banlieue d’Alep contrôlée par la rébellion. Des centaines de familles venues de villages pro-régime attendaient près des bus, sous la surveillance de combattants anti-Assad, d’être évacuées en zone loyaliste, dans le cadre d’un accord complexe.

Les images filmées sur place, tandis que les véhicules stationnés étaient en feu, sont insoutenables : des bouts de corps partout au sol, des enfants au visage couvert de sang ou des adultes terrifiés tentant de s’éloigner du lieu de l’explosion. Et puis, plus tard, cette photographie : des dizaines de corps enveloppés dans des sacs noirs. Selon plusieurs médias pro-gouvernementaux, le kamikaze, arrivé sur place à bord d’une camionnette, s’est fait exploser après que des enfants s’étaient regroupés pour obtenir nourriture et eau.

La plupart des victimes sont originaires de Foua et Kefraya, deux villages loyalistes chiites enclavés dans la province d’Idlib (nord-ouest). Ils sont assiégés depuis près de deux ans par les groupes radicaux de l’opposition qui dominent cette région. L’attentat a aussi fait des victimes parmi les secouristes et les rebelles déployés à Rachidine.

L’explosion n’a pas été revendiquée. Elle risque d’exacerber davantage les tensions confessionnelles. L’attaque s’est produite alors que les opérations pour l’évacuation de civils et de combattants venus de localités favorables au régime ou à l’opposition étaient bloquées, samedi. Cette mise en application de l’accord dit des « quatre villes », qui comprennent Foua et Kefraya, est complexe, car les opérations doivent être simultanées, et peuvent être interrompues par des exigences de dernière minute.

Tristesse et colère

Le pouvoir syrien accuse des « groupes terroristes » – l’appellation qu’il réserve à l’ensemble des combattants anti-Assad – d’avoir commis l’attentat, sans nommer de factions. Le groupe salafiste Ahrar Al-Cham, qui est partie de l’accord et dont plusieurs hommes ont été tués dans l’attaque, a rejeté toute responsabilité. Dans un communiqué, il affirme que l’attaque bénéficie au régime, et appelle à une enquête internationale. Les djihadistes de l’ex Front Al-Nosra – branche syrienne d’Al-Qaïda – ou de l’organisation Etat islamique ont revendiqué plusieurs offensives contre des civils en zone loyaliste au cours des mois passés.

L’attentat n’a pas donné lieu à des représailles, comme le redoutaient les habitants évacués de Madaya, commune également concernée par l’accord. Cette petite localité pro-opposition proche de Damas est soumise au siège hermétique de l’armée syrienne et du Hezbollah depuis l’été 2015, qui veulent obtenir la reddition de cette poche rebelle. Lors de l’explosion, les déplacés de Madaya étaient parqués tout près de Rachidine, dans une autre banlieue d’Alep, cette fois tenue par les combattants pro-Assad.

A la nuit tombée, samedi, l’évacuation s’est finalement conclue : les quelque 5 000 habitants venus de Foua et Kefraya, civils pour la plupart mais aussi combattants, se sont dirigés vers la ville d’Alep, tenue par les forces pro-régime. Et plus de 2000 personnes de Madaya, insurgés, activistes ou familles, ont été transférés vers la province rebelle d’Idlib, toute proche.

Ces opérations sont le fruit d’un accord qui n’est pas local, mais régional : il a été parrainé par le Qatar, qui soutient plusieurs factions radicales de la région d’Idlib, et par l’Iran, pilier militaire et économique du régime. Les déplacés ont été contraints de quitter leurs maisons. Leur situation y était intenable : peur des bombardements et épuisement face aux privations du siège. D’autres sont partis par volonté de rester aux côtés d’un parent combattant ou, dans le cas des activistes anti-Assad de Madaya, par crainte de représailles du régime. Parmi ces militants, à la tristesse du départ s’ajoute le sentiment de colère d’avoir fait les frais d’un accord régional, soutenu par Ahrar Al-Sham et l’ex-Front Al-Nosra.

« Beaucoup de remous »

L’accord des « quatre villes », sous sa forme initiale, négociée en 2015 par Ankara et Téhéran, visait à instaurer une trêve autour des localités (Foua et Kefraya, chiites ; Madaya et sa voisine, Zabadani, à majorité sunnite). Mais c’est désormais la création de zones militaires homogènes – sous contrôle total du régime ou de l’opposition, même si des civils sont encore sur place – qui semble à l’œuvre. « Ces évacuations créent beaucoup de remous parmi les Syriens, elles soulignent que ce sont des pays étrangers qui contrôlent le jeu », affirme Bassam Al-Ahmad, activiste de l’opposition basé à Istanbul et consultant pour la Fédération internationale des droits de l’homme, qui dénonce des « déplacements forcés ». Des rumeurs autour de l’accord, dont le texte détaillé n’est pas connu, font état d’autres évacuations à venir dans les banlieues de Damas.

Dimanche soir, les nouveaux départs qui devaient avoir lieu depuis Zabadani, Foua ou Kefraya, ont été suspendus. Des évacués des villages chiites rescapés de l’attentat restaient sans nouvelles de leurs proches : selon des sources pro-régime, une partie des blessés auraient été conduits en zone rebelle.

Le pape François et la France condamnent l’attentat En appelant à la paix en Syrie lors de sa traditionnelle bénédiction Urbi et Orbi du jour de Pâques, le pape François a condamné, dimanche 16 avril, l’« ignoble attaque » survenue la veille, qui a coûté la vie à 126 personnes, selon un bilan encore provisoire, dans la banlieue d’Alep. La France a « fermement » condamné cet attentat commis par un kamikaze qui a fait exploser sa camionnette piégée près d’habitants évacués de Foua et Kefraya. « Les personnes responsables de cette attaque devront être traduites devant la justice », a pour sa part affirmé Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général des Nations unies. Dimanche soir, la Coalition syrienne, l’une des principales plate-formes de l’opposition, n’avait pas publié de communiqué officiel pour condamner l’attentat.

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