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Jours tranquilles à Paris
27 juillet 2017

«VALÉRIAN», NAVET SPATIAL

Par Didier Péron - Le Monde

Avec son blockbuster SF à 180 millions d’euros, Luc Besson n’a jamais joué aussi gros. Défi risqué pour un film sans originalité ni relief.

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Valérian et Laureline (le freluquet Dane DeHaan et l’ex-mannequin Cara Delevingne) dans un space-opéra de contrefaçon. Couverture du Parisien du 26 juillet.

«Dead on arrival» (DOA) ou, et plus explicitement encore, «Brought in dead» (BID) sont deux expressions qui désignent aux Etats-Unis les patients cliniquement morts dans l’ambulance avant d’avoir réussi à atteindre le premier service d’urgence. C’est à peu près dans cet état lamentable que Valérian, blockbuster de Luc Besson dont on nous assurait encore il y a quelques jours qu’il était le premier d’une nouvelle franchise, nous arrive après un premier crash-test outre-Atlantique.

En effet, la science-fiction à 180 millions d’euros de budget (soit le plus gros jamais enregistré pour une production indépendante), censée concurrencer Star Wars, Star Trek et les Gardiens de la galaxie sur leur propre terrain, sortie vendredi aux Etats-Unis sur pas moins 3 553 salles, a fait une terrible contre-performance en se plaçant à la cinquième place pour son premier week-end d’exploitation. Le film s’est fait largement dévancer par Dunkerque de Nolan, la comédie Girls Trip, Spider-Man : Homecoming et le nouvel épisode de la Planète des singes. A titre comparatif, Lucy, en 2014, précédent film signé Besson, et qui n’avait coûté que 50 millions de dollars (environ 43 millions d’euros), se remboursait quasiment sur trois jours en salles avec 43 millions de dollars de recettes pour son premier week-end (terminant sa course à l’international à 458 millions de dollars engrangés). Pour l’heure, Valérian pointe quant à lui - et il n’y a jamais d’inversion de courbe dans ce business -, à 17 millions pour son premier week-end.

Racine sédative.

Ce bide spectaculaire, qui s’est traduit immédiatement par une chute de 9 % de l’action Europacorp en Bourse, renverse les perpectives lucratives misées par la major indépendante du mogul français, qui évoque dans une interview au magasine GQ une société dont la vie, dit-il, est «assez chaotique» mais qui «devrait aller mieux, surtout compte tenu de son ratio films produits/films à succès». Dans le Journal du dimanche, probablement informé des premiers chiffres désastreux, Besson assure que sa boîte n’est pas financièrement engagée à risque dans cette aventure : «Le risque, s’il existe, est pour ma réputation. Si ça fait un flop, quand je retournerai voir les investisseurs, ils me diront stop.» Le groupe a par ailleurs annoncé fin juin des pertes importantes, à hauteur de 120 millions d’euros, suite aux mauvais résultats de films qu’ils ont acquis et distribués aux Etats-Unis, tels Ma Vie de Chat, Oppression, Miss Sloane ou The Circle.

Il y a quelques semaines, alors que le feu roulant du marketing battait le rappel des foules - non sans une certaine efficacité car les teasers étaient plutôt ebouriffants -, la virulence des critiques dans la presse américaine a surpris tout le monde, le mouvement étant lançé par le papier au lance-flamme de de Todd McCarthy dans l’influent Hollywood Reporter : «L’’euro-trash est de retour et la SF va devoir pendant longtemps lécher ses blessures.» De nombreux autres papiers pointent la comique homonymie entre le prénom du héros et la racine sédative vendue dans les magasin bio. La presse française a été conviée à une projection dans la salle de la Cité du cinéma à Saint-Denis début juillet, après acceptation écrite d’un embargo pour que ne paraisse aucun avis avant le 18 juillet. On s’en voudrait presque aujourd’hui dans cette ambiance de bérézina, d’ajouter encore une couche de venin sur le film tant, en définitive, il est, par ailleurs, totalement inoffensif.

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On ne peut pas reprocher à Besson de ne pas aimer le jeu, de relancer les dés sur le tapis au moment où il vient d’empocher une mise sonnante et symbolique de poids avec Lucy en 2014. Il aurait pu - peut-être dû - se conformer au marché et s’activer à réaliser lui-même Lucy 2. Mais la folie des grandeurs l’a emporté et Valérian, «le plus grand défi» de sa carrière comme il l’avait annoncé sur Facebook, rêvé à 13 ans, parachevé à 58, devait le placer sur un plateau créatif de même niveau que ceux qu’il admire tant, les George Lucas, Steven Spielberg ou James Cameron, entrepreneurs d’univers autant que visionnaires et techniciens d’un entertainment démesuré.

Fond vert.

Seul auteur crédité pour le scénario, il semble que Luc Besson ait mêlé plusieurs bouts d’intrigues, de décors, de personnages, ponctionnés à différentes aventures de Valérian et Laureline, créé par le duo Pierre Christin et Jean-Claude Mézières dans les années 70 - l’Empire des mille planètes, la Cité des eaux mouvantes, l’Ambassadeur des ombres). Etrangement, le cœur héroïque, l’espèce de fraîcheur pop et baroque que le cinéaste recherche comme en souvenir de l’embrasement imaginaire qui fut le sien à 13 ans, restera, au cours de ces deux heures de péripéties, insaisissable et vide, plus désincarné encore que ne le sont ces milliers de plans numériques matérialisant ex nihilo un trop-plein glouton de «visions» futuristes sans perpective ni ampleur mythologique. On ne sait pas ce qui se passait sur le tournage, des journées entières sur fond vert dans les studios de Seine-Saint-Denis, mais le freluquet Dane DeHaan et l’ex-mannequin Cara Delevingne semblent se demander à chaque plan s’ils vont jamais trouver ne serait-ce qu’un demi-atome crochu à simuler pour justifier d’avoir décroché la timbale du casting.

On ne se lancera pas dans un résumé de l’histoire dont l’axe principal consiste à traquer la force négative qui menace de l’intérieur le paisible écosystème d’Alpha, un agglomérat de milliers de peuples d’origines galactiques coexistant en bonne intelligence sur une station polymorphe. Au début du récit, Valérian fait un rêve où il assiste à la destruction d’une planète idyllique, Mül, où des indigènes à la peau bleue passent l’essentiel de leur temps à buller sur une plage ou à presser un petit animal pour qu’il émette par un orifice non précisé des perles énergétiques ressemblant à des boules de Noël ou de bain moussant. La menace sur Alpha et la survie des rescapés de Mül se révèlent évidemment liées. Le film, qui ne manque pas d’ambition ni de générosité si on doit mesurer celles-ci au nombre de décors et de créatures peuplant son aire, ne parvient pourtant jamais à transcender l’impression qu’il n’est qu’un space-opéra de contrefaçon, nourri d’emprunts, fabriqué d’enjeux simplistes entrelacés de dialogues probablement écrits en français et trop hâtivement traduits. Le numéro de cabaret de Rihanna est une manière de tirer profit de la notoriété de la star sans devoir véritablement s’offrir ses ruineux services au-delà d’une journée de tournage.

Le film manque cruellement de ce Mal dont Darth Vader est l’emblème et qui ici concentré sur les épaulettes du commandant Arün Filitt (Clive Owen, constipé comme jamais) que le responsable costume, en verve, a cru bon affubler d’un version néo-Courrège de l’uniforme des Waffen SS. La direction artistique est partie en vrille et on a souvent l’impression de voir bouillonner dans une marmite un peu dégueu des centaines d’ingrédients incompatibles cherchant à concilier des saveurs et des goûts qui ne demandent qu’à sauver leur peau avant d’être abolis dans ce brouet que, par ailleurs, les enfants ou les derniers adultes regressifs sont susceptibles d’adorer.

Didier Péron

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