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Jours tranquilles à Paris
9 juillet 2017

Audrey Tautou : « Quand vous êtes actrice, votre image vous précède toujours »

Par Claire Guillot

L’actrice explore avec ses photos son rapport au public et à la médiatisation. Son travail est présenté aux Rencontres de la photographie à Arles. Entretien.

Audrey Tautou fait de la photographie depuis plus de vingt ans. Ses clichés témoignent de son quotidien d’actrice et, particulièrement, un ensemble d’autoportraits, mis en scène ou spontanés, dans lequel elle joue de son image et du regard que les autres portent sur elle.

En tant qu’actrice, vous avez été beaucoup photographiée… Est-ce que cela vous a rapprochée de la photo ?

Curieusement, une séance photo représente un exercice dans lequel je n’ai jamais été à l’aise. En revanche mon métier m’a appris des choses techniques comme la fabrication d’un plan, l’éclairage.

Vous exposez à Arles une série de photos des journalistes que vous avez photographiés lors de vos interviews. Est-ce que c’était pour échanger les rôles ?

L’arroseur arrosé ? Je n’ai jamais pensé à ça. J’ai fait ces photos, je pense, pour prendre du recul par rapport à ce tourbillon médiatique qui m’a emportée après le succès du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, en 2001. J’avais besoin de trouver du sens à la promotion.

Bien sûr, c’est indispensable pour faire exister une œuvre, mais le processus était tellement fou que j’ai eu envie de garder quelque chose pour moi. J’ai pris plus de 800 photos sur lesquelles j’écrivais le nom du média et la date. Quand je les regarde aujourd’hui, ce que je trouve saisissant, ce sont tous ces regards posés sur moi par centaines, du jour au lendemain.

Comment ont réagi les journalistes ?

Sur les 800, un seul a refusé. Certains étaient un peu inquiets de savoir ce que j’allais en faire, comme si j’allais créer des poupées vaudoues et y planter des aiguilles ! Mais ce n’est pas mon genre. Ma photo est joyeuse et légère, c’est dans ma nature d’apporter un peu de dérision, d’humour.

Vous exposez aussi des autoportraits pris par dizaines. Pourquoi montrer ces images aujourd’hui ?

Depuis vingt ans, j’écris, je dessine, je photographie, je produis. Il m’a fallu toutes ces années pour que le puzzle prenne forme. Jusqu’ici, je réalisais juste un tirage contact et je m’arrêtais là. Les gens proches savaient un peu que je faisais ça, mais aucun n’a vu tout ce qui sera exposé à Arles. Même moi, ça va me faire un choc.

Mais j’ai eu profondément envie de parler avec ma propre voix, ou plutôt je l’ai toujours fait mais là j’ai eu envie qu’on l’entende. La photo est pour moi un travail extrêmement intime, je ne triche pas. C’est pour ça que je m’occupe de tout pour chaque image, je fais tout en argentique, sans retouche, je ne recadre pas. Mes autoportraits sont personnels jusque dans leur imperfection technique.

Pourquoi y a-t-il dans vos images autant de reflets, de dédoublements, de dissimulation, comme si vous vouliez vous cacher et vous montrer à la fois ?

Je ne sais pas du tout. C’était instinctif, pas réfléchi. La photo « mugshot » [portrait pris par la police après une arrestation] je ne l’avais pas planifiée, elle est venue comme ça. Et dans mes portraits mis en scène, je suis moi-même surprise qu’il y ait des atmosphères si différentes… Parfois je découvre mes images, alors que c’est moi qui les ai composées.

Et comment avez-vous fait pour fabriquer toute seule vos portraits mis en scène, qui visiblement ont demandé beaucoup de préparation ?

J’ai choisi des lieux toujours intimes, et je m’y suis adaptée. Je déclenchais à distance, et c’est compliqué avec mes deux appareils : avec mon Leica, il y a une poire et ça fonctionne une fois sur deux. Le Hasselblad dispose lui d’une commande infrarouge mais c’est un format carré…

Pour les accessoires, ce sont des objets qui m’appartiennent, ou bien que je fabrique : j’ai confectionné un costume d’officier avec des mèches de faux cheveux. Il y a de la pacotille, des choses qu’on m’a offertes… Tout a un sens, mais je ne révèle pas tout. Et je suis le plan que j’ai dans ma tête, c’est très précis. J’en ai encore une quarantaine d’autres à réaliser mais ça prend énormément de temps !

Le cinéma influence-t-il vos images ?

Non. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit. La seule photo en lien avec le cinéma, c’est celle où je pose en train de lire un scénario, avec en fond le film Certains l’aiment chaud. Mais c’était une commande d’un magazine qui m’avait demandé un autoportrait pendant le Festival de Cannes. Et puis, c’est moi, je ne joue pas un rôle.

Pourtant, être actrice impose forcément un rapport particulier à son image…

Ce n’est pas tant lié à mon métier qu’au statut qui va avec. Il y a tout un monde qui se crée par la médiatisation. On est l’objet de fantasmes, on véhicule malgré soi certains clichés. Avant d’être moi, je suis leur. Quand vous êtes actrice de cinéma, votre image vous précède. Et j’ai toujours eu du mal avec le succès, la notoriété.

Je ne comprenais pas que certaines choses me déstabilisent : les avant-premières, les interviews, les soirées… Je me sers de ce statut qui me dépasse, je joue avec. Les autoportraits existent depuis toujours dans l’histoire de l’art. Mais ce qui fait ma particularité de photographe, c’est le regard intime que je porte sur tout cela : je suis bien placée pour jouer avec ce que je représente.

Quel genre de photographie vous ­a marquée ?

Plutôt des trucs d’aventuriers ! Enfant, j’étais fascinée par Dian Fossey, je me voyais en Amazonie en train de photographier les primates ! Après j’ai découvert Martin Parr, Diane Arbus, André Kertész, Brassaï… Et Annie Leibovitz, qui expose cet été à Arles. Son expo à Paris en 2008 est une des plus belles que j’ai vues : elle montrait des photos de sa famille et son travail de magazine. Il y avait un côté très intime, et en même temps très équilibré, très maîtrisé.

« Superfacial », exposition d’Audrey Tautou, abbaye de Montmajour, Arles (Bouches-du-Rhône), jusqu’au 24 septembre, de 10 heures à 18 h 30.

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