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Jours tranquilles à Paris
20 avril 2017

Les Européens embarrassés par la victoire de l’hyper-président Erdogan

Par Cécile Ducourtieux, Bruxelles, bureau européen

Partenaire de la Turquie dans la lutte contre l’organisation Etat islamique ou dans la gestion de la crise migratoire, l’UE a réagi avec prudence aux résultats du référendum de dimanche.

Très serré et déjà contesté, le résultat du référendum turc de dimanche 16 avril, à l’issue duquel le président Recep Tayyip Erdogan a revendiqué la victoire avec 51,4 % des voix, embarrasse au plus haut point les Européens.

Ils ne peuvent pas faire comme si la réforme institutionnelle qui renforce considérablement les pouvoirs du « reis », ainsi que l’appellent ses partisans, ne posait pas problème. En mars, évoquant ce référendum, le Conseil de l’Europe avait pointé un risque de dérive vers un régime « autocratique ».

Ils ne peuvent pas non plus ignorer les accusations d’irrégularités lors du scrutin, alors que mardi, le principal parti d’opposition turc (le CHP), a réclamé l’annulation du référendum après que les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont provisoirement considéré qu’il s’était déroulé « en deçà des normes internationales démocratiques ».

Partenaire essentiel

Mais les Européens – et spécialement les Allemands (qui comptent 3 millions de citoyens d’origine turque) –, redoutent de casser un lien déjà très dégradé avec un partenaire jugé essentiel : la Turquie est géographiquement à leurs portes, membre de l’OTAN et de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI). Ils lui ont en outre sous-traité une partie de la résolution de leur crise migratoire, grâce à l’accord de mars 2016 de renvoi des migrants de la Grèce vers la Turquie.

La Commission européenne a donc réagi avec la plus grande prudence, mardi. Le chef de ses porte-parole, Margaritis Schinas a invité « les autorités turques à mener une enquête transparente sur les soupçons d’irrégularités ». « Une telle déclaration spéculative de la part d’un porte-parole ne peut être acceptée », a dénoncé en retour Omer Celik, ministre turc des affaires européennes.

La Commission devrait se garder d’intervenir davantage avant la publication du rapport final de l’OSCE, attendu pour dans huit semaines.

Les responsables politiques européens ne devraient pas débattre de la Turquie avant le prochain conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne (UE), le 28 avril.

Processus d’adhésion gelé

Le ministre autrichien, Sebastian Kurz, a certes estimé, lundi, que le référendum turc devait conduire l’UE à faire preuve de « franchise » et à stopper les négociations d’adhésion du pays. Une position que Vienne défend avec constance depuis l’été 2016.

Mais l’Autriche reste minoritaire sur cette ligne dure. La plupart des Européens prônent un prudent statu quo. A en croire l’agence de presse turque Anadolu (qui cite des sources diplomatiques) le ministre hongrois des affaires étrangères est même allé jusqu’à féliciter son homologue turc pour la courte victoire d’Erdogan…

La seule question que se posaient les diplomates, mardi, était de savoir si le ministre turc ferait le déplacement, le 28 avril. « En plus, la réunion est informelle » précise l’un d’eux, « on va être attentifs aux premières décisions d’Erdogan suite au référendum, mais l’essentiel des mesures institutionnelles ne devrait pas intervenir avant 2019. »

La majorité des pays de l’UE persistent à refuser de dénoncer eux-mêmes le processus d’adhésion, ouvert officiellement en 2005 même s’il est complètement gelé depuis près d’un an. Ils ne veulent pas donner raison à M. Erdogan qui dénonce régulièrement l’hypocrisie supposée de l’UE, estimant que cette dernière n’aurait jamais vraiment souhaité que son pays devienne un jour membre.

La question de la peine de mort

Surtout, ils craignent une remise en cause de l’accord de mars 2016. Contesté par les ONG, il s’est révélé efficace. Selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations, il n’y a eu qu’un peu plus de 4 000 arrivées en Grèce depuis début 2017, contre plus de 150 000 sur la même période en 2016.

Ankara multiple depuis des mois les menaces de suspension de l’accord, sans passer à l’acte. A Bruxelles et à Berlin, on est convaincu que M. Erdogan n’a pas intérêt à renoncer à cet accord qui lui rapporte de l’argent pour les réfugiés (l’UE dit avoir versé déjà 2,2 milliards d’euros). Mais les Européens restent inquiets : ils dépendent d’un coup de tête d’Ankara.

« L’UE devrait passer moins de temps à vérifier si la Turquie remplit les critères pour une libéralisation des visas vers l’Europe [une de ses promesses dans le cadre de l’accord migration], et davantage à sécuriser elle-même ses frontières pour diminuer sa dépendance d’avec Ankara », déplore Amanda Paul, spécialiste de la Turquie au sein du think-tank bruxellois EPC.

A court terme, seule la réintroduction de la peine de mort en Turquie, qu’Erdogan promet régulièrement à ses partisans, obligerait les Européens à sortir de l’ambiguïté, probablement aux dépens de toutes les parties.

« [L’abolition de la peine de mort] est un des acquis fondamentaux de l’UE. Passer de la rhétorique à l’action serait un signe clair que la Turquie ne veut pas accéder à l’UE », a précisé M. Schinas, mardi. Et d’ajouter : « [le président de la Commission européenne Jean-Claude] Juncker souhaite que la Turquie se rapproche à nouveau de l’Europe et cesse de s’en éloigner. »

turquie

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