Par Stéphane Mandard
Greenpeace publie mardi son premier classement des smartphones, tablettes et ordinateurs portables les moins réparables. « Le Monde » en dévoile le contenu.
C’est un palmarès qui ne met pas à l’honneur les géants de la high-tech. Greenpeace publie, mardi 27 juin, son premier classement des appareils électroniques de grande consommation (smartphones, tablettes et ordinateurs portables) en fonction de leur réparabilité et donc de leur obsolescence. Selon cette étude inédite que Le Monde dévoile en exclusivité, Samsung, Microsoft et Apple ressortent avec un bonnet d’âne.
Avec l’expertise technique de iFixit (comprendre « je le répare »), le site collaboratif de référence consacré aux tutoriels de réparations, l’ONG a passé au crible 44 produits parmi les plus vendus entre 2015 et 2017. Elle leur a attribué des notes de 1 à 10 selon plusieurs critères : possibilité de remplacer (facilement) leur batterie ou leur écran, disponibilité des pièces de rechange et des manuels de réparation, absence de nécessité d’outils spécifiques pour les réparer.
Dans la catégorie des smartphones, c’est Samsung qui obtient les plus mauvaises notes : 3 pour ses Galaxy S7 et S7 Edge, 4 pour son dernier né, le S8, qui ne remplit aucun des critères de « réparabilité » retenus dans l’étude. Microsoft fait pire avec un score de 1 point pour sa tablette Surface Pro 5 et son ordinateur portable Surface Book.
Note de 1/10 pour le Retina Macbook
Mais la palme du cancre revient à Apple. Dans la gamme des ordinateurs portables, ses deux modèles mis sur le marché cette année, le Retina Macbook et le Macbook Pro 13” Touch, obtiennent l’un et l’autre 1/10. Ses tablettes iPad 5 et iPad Pro 9,7” ne font guère mieux avec un score de 2/10.
« Les appareils de la gamme Surface sont conçus par des professionnels et pour être manipulés par ceux-ci. Ils comportent des composants de haute qualité sur lesquels nous comptons, associés à la garantie Microsoft, pour assurer à nos utilisateurs une expérience optimale et durable », indique un porte-parole de Microsoft.
Chez Apple, on renvoie vers les fiches qui détaillent les « performances environnementales » de chaque produit et l’usage de « matériaux plus sûrs ». Egalement contacté par Le Monde, Samsung n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Apple, Samsung et Microsoft conçoivent des produits avec la volonté de les rendre de plus en plus en difficile à réparer pour les utilisateurs, déplore Gary Cook, spécialiste high-tech à Greenpeace USA. De ce fait, ils raccourcissent la durée de vie de ces appareils et contribuent à l’augmentation du stock de déchets électroniques. »
« Obsolescence programmée »
Selon un rapport publié en 2015 par l’Université des Nations unies, le poids des déchets électroniques et électriques (e-déchets) avait atteint le record de 41,8 millions de tonnes (dont 3 millions pour les seuls appareils high-tech) en 2014 et devrait se situer à 47,8 millions en 2017. « Tous ces appareils fabriqués par milliards on un impact énorme sur la planète parce que leur production nécessite énormément d’énergie, de ressources naturelles et de produits chimiques », estime Robin Perkins qui a coordonné l’étude pour Greenpeace.
Une étude qui montre que Apple, Samsung et Microsoft ne sont pas les seuls mauvais élèves. Ainsi 70 % des appareils testés ont une batterie (la pièce à la durée de vie la plus courte) impossible ou difficile à remplacer du fait qu’elle est souvent collée voire solidaire de l’appareil. Elle relève aussi que l’écran, composant qui tombe le plus facilement en panne, est conçu dans la majorité des cas dans le but d’être difficile ou onéreux à remplacer.
« C’est de l’obsolescence programmée, dénonce Robin Perkins. La tendance, dans les smartphones notamment, est de concevoir des produits de moins en moins réparables et de plus en plus jetables pour booster les ventes avec une actualisation soutenue des nouveaux modèles. Acheter un nouveau portable est souvent moins cher que de le faire réparer. »
« Pratiques extrêmement mauvaises »
Le rythme de sorties des iPhone est passé de un an à tous les cinq mois depuis le iPhone 5S et de six à quatre mois pour les Galaxy S. Et selon les dernières données du cabinet Kantar, la durée d’utilisation moyenne d’un smartphone est inférieure à vingt-deux mois en Europe.
A l’opposé de ces « pratiques extrêmement mauvaises », Gary Cook souligne que « sur l’ensemble des modèles analysés, nous avons trouvé quelques “meilleurs de la classe”, ce qui démontre qu’il est possible de concevoir des produits en intégrant la notion de réparabilité ».
La marque néerlandaise Fairphone obtient ainsi 10/10 pour son smartphone éponyme, un téléphone « modulaire » où, de la batterie à l’écran en passant par la prise audio, quasiment toutes les pièces peuvent être remplacées.
Outre Fairphone, seulement deux autres marques sur les dix-sept concernées par l’étude Greenpeace obtiennent la note maximale parce qu’elles proposent des pièces de rechange et des manuels de réparation faciles d’accès : HP pour sa tablette Elite x2 1012 G1 et son ordinateur portable EliteBook 840 G3, ex aequo avec le Latitude E5270 de Dell.
Sur la base de ces bonnes pratiques, Greenpeace appelle le secteur high-tech à concevoir des produits qui durent « au moins sept ans » et à « promouvoir des standards et des lois qui encouragent les produits réparables ».
Instituer un « droit à la réparation »
Aux Etats-Unis, sous la pression de iFixit notamment, huit Etats avaient déposé en début d’année des projets de loi pour instituer un « droit à la réparation ». Pour l’heure, ils n’ont pas été adoptés. En Europe, le Parlement doit voter, le 3 juillet, une résolution « sur une durée de vie plus longue des produits : avantages pour les consommateurs et les entreprises ». A l’initiative du député européen écologiste Pascal Durand, elle « invite la Commission à développer le droit à la réparabilité des produits ».
En France, la loi sur la transition énergétique de juillet 2015 a introduit un délit d’obsolescence programmée (définit par « l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement »), sanctionné de deux ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Le classement de Greenpeace donnera peut-être des idées à certaines associations de consommateurs qui voudraient réclamer des punitions contre les mauvais élèves.