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Jours tranquilles à Paris
23 juillet 2017

Christine Angot, de bris et de fureurs

angot

Par Fabrice Lhomme, Gérard Davet

La romancière emblématique de l’autofiction va être chroniqueuse pour « On n’est pas couché », sur France 2. Rencontre avec une « tête brûlée », emportée et raisonnée.

Elle a d’emblée demandé à relire ses citations. Normalement, avec nous, c’est rédhibitoire. Demande-t-on à modifier ses propos lorsqu’on est invité à la radio ou à la télévision ? Et puis, la requête était surprenante de la part d’une « scandaleuse » patentée. Angot l’incontrôlable qui contrôle tout ? Ainsi donc, l’affranchie, la casseuse de codes, verrouillerait sa com’ comme la première macroniste venue ?

Mais Christine Angot est ainsi. Une femme d’écrit. Et de forme. Elle tient à ses mots, à sa ponctuation, à son rythme.

Peut-être se défiait-elle un peu de nous, aussi. C’est vrai, son monde n’est pas le nôtre. D’ailleurs, ouvrir l’un de ses dix-neuf livres ne nous avait jamais traversé l’esprit jusqu’ici ; on a parfois tendance à penser que l’histoire de la littérature française aurait pu s’arrêter à Louis-Ferdinand Céline. A tort, évidemment.

Mais après tout, cette femme de 58 ans aux mille tourments, si exposée à la critique, au courage non démenti, se mérite. Alors, nous avons fait une exception, en l’exhortant à ne pas se renier. Elle l’a promis. Et elle a tenu parole, modifiant à la marge seulement quelques-uns de ses propos, curieux mélange d’aphorismes et de périphrases.

Situations inextricables

De notre côté, on a revisionné quelques-uns de ses faits d’armes à la télé. Angot qui s’en prend, en 1999, à l’écrivain Jean-Marie Laclavetine à « Bouillon de culture ». Angot qui quitte, en 2000, le plateau de « Tout le monde en parle », ulcérée par les questions trop légères de Thierry Ardisson et de ses invités. Angot qui tempête, s’emporte, au fil des années, contre Natacha Polony, Eric Zemmour et compagnie. Et enfin Angot en liberté non surveillée face au candidat François Fillon, en mars 2017, sur France 2.

Et puis, il a fallu découvrir son univers littéraire, forcément. Lectures difficiles, dérangeantes même. Une semaine de vacances, L’Inceste, La Petite Foule ou encore Un amour impossible, son dernier succès. Mots crus, écriture à fleur de peau, style haché, rabâché, travaillé, déchirements intimes. Et tant de scènes dont la lecture provoque des haut-le-cœur…

On se souvient alors de cette phrase, lâchée à l’emporte-pièce un soir de critiques trop violentes : « Il n’y a pas de demi-mesure, ou alors il y a des demi-livres. » Voilà, c’est Angot.

« JE L’AI BEAUCOUP FAIT, ME TIRER DES BALLES DANS LE PIED, MAIS J’AI QUAND MÊME DES LIVRES QUI DOIVENT ÊTRE DÉFENDUS. »

Et c’est ainsi que l’on se retrouve, une première fois, mi-juin, attablés avec cet écrivain au goût d’esclandre – ne la qualifiez surtout pas d’« écrivaine », elle ne supporte pas.

L’auteure de Pourquoi le Brésil ? a donné rendez-vous au café La Société, à Saint-Germain-des-Prés, où elle a ses habitudes. Pourtant, elle habite le Paris populaire et bigarré, mais le monde des lettres a ses indécrottables atavismes, c’est rive gauche ou rien. De toute façon, elle n’aime plus son quartier. « Je m’y sens bousculée, on ne vous voit pas, déjà, quand vous êtes une femme, parce que vous êtes une femme, ou alors pour faire des commentaires. »

On la reverra au Corso, avenue Trudaine. A chaque fois, agréable, souriante, à l’écoute. Sur ses gardes, également. « Je ne suis pas une torturée, je sais me contrôler », analyse-t-elle. Elle nous convainc… à moitié. En contrôle, on veut bien le croire. Pas torturée ? Elle connaît son penchant pour se placer elle-même dans des situations inextricables. « Je l’ai beaucoup fait, me tirer des balles dans le pied, mais j’ai quand même des livres qui doivent être défendus », dit-elle, craignant manifestement ses propres dérapages.

Exécution en règle

Ainsi, lorsqu’elle évoque l’une de ses collègues d’écriture très bien en cour et à l’aura sulfureuse. Elle balaie d’une petite moue dédaigneuse celle qu’elle juge en fait « consensuelle à mort », « à fond dans les jurys, le système », mais dont elle ne veut pas que l’on cite le nom.

« Et moi, je ne suis dans rien », ajoute-t-elle. Un brin d’amertume, peut-être. De fait, elle n’a jamais obtenu de prix d’envergure, type Goncourt ou Médicis, tout juste quelques jolis lots de consolation, comme le prix Décembre. « Si je publiais chez Gallimard ce serait pareil. La jalousie existe, oui, mais les blocages qu’il peut y avoir contre moi viennent de ce que j’écris, pas de mon comportement, croit-elle savoir. J’ai passé des années à ne pas être publiée et à ne pas être dans les listes de prix. »

Elle observe d’un œil caustique ces auteurs qui écoulent leurs œuvres par cargos entiers. Les Guillaume Musso, Marc Levy, Anna Gavalda… Elle les entend pester contre les critiques littéraires, parfois acerbes à leur endroit. « C’est marrant que les gens qui vendent beaucoup de livres osent dire que la presse les méprise. Ben oui, mon vieux, c’est vrai. Mais qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu ne peux pas être partout. »

Elle ne les lit pas. « J’ai un rapport à l’écrit qui fait que je ne peux pas lire Musso ou Levy. Soi-disant, c’est facile à lire, moi je trouve ça hyper difficile. Je ne comprends pas ce qu’ils racontent, c’est tellement faux. Vous pensez qu’ils cherchent la vérité, ces gens ? »

Quatre phrases-flèches, pour une exécution en règle. Elle en veut aux médias qui s’arrachent ces écrivains à succès, du coup, elle en remet une couche : « Il n’y a pas que Jean-François Copé qui soit décomplexé, beaucoup de journalistes sont décomplexés quand ils invitent Musso ou, comment il s’appelle, Levy. Mais bon, ces gens-là ne me dérangent pas, ils ont le droit d’être lus… » Elle préfère mille fois un Michel Houellebecq, qu’elle juge « très très bon dans ce qu’il fait », même si elle se sent opposée « à la façon dont il raconte la vie ».

« Quelque chose qui est dit »

A-t-elle déjà écrit le livre ultime ? « L’idée de laisser une trace dans la littérature, ça compte », répond-elle d’abord, après un long silence. Un nouveau temps de réflexion – Christine Angot soupèse ses phrases comme on polirait des diamants –, puis : « J’en ai fait deux qui sont pas mal. Un amour impossible, c’est pas mal, Une semaine de vacances, c’est pas mal. » « Il y a quelque chose qui est dit dedans », conclut-elle, dans une de ces formulations faussement maladroites dont elle a le secret.

Pour Une semaine de vacances, qui raconte en quelques dizaines de pages au scalpel le viol d’une adolescente, l’inceste, l’emprise, au gré de scènes plus dures les unes que les autres, elle a entendu cette réflexion d’une jurée : « Vous ne voulez quand même pas donner un prix à un livre qui commence dans les toilettes ? »

C’est vrai, l’histoire, sordide, débute dans les WC. Et se termine sur un quai de gare, avec une adolescente qui parle à son sac, parce qu’elle n’a personne à qui s’adresser. On peut jeter cet ouvrage à la cinquième phrase ou le finir d’une traite. Question de goût – ou de dégoût.

Mais sait-on seulement que ce livre, elle l’a écrit, ou plutôt expulsé, en une semaine ? Elle répugne à l’avouer. De peur d’être accusée de bâcler le travail. Mais de son point de vue, ce texte était une urgence, une évidence.

Au départ, une commande d’un magazine désireux de la voir écrire une nouvelle érotique. Elle s’interroge. « C’est à moi que vous demandez ça ? Vous êtes sûr ? » Elle s’installe le matin devant son ordinateur – elle ne sait pas écrire le soir. La scène de la fellation aux toilettes arrive, s’impose. Et le flot de l’écriture enfle. Jusqu’à l’écœurement. Si l’écriture est une douleur, alors Angot a décidé qu’elle devait la partager avec ses lecteurs. « J’y suis allée à fond, dit-elle. J’étais absente. Juste une présence aux phrases. Je l’ai fait sans aucun affect, je n’ai versé aucune larme. »

La littérature comme exutoire

Elle appelle son éditrice chez Flammarion, Teresa Cremisi. Il n’y aura pas de nouvelle érotique, mais un roman, rédigé dans un accès de fureur littéraire. Personnel, si personnel. Ce texte, c’est son manifeste. Parce que son histoire. Jusque dans les détails les plus intimes, les plus scabreux. Répétée ou dissimulée dans chacun de ses livres, mais toujours là, en filigrane. Une catharsis à répétition.

On peut se gausser : marre de cette histoire d’inceste, après tout. Ou essayer de comprendre. De compatir, surtout – l’idée ne lui plairait pas. De 13 à 16 ans, Christine Angot a été violée par son père. « Ça m’a détruite. Il ne faut pas se reconstruire. On n’est pas un tout, donc je ne suis pas en morceaux… J’ai pu vivre. Survivre d’abord. On parle de salissure, non, c’est un déshonneur. » Les gestes, les actes, elle n’a rien oublié – comment pourrait-il en être autrement ? « A 13 ans, au premier geste qui est fait sur vous, vous comprenez tout de suite. Vous êtes piégée. »

Le plus dur, c’est le secret, l’omission, ce qu’exprime trop bien Une semaine de vacances. Elle trouve quand même le courage d’en avertir un proche, qui en parle à sa mère. Le père-bourreau est traducteur au Conseil de l’Europe. A 28 ans, elle se rend à la police, envisage de déposer une plainte. L’enquêteur est compréhensif, mais lui dit que le classement sans suite va s’imposer, faute de preuves, dix ans après. Elle laisse tomber. La littérature sera son exutoire.

« Je ne suis pas le bureau des pleurs »

En 1990, elle publie Vu du ciel, son premier cri. « Je n’ai jamais eu qu’un désir, être publiée », confie-t-elle. Son père est fier, il attend la parution, à la Fnac de Strasbourg, lit l’ouvrage. Une phrase, une seule phrase dans le livre, qu’il est le seul à comprendre, et il sait : rien ne lui sera jamais pardonné.

« Mon père est mort deux mois après la sortie de L’Inceste [sorti en 1999], une réussite, lâche-t-elle froidement. Je me suis dit : “Eh ben, pas mal.” Je trouve que c’est pas mal, qu’il soit mort. » Depuis, elle ne supporte pas que ses lecteurs la prennent pour un porte-étendard de la cause de l’enfance martyrisée. Elle ne répond d’ailleurs jamais aux lettres de ses admirateurs. « Je ne suis pas le bureau des pleurs », prévient-elle. Etre renvoyée en permanence à son adolescence brisée a quelque chose de désespérant. Triste tropisme.

« PUJADAS ME DIT : “ON VA DIALOGUER.” MOI JE VAIS DIALOGUER AVEC FILLON ? MAIS IL VA M’ÉCRASER, JE NE PEUX PAS PARLER SA LANGUE. »

Après de longues années de psychanalyse, elle a refait surface. A la force des mots. « Aller mieux, ça va très vite. Guérir, ce n’est pas la question. La psychanalyse m’a aidée à devenir une personne, et plus un objet. » Depuis, elle promène son drôle de physique, anguleux, étrangement séduisant, sur les plateaux de télévision, écrit des pièces de théâtre, s’essaie aux scénarios de cinéma.

On s’habitue à elle, comme à une étrangère familière. Dans l’attente d’un clash, quand sa voix monte dans des aigus tremblotants. Tant qu’elle lit ses textes, cela reste pesé, fort et lucide. C’est quand elle quitte ses mots que tout s’emballe, le débit, le regard. « Je suis un écrivain, se justifie-t-elle, pas une invectiveuse publique. »

Elle rêve un monde improbable, où les gens obéiraient aux préceptes de Jean-Luc Godard, qui répondait, à ceux qui lui demandaient comment comprendre ses films : « Regardez, écoutez. » Dans son écriture, elle veut « restituer, qu’on entende les gens, en train de respirer ». Mais dans la vraie vie, ça ne marche pas ainsi. Alors, elle force le trait, parfois.

Ecran total

A l’image de ce 23 mars 2017, face à François Fillon, sur qui elle déverse tout son mépris. Lui, imperturbable mais bouillant à l’intérieur. Elle, visage sévère, qui lit son texte, ou plutôt son réquisitoire, clouant au pilori télévisuel le candidat de la droite. Malaise. « Je l’ai écrit, pesé, marqué toutes les virgules. » David Pujadas tente d’instaurer une conversation. Elle se cabre. « Je n’étais pas énervée », prétend-elle. Ah bon…

Le studio de France 2 devient une arène. Elle a cette capacité à créer un climat irrespirable, mettre en tension. Cette femme est sur un fil en permanence. « Il y avait des huées, c’était très dur, très violent. En sortant, je me suis dit : “Quelle galère, jamais j’aurais dû faire ça.” Les journalistes ont dit : “Elle s’est énervée, tout ça.” Puis j’ai commencé à recevoir des messages, les gens me disaient que j’avais parlé pour eux. »

Mais les critiques pleuvent : Angot l’hystérique, bonne à enfermer… Parce qu’elle est sortie du cadre, a traité Fillon de « malhonnête », à court d’arguments.

Ce n’est pas son truc, le dialogue, elle le sait. « Pujadas me dit : “On va dialoguer.” Moi je vais dialoguer avec Fillon ? Mais il va m’écraser, je ne peux pas parler sa langue. » Elle n’est pas à son avantage, même les antifillonistes se sentent en empathie avec l’ancien premier ministre. Mais au moins est-elle honnête, elle-même. Quelques jours après, au restaurant, elle se fait insulter : « Va te faire foutre, va défendre Benoît Hamon… »

Mais d’où lui vient ce besoin de se colleter avec le réel ? D’autant, convient-elle, que cela lui « suffit de parler à [son] poste de télévision ». Nul besoin de montrer son visage, prétend-elle, et pourtant, elle vient d’accepter le poste de chroniqueuse pour « On n’est pas couché ».

« Pourquoi j’accepte ? Je ne sais exactement. Mais j’accepte. De m’asseoir sur le fauteuil d’en face. » Elle vit correctement de ses droits d’auteur, et son éditrice lui fiche une paix royale. Mais elle ne sait pas prendre sur elle, ne supporte pas que chacun se taise. Peut-être parce qu’elle connaît mieux que personne le prix du silence.

En quittant le plateau de « L’Emission politique », elle avait dit, à propos de l’invitation de David Pujadas : « Il m’a fait venir parce que ce que je viens de dire, eux, ils ne peuvent pas le dire. » « Personne ne trouve les mots, développe-t-elle devant nous. Les journalistes posent des questions convenues, convenables, par souci d’objectivité. Je me suis dit : “Je peux essayer au moins.” Ce n’était pas Saint-Germain-des-Prés qui débarquait, non, quand quelque chose de vrai est ­exprimé, ce n’est pas ça. Ça libère. »

Le parfum du scandale

Le parfum du scandale semble devoir l’escorter à vie. Dans son intimité, aussi, quand elle s’éprend par exemple du rappeur Doc Gyneco, à la barbe du Tout-Paris. Que n’a-t-elle entendu ! « Il y a dix ans, il y avait encore l’idée que l’intelligence s’arrêtait à certaines bornes, appartenait à certains. Donc il ne pouvait être avec moi que pour acquérir une légitimité, et moi pour en faire un roman. Voilà ce qui se disait. On méprisait sa personne… »

« JE NE SUIS PAS BÉATE DEVANT MACRON. MAIS LES GENS SE SONT CALMÉS DEPUIS SON ÉLECTION. »

Et ces autres hommes qui ont partagé un moment de sa vie, et dont elle ressent intensément les angoisses, les désastres personnels ? Elle les couche dans ses livres, camoufle tant bien que mal leur identité. Personne n’est dupe, c’est même devenu un jeu cruel dans le microcosme.

Après la parution du livre Les Petits, elle a connu l’affront du tribunal correctionnel, pour avoir un peu trop détaillé les rapports vampiriques entre son compagnon actuel et l’ex de celui-ci. L’ex a déposé plainte, gagné en première instance. Le jugement est sévère à l’encontre de l’écrivain.

Angot en est encore mortifiée. « Je n’ai jamais d’idées, explique-t-elle, je ne suis pas toute-puissante, je n’ai pas d’autorité sur la façon dont ça vient. Ce que j’écris, ça s’appuie sur des choses que j’ai vues, entendues, que je sais. Mais qu’ils continuent leurs turpitudes, du moment que je peux les décrire, mes livres ne veulent rien changer, rien. Je modifie les noms, les lieux, je connais le droit. Je veux raconter la violence qu’il y a entre nous, le pouvoir des uns sur les autres. »

Son plaidoyer n’a pas convaincu le tribunal de Paris, qui l’a condamnée, le 28 mai 2013, à verser 40 000 euros de dommages et intérêts à celle qui, à la barre de la 17e chambre, avait pleuré ces quelques mots : « Tout est vrai dans son livre, c’est ma vie. Elle veut ma mort, elle veut détruire mes enfants. »

Soupir d’Angot. « OK, j’ai été jugée, j’ai perdu. C’est une négation de mon travail par des gens qui n’y connaissent rien, ça m’a écœurée, c’est une monstruosité. Ils sont sourds et aveugles », s’agace-t-elle. Elle a fait appel. « Je ne m’épanouis pas dans la cruauté, j’essaie de dire comment c’est », plaide-t-elle encore.

Jamais sans ma fille

Ces temps-ci, Angot galère. Elle écrit cinq heures par jour, puis biffe, efface. Recommence. Rien de bon en un an et demi, des pages et des pages à la corbeille.

Elle replonge dans ses formules alambiquées : « Il y a quelque chose qui n’est pas là. Il faut attendre le truc, qu’on n’ait plus l’impression de voir des mots et des virgules, mais quelque chose qui soit vivant. Simple, trivial, peu importe. J’écris de façon à ce que ça fasse tchac, que ça arrive dans la tête. » Un peu plus tard, elle dira les choses plus simplement, enfin : « Le processus d’écriture, c’est tellement dur… »

Elle cherche, donc. « Entre deux livres, je n’y arrive pas. Je le vis très très mal. » Quand elle a eu sa fille, Léonore, il y a vingt-cinq ans, l’inspiration s’est tarie, subitement. « Un matin, je me suis levée, je me suis rendu compte qu’une seule chose m’intéressait, Léonore. Alors, je vais écrire Léonore, un truc tout bête, pour dire qu’elle est belle, comment je l’aime, et j’arrête la littérature. » Ce sera Léonore, toujours, publié en 1994. Un pur roman d’amour.

« Au cœur de tout il y a des pulsions négatives, dit-elle. J’écrirai un livre entièrement paisible le jour où on sera dans un monde idéal. On ne vit pas dans un rêve. A la fin du livre, Léonore meurt, il fallait quand même se libérer de cette possession. » On ne se refait pas.

Indignation sélective

Elle tâte parfois du journalisme, et ses portraits d’hommes politiques sont un vrai bonheur d’observation, on y décèle des détails, des intonations… Elle a été choquée quand ses confrères d’écriture, dans un numéro du « Libé des écrivains », avaient désigné Nicolas Sarkozy sous le sobriquet « Ui », ce personnage ridicule, fascisant et mafieux, créé par Bertolt Brecht. « Ça m’avait rendue folle. Ui ? Hitler ? Vous êtes sûrs que c’est ça ? Le mec, il a été élu au suffrage universel. Tu es écrivain, tu as quelqu’un qui donne un mot d’ordre et tu le suis aveuglément ? Sur un mec qui est d’ascendance juive, en plus ? On m’a même dit à propos de Sarkozy dans mon papier : “Il est très sympa, qu’est-ce qu’on fait ?” Vous vous rendez compte ? »

Elle est comme ça, Angot, emportée et raisonnée. De fait, elle a l’indignation construite. Sélective. « Je ne veux pas qu’on me mette dans les antisystème, avec Mélenchon et les autres. » Elle a voté pour Emmanuel Macron à l’élection présidentielle.

« Je ne suis pas béate devant Macron, précise-t-elle. Mais les gens se sont calmés depuis son élection. Il n’a pas fait un sans-faute, ce n’est pas l’homme parfait, il n’a hypnotisé personne, mais il a dû trouver quelque chose, un équilibre. »

Et puis, Christine Angot avait son challenge à elle. « Je ne voulais pas que La France insoumise passe. Je ne les aime pas. Mélenchon, soi-disant un tribun, qui appelle son auditoire “les gens”, c’est insupportable. Et je n’aime pas ce qu’ils ont dans le crâne, quand ils soutiennent des manifestations propalestiniennes comme celle de Barbès. »

Elle a bien un favori, qu’elle a d’ailleurs interviewé pour Libé fin juin, mais elle a des pudeurs de jeune fille au moment de le nommer. « Il y a un mec que j’aime bien, mais il ne faut pas le dire, car personne ne l’aime : Valls. Je l’aime bien. » Transgressif, clivant, mal-aimé… Tout pour plaire, en somme.

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