Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 mai 2017

Festival de Cannes 2017 - « Le Redoutable » : clichés de Godard en mai

Par Thomas Sotinel

Michel Hazanavicius filme l’amour et le désamour de Jean-Luc Godard et Anne Wiazemsky, en 1967-1968. Un joli objet pop, qui ne s’approche jamais tout à fait de son sujet.

SÉLECTION OFFICIELLE - EN COMPÉTITION

Des rires, aux bons endroits, quelques applaudissements, quelques sifflets : la projection de presse du Redoutable, samedi 20 mai, de Michel Hazanavicius, n’entrera pas dans la chronique des scandales cannois. Pourtant le film s’attaque, se moque de, pastiche, caricature et réimagine Jean-Luc Godard, sujet et objet avec lequel d’habitude, en pays cinéphile, on ne rigole pas.

Le Redoutable emprunte son titre au premier sous-marin nucléaire français, lancé en 1967. Un reportage radio qui relate sa première croisière, fournit au film son leitmotiv : « Ainsi va la vie à bord du Redoutable ». C’est une de ces phrases codées qu’on utilise à intervalle régulier entre amoureux, en l’occurrence Jean-Luc Godard et Anne Wiazemsky, dont le film raconte l’amour et le désamour, en 1967 et 1968.

Le scénario est adapté des deux livres de souvenirs d’Anne Wiazemsky – Une année studieuse et Un an après. S’il ne s’agissait que de cela, d’une comédie sentimentale, Le Redoutable serait un film plutôt réussi. Louis Garrel et Stacey Martin vont aussi bien ensemble que leurs modèles, et Michel Hazanavicius les filme tantôt comme Truffaut filmait Jean-Pierre Léaud et Claude Jade dans Domicile Conjugal, tantôt comme Piccoli et Bardot dans Le Mépris.

Insoluble contradiction

Les références accumulées dans la phrase précédente ne sont pas seulement, pour une fois, le signe de la pédanterie du critique. Elles sont aussi le symptôme de l’insoluble contradiction, pour reprendre un terme en vogue à l’époque, qui finit par défaire le projet de Michel Hazanavicius.

Depuis ses débuts, le réalisateur s’est servi du cinéma existant pour fabriquer d’autres films : les classiques hollywoodiens doublés et remontés de La Classe américaine, les nanars français parodiés dans OSS 117, le cinéma muet tardif pastiché avec amour dans The Artist.

Or Le Redoutable a pour personnage central l’un des plus grands inventeurs du cinéma moderne. Cette quête jamais assouvie de nouvelles façons de faire du cinéma n’a jamais séparé le propos de la forme, le vocabulaire de la syntaxe.

Au moment où Hazanavicius s’empare de ce personnage (et l’auteur du Redoutable ne prétend pas faire œuvre d’historien), Godard est en phase de réinvention, ce qui pèse sur son couple (après tout, Anne Wiazemsky est comédienne et la perspective d’un cinéma sans personnages, sans récit, sans acteurs ne lui offre pas un avenir radieux) et lui fait tourner le dos à ceux et celles qui avaient fait un bout de chemin avec lui. C’est une affaire sérieuse, qu’il n’est pas interdit de traiter sur le mode comique, encore faut-il trouver la juste distance, le juste regard sur le moment que l’on tente de saisir.

De Mai 68, Hazanavicius ne retient que les moments de ridicule

Le Redoutable est un film à grand spectacle quand il met en scène les manifestations de Mai 68. Cette ampleur – du cadre, de la figuration – est pourtant démentie par la dynamique des séquences de combat de rue qui ne sont que déroutes cocasses des contestataires.

De toute évidence, Michel Hazanavicius ne prend pas au sérieux le fond de l’affaire. De l’intervention de Godard (et Truffaut, et Malle, et Resnais…) à Cannes, il ne retient que la déception (fictive) de Michel Cournot (Grégory Gadebois, ce qui pour un collègue de feu Michel, devenu par la suite critique de théâtre au Monde, est assez déconcertant).

Cournot se plaint de n’avoir pu « faire naître » son film à Cannes, comme Hazanavicius y vit naître The Artist (et y mourir The Search). Des débats de ce mois-là, l’auteur d’OSS 117, Rio ne répond plus ne retient que les formules les plus creuses, les moments de ridicule. Des expériences de cinéma autogéré que la prise de pouvoir de plèbe aux dépens des vrais artistes.

Si l’on refoule cet aspect du Redoutable, cette tentative de portrait de l’artiste en période de mue, qui ne s’approche jamais tout à fait de son sujet, si l’on oublie l’état-civil du personnage à l’écran, celui avec les lunettes noires et le léger accent, le film est un joli objet pop.

Parmi les emprunts à Godard, il y a une palette aussi stricte que celle de Pierrot le fou, sauf qu’elle est ici bleu blanc rouge (on se gardera de toute exégèse). Mais il y a aussi des inventions charmantes comme cette scène de ménage polyphonique faite de propos anodins sur la bande-son pendant que les sous-titres livrent un bulletin de santé inquiétant quant à l’état du couple Godard-Wiazemsky. L’emballage d’époque est impeccable, et mieux vaut ne pas en défaire les nœuds.

Film français de Michel Hazanavicius. Avec Louis Garrel, Stacey Martin, Bérénice Béjo, Micha Lescot, Grégory Gadebois (1 h 47). Sortie en salles le 13 septembre.

Publicité
Commentaires
Publicité