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Jours tranquilles à Paris
21 juillet 2017

DU SEXE ET DE LA COULEUR EN PHOTOGRAPHIE

Les Rencontres Internationales de la Photographie à Arles sont, au-delà des expositions photographiques, des rencontres professionnelles. Des photographes préparent des mois durant leurs dossiers pour cette semaine, investissent de l’argent qui leur est de plus en plus difficile à gagner et prennent à l’avance des rendez-vous avec des critiques, des galeristes, des éditeur·es, des journalistes… Depuis quelques années beaucoup de ces rendez-vous sont d’ailleurs devenus payants (et chers). Si les rencontres se déroulent souvent à la terrasse de cafés dans une ville très agréable ou lors de soirées privées, il n’en reste pas moins que se jouent ici des carrières.

Récemment, un critique/éditeur s’était invité dans une discussion sur la quasi-absence de femmes dans un évènement photo parisien, arguant que, pour sa part, il se fichait de savoir si les artistes étaient des hommes ou des femmes, ou s’ils étaient bleus, jaunes ou verts : « seul le talent compte. » Ah bon ? En tout cas, les photographes qui l’intéressent ont une couleur de peau très similaire à la sienne. C’est son droit bien sûr, mais qu’il n’aille pas nous dire que ce n’est pas un sujet.

Il en va de même pour le genre des photographes, et il n’a pas fallu attendre longtemps pour confirmer que leur sexe était un critère de choix. A peine trois semaines après cette déclaration, le voici rentrant nuitamment à son hôtel, à Arles, après une soirée. Il croise dans la rue une photographe avec laquelle il a un rendez-vous professionnel le lendemain matin. Ils échangent brièvement sur une expo vue dans la journée et confirment leur rendez-vous. La photographe rentre se coucher. Une demie-heure plus tard, la voici réveillée par un sms de notre éditeur qui lui propose de venir le rejoindre dans sa chambre pour lui montrer son travail. Elle refuse, bien sûr, et répond qu’elle doit dormir pour être en forme le lendemain. Entêté, il évoque une érection et il apprécierait qu’elle puisse le soulager de cet embarras en lui faisant un « câlin ». Sidérée, elle éteint son téléphone et tente de dormir. Ooooooh, diront certain·es, c’est pas bien grave, il avait certainement trop bu. Que ces personnes reconsidèrent la scène et se visualisent elles-mêmes, dans leur lit, la veille d’un rendez-vous important, en train de recevoir des sms leur demandant de fournir un service sexuel de la part de la personne qui sera décisionnaire.

Le lendemain matin, très mal à l’aise, elle arrive au rendez-vous, espérant des excuses avant de pouvoir présenter son travail. Mais non. Imbu de lui-même, il parle longuement de lui, de son travail, feuillette à peine la maquette du livre de la photographe et met fin au rendez-vous en lui signifiant que son travail à elle ne l’intéresse pas.

Le sexe des artistes compte donc bien dans sa sélection, dans ses choix. Et de la pire façon.

Il n’est ni le premier ni le dernier à exercer ces pressions sexuelles avec ce sentiment d’impunité dans un marché, un milieu, qui se rêve émancipé et moderne. L’imprudence qu’il commet en envoyant ces sms en est la preuve mais il sait bien qu’il ne risque rien, et que si elle avait l’impudence de publiquement se plaindre, c’est elle qui subirait les conséquences, pas lui. Il sait aussi qu’il pourra compter sur son réseau pour le soutenir. N’avons-nous pas vu en novembre 2016 un autre critique traiter publiquement de « vipère » une femme qui avait osé dire avoir été violée par un photographe, sans le nommer, alors qu’elle était adolescente ? Si nombre de ses contacts se sont désolidarisés de lui à ce moment, la lecture de ses soutiens était à vomir.

Si les faits ne sont pas dits, et clairement dits, il y a peu de chance que ces personnages changent leurs pratiques. Ils se piquent de dire ce qu’est la photographie, d’en écrire l’Histoire et d’en valoriser les artistes qui selon eux la font. Faites leur remarquer qu’ils ont la même couleur et le même sexe qu’eux, ils vous répondent que le politiquement correct les fatigue.

A moins d’une énorme et soudaine révolution copernicienne, il y a fort à parier que l’éditeur en question se reconnaissant, fera savoir haut et fort que la photographe en question est hystérique et que cet article est indigne. Ce qui est indigne, c’est de demander à une artiste un « câlin » la veille d’un rendez-vous.

Que faire pour que nombre de femmes cessent de vivre ce qui constitue un frein réel à leur travail, aux moyens dont elles ont autant besoin que leur confrères ? Que faire pour que ces agissements cessent ? Changer le regard, informer, toujours, se méfier, toujours, de celles et ceux qui disent : « Moi je regarde le talent, c’est tout, pas le sexe, pas la couleur. » C’est vrai, elles et ils le pensent vraiment, sans se rendre compte que ce qui les touche et qui a donc de la valeur à leur yeux, c’est ce qui est produit par des gens qui leur ressemble.

Le comité de rédaction de Fisheye a récemment signé un manifeste engagé, publié dans un tout nouveau hors-série, « Femme photographes, une sous exposition manifeste ». C’est un texte important, signé par plus de 1000 personnes, photographes, iconographes, étudiant·es, galeristes, journalistes…, qui fait le point sur ce qui gêne les carrières des artistes femmes. Il faudrait rajouter cette ligne : elles sont trop souvent sexuellement sollicitées par des acteurs du marché qui abusent de leur position.

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