Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
26 juin 2017

Le Centre Pompidou célèbre Hockney, l’un des plus grands peintres vivants, à l’occasion de ses 80 ans.

Par  Yves Jaegler 

On prend la mesure d’une grande exposition au manque qu’elle crée après la première visite, comme après une rencontre. C’est exceptionnel au sens littéral, de voir exposé un grand peintre vivant —  David Hockney fêtera ses 80 ans le 9 juillet  —, solaire, qui magnifie la couleur, une forme de peinture en Cinémascope, sublime et atypique.

« Il pratique un art pictural figuratif dans un contexte plutôt hostile. Dans la filiation de Matisse, sa peinture veut séduire, faire plaisir, célébrer la beauté et la complexité de la vie, position plutôt marginale à notre époque », résume Didier Ottinger, commissaire de cette magistrale rétrospective de 167  œuvres au Centre Pompidou. Marginal, c’est le mot : homosexuel assumé, dandy excentrique né dans un milieu ouvrier du nord de l’Angleterre et célébrant la douceur de la Californie du Sud, Hockney refuse l’art abstrait, minimal, conceptuel ou même pop triomphant, fidèle à un certain réalisme, mais sans être ancré dans le passé, lui qui se sert de l’iPad comme d’un carnet de croquis.

Le rêve américain d’un kid de Bradford

La rétrospective s’étend sur plus de soixante ans, de 1955 à aujourd’hui, les derniers tableaux ayant séché quelques jours seulement avant l’ouverture. Elle commence quand Hockney a 16 ans. Son premier tableau représente des ouvriers sur un chantier. Son premier chef-d’œuvre, à 18 ans, un portrait de son père. Tout est dit, déjà. L’artiste a grandi dans une famille nombreuse et modeste de Bradford, ville industrielle à l’ombre de Leeds et Manchester, loin des grands musées. Mais l’enfant prodige, sûr de sa vocation à 11 ans, qui reproduit les dessins d’Ingres comme un singe savant, a de qui tenir : son père, petit comptable, prend des cours du soir de peinture, et redécore les portes de leur petite maison. « Pour moi, celui qui dessinait les cartes de Noël était un artiste, celui qui peignait les affiches était un artiste… » écrit Hockney dans « Une éducation artistique ».

Il restera toujours fidèle à ce merveilleux, cette sorte de conte entre Dickens et Walt Disney. Le self-made-man vit son rêve américain. Même si ses couleurs acides piquent : « Il a capté le génie de la Californie, cette civilisation des loisirs, mais aussi sa vacuité, sa superficialité », ajoute Didier Ottinger. En ce sens, le jeune Hockney est l’héritier de Hopper avec ce vide revendiqué des «doubles portraits », une série de couples plus inexpressifs qu’insouciants, ces surfaces trop belles.

On plonge dans un bain de couleurs, comme dans « A Bigger Splash » (« un gros plouf » ou « plongeon »), son tableau le plus mondialement reproduit. Une maison hollywoodienne avec piscine et palmiers, le grand bleu du ciel et de l’eau réunis, comme deux rectangles parfaits, un plongeoir, et la trace d’écume du nageur. Même l’ombre humaine a disparu. Un tableau à la fois hyperréaliste et métaphysique : Hockney ralentit le temps pour fixer un éclair de farniente.

Il y a un « luminisme » de Hockney, selon le mot du commissaire de l’expo : il étudie la clarté du jour heure par heure tel Monet, met six mois avant de finir un tableau, abandonne l’huile au profit de l’acrylique, qui capture mieux l’instantané. Ce geek avant l’heure brouille aussi la surface entre original et reproduction : dès les années 1980, Hockney achète une photocopieuse couleur et incite la marque Canon à produire un nouveau type de couleur primaire jaune. Il imprime même parfois ses dessins croqués sur ordinateur. Pas ses meilleurs. On le préfère en miniaturiste du pinceau.

Plus il vieillit, plus sa peinture devient « flamboyante, avec une violence chromatique », souligne Ottinger, presque trop parfois. Hockney travaille à partir de nouveaux formats, non rectangulaires ni carrés, et d’une perspective qu’il appelle « inversée », donnant la sensation d’une immersion dans la peinture. On s’éloigne du réalisme et la surface devient saute-frontières, monde. Son « Jardin avec terrasse bleue », peint en 2015 dans son petit royaume californien, invente un nouveau fauvisme. Fauve, jungle, paradis, ses peintures en ont les couleurs.

Publicité
Commentaires
Publicité