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Jours tranquilles à Paris
2 juillet 2017

Françoise Nyssen, « Shiva » à la culture

Qui-est-Francoise-Nyssen-la-nouvelle-ministre-de-la-Culture

 Par Alain Beuve-Méry

Femme aux mille et un réseaux, l’ancienne patronne des éditions Actes Sud entend être « la ministre des possibles » autant que celle « des travaux pratiques ».

« Je t’attends », écrit le 24 mai, sur son compte Facebook, Georges Séguier. Assis devant la porte cochère de la maison d’édition Actes Sud, au cœur du 6e arrondissement de Paris, il guette le retour de Françoise Nyssen, partie diriger le ministère de la ­culture.

Georges Séguier est… le chat d’Actes Sud. Ses faits et gestes sont chroniqués par des salariés de la maison d’édition arlésienne, dirigée jusqu’ici par la nouvelle occupante de la Rue de Valois. Une semaine plus tôt, le matou avait été l’un des premiers dans la confidence. Désormais, tout le monde ­attend sa maîtresse.

A 66 ans, Françoise Nyssen entame une nouvelle vie. Pourtant, l’histoire de sa nomination doit presque tout au hasard. Lorsque, lundi 15 mai dans l’après-midi, à Arles, elle reçoit un appel du président de la République – « Je suis Emmanuel Macron » –, elle lui coupe la parole. « Vous avez été formidable », lâche la présidente du directoire d’Actes Sud, en félicitant chaleureusement le nouvel élu.

« Un nouveau monde en marche »

Rendez-vous est pris dès le lendemain ­matin à Paris. Le chef de l’Etat cherche un ­ministre de la culture. « Cela ne se fait pas de refuser l’offre de celui qui a été élu », dit-elle. Quelques proches se moquent de son sens du devoir ­républicain, mais, ce soir-là, elle ne ­redescendra pas en Provence. mercredi 17 mai, sur le perron de l’Elysée, son nom est prononcé, en huitième ­position, après celui de son ami ­Nicolas ­Hulot : deux personnalités dites de la « société civile ».

Avant leur premier tête-à-tête, le président et sa ministre ne se connaissaient presque pas. Une seule rencontre a précédé le coup de fil élyséen, en mars, au Salon du livre de Paris, où Françoise Nyssen a offert au candidat un ouvrage de Cyril Dion paru chez Actes Sud en 2015 : Demain et après… Un nouveau monde en marche. Prémonitoire.

Le président et l’éditrice ont quelques passions en commun, notamment pour le théâtre. Elève à « La Pro », le collège jésuite huppé d’Amiens, où il a rencontré sa future épouse, Brigitte, alors professeure de lettres, ­Emmanuel Macron a sans aucun doute lu les auteurs contemporains dans la collection ­Actes Sud-Papiers, consacrée à la publication de pièces de théâtre. A un an près, « Macron a l’âge d’Actes Sud », relève Bertrand Py, le directeur éditorial de la maison fondée en 1978 par Hubert Nyssen, le père de Françoise.

« Votez Macron. Ne vous abstenez pas »

D’Arles, où elle vit, Françoise Nyssen a de son côté entendu monter la rumeur du monde, ce discours frontiste, hostile aux étrangers, qui gagne régulièrement des voix jusqu’à ­peser un gros tiers du corps électoral.

Née à Bruxelles, de parents belges, avec une ascendance suédoise, elle parle un français sans ­accent, héritage de douze ans passés au lycée français de Bruxelles entre 1956 et 1968, et est une européenne militante. Elle dirige aussi une grande maison d’édition qui a placé la ­ littérature étrangère au cœur de son projet éditorial, avec des auteurs méditerranéens comme l’Algérien Kamel Daoud, l’Egyptien Alaa Al-Aswany, la Turque Asli Erdogan…

Alors, le 3 mai, entre les deux tours, ­Françoise Nyssen s’est jetée à l’eau. Classée à gauche, elle répond « oui » à l’appel du monde de la culture contre le Front national, à Avignon, soutenu par Christian Estrosi, président (Les Républicains, LR) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), aux côtés d’Irina Brook, Macha ­Makeïeff, Michel Boujenah, Charles Berling et Olivier Py. Leur message est simple : « Votez. Ne vous abstenez pas. »

Elle ne s’est pas abstenue lorsque Marc Schwartz, haut fonctionnaire qui s’était mis en disponibilité pour rédiger le programme culture du candidat En marche !, l’a contactée pour qu’elle s’engage à soutenir Emmanuel Macron. Dans un texte publié le 6 mai sur les réseaux sociaux, Françoise ­Nyssen a appelé à voter pour lui « avec détermination et joie ».

Adepte des « cinq Tibétains »

Peu de directeurs de cabinet peuvent se flatter d’avoir choisi leur ministre. C’est ce qui est arrivé à Marc Schwartz. Avec l’appui de l’académicien Erik Orsenna, lui aussi sollicité, cet ancien du cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy a été la bonne fée de la nouvelle ministre de la culture, faisant ­remonter le nom de l’éditrice auprès du chef de l’Etat. Ils rêvaient chacun du poste pour eux, mais l’un a été jugé trop techno quand l’autre semblait trop occupé à jongler avec ses multiples casquettes.

Dans son nouveau métier, Françoise Nyssen arrive en novice. Mais ses amis ne s’inquiètent pas pour elle. « Françoise est une femme d’affaires, grosse bosseuse et excellente négociatrice », note Teresa Cremisi, ­ex-PDG de Flammarion, qui a été, un temps, actionnaire d’Actes Sud. « Ce n’est pas une femme de réflexion, elle agit toujours », ajoute une proche collaboratrice.

Cheveux raides, petites lunettes rondes, mince sourire en permanence sur les lèvres, Françoise Nyssen donne souvent l’impression de planer. Elle serait plutôt control freak. Elle commence d’ailleurs sa journée par une ­demi-heure de méditation, en suivant les « cinq Tibétains », des exercices de yoga qui insufflent de l’énergie. Zen, mais pas ­effacée : « Si elle était dans une secte, elle en serait le gourou », rit un collaborateur.

Sa réussite à la tête d’Actes Sud ne doit rien au hasard. « Françoise a un esprit scientifique doté d’une grande capacité de synthèse, note Danièle Dastugue, présidente du conseil de surveillance d’Actes Sud et fondatrice des éditions du Rouergue. Elle a une gestion en étoile, comme PDG, elle lance des rayons. » Solaire…

Des menus bio Rue de Valois

Les mille réseaux qu’entretient Françoise Nyssen lui permettent de défendre les causes auxquelles elle croit. L’association du Méjan, avec la tenue de concerts, d’expositions, l’ouverture de salles de cinéma, a transformé la vie culturelle à Arles. Elle est aussi proche de Thierry Frémaux, délégué général du ­Festival de Cannes.

Par ses études – un diplôme en biologie ­moléculaire – et sa famille – son beau-père était le généticien René Thomas –, elle a également fréquenté très tôt de grands scientifiques, comme le prix Nobel 1965 de médecine François Jacob, père de l’éditrice Odile Jacob. Avec l’association Prima Vera à Uzès, où elle retrouve la diplomate palestinienne Leïla Shahid et la comédienne Isabel Otero, elle ­rejoint les réseaux écolos.

Il y a surtout le mouvement Colibris, lancé par le très médiatique Pierre Rabhi, chantre de l’écologie durable, dont Françoise Nyssen a signé l’appel et édite les livres à succès. Et, enfin, des réseaux patronaux, comme l’Association pour la promotion et le management (APM), un club fondé à l’origine par Pierre Bellon, le patron marseillais de la Sodexo, le plus grand groupe français de restauration collective. Qui sait que la première décision de la ministre de la culture a été d’introduire des menus bio Rue de Valois ?

Françoise Nyssen est également comme un poisson dans l’eau avec le milieu éducatif. Elle a imaginé, à Arles, l’Ecole du domaine du possible, un établissement scolaire alternatif, qui accueillera 150 élèves à la rentrée prochaine, des ­adolescents différents, inadaptés au système scolaire classique. C’était le cas d’Antoine ­Capitani, son petit dernier, un enfant hyper­sensible, né de son mariage avec l’éditeur Jean-Paul Capitani. Antoine a mis fin à ses jours en 2012, à l’âge de 18 ans.

« Françoise a plus de bras que le dieu Shiva », susurre un proche. Au Paradou, le mas ­mythique où son père fonda Actes Sud, elle se tenait, six mois après le début de l’aventure, tout près de la grande table où tout se décidait. Légèrement en retrait, elle s’occupait de la comptabilité, sans rechigner.

Aujourd’hui encore, Françoise Nyssen dirige une maison d’édition sans être vraiment une éditrice. La seule auteure qu’elle suit personnellement est la romancière italo-algérienne Jeanne Benameur, sa plus proche amie.

Si elle se met au service des auteurs, c’est plutôt pour les accompagner dans une librairie, à l’étranger… « On n’a pas de relations professionnelles avec elle, on ne la rencontre que pour les ­aspects humains », note Jérôme Ferrari, deuxième prix Goncourt de la maison pour Le Sermon sur la chute de Rome, en 2012.

« Airbnb mondain d’Arles »

Trente ans que cela dure : l’hospitalité de la ministre compte beaucoup dans son ascension. « C’est le Airbnb mondain d’Arles », plaisante une éditrice. A l’été 2016, quand ­François Hollande s’invite de manière ­impromptue aux Rencontres de la photographie, où termine-t-il la journée ? Chez ­Françoise Nyssen, qui improvise un repas sur le pouce pour une trentaine de convives.

La nouvelle ministre de la culture n’est pourtant ni mondaine ni ambitieuse, au sens parisien du terme. « Elle a réussi à rebours de l’édition française », observe la journaliste ­Sylvie Tanette. Le jour de sa nomination, c’est d’ailleurs au sein de la petite famille du livre que l’accueil a été le moins chaleureux, alors que dans le monde du cinéma, de la musique, des arts plastiques, les compliments ­fusaient. « Normal, ils étaient tous verts de ­jalousie », commente un éditeur.

La question des subventions et des conflits d’intérêts a aussitôt surgi. Selon les calculs de Livres Hebdo, qui a épluché le rapport annuel du Centre national du livre en 2016, la ­maison arlésienne est celle qui reçoit le plus de subventions après Le Seuil : une somme qui s’est élevée à 264 167 euros en 2016. Rapporté aux 76 millions d’euros de chiffre d’affaires d’Actes Sud, le montant semble plutôt ­modeste.

« Actes Sud n’a pas à changer de politique, il s’agit d’une entreprise indépendante qui fonctionne sans moi », réplique la ministre. Elle a non seulement démissionné d’Actes Sud, mais aussi quitté ses mandats au Centre ­national du cinéma, à la Bibliothèque nationale de France, au Syndicat ­national de l’édition, au Musée du quai Branly, à EuropaCorp, la société de Luc Besson, à la ­Marseillaise de crédit. En creux encore, l’étendue de son réseau…

Rapprocher culture et éducation

Sa chance ? La nouvelle ministre a autour d’elle un clan familial, élargi aux amis, qui tient la maison en son absence. Au premier rang : Jean-Paul Capitani, son mari et copropriétaire d’Actes Sud, avec lequel elle forme un couple fusionnel.

Viennent ensuite ­Bertrand Py, l’éditeur en chef, également ­actionnaire. Et puis, évidemment, les trois filles du couple qui ont intégré la maison : Julie Gautier, ­Anne-Sylvie Bameule et ­ Pauline Capitani. La moitié de la tribu Nyssen-Capitani travaille au sein de la PME familiale.

Françoise Nyssen entend être « la ministre des possibles » et celle « des travaux pratiques ». Elle rêverait de rapprocher culture et éducation et a déjà tissé une relation étroite avec Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale. Qui ne demande pas mieux : « Avec la ministre de la culture, nous allons travailler en profondeur sur la question du livre à l’école », vient-il de déclarer.

Avec le président de la République, elle partage le goût de faire et la volonté d’afficher une certaine bienveillance. Elle ne cherche pas à cacher son admiration, au point d’oser cette comparaison troublante : « Avec ­Antoine, j’ai été confrontée à ce qu’est un enfant précoce. Mais Emmanuel, c’est un surdoué. »

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