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Jours tranquilles à Paris
9 août 2017

En Turquie, les femmes défendent leur droit à s’habiller comme elles veulent

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante

Des milliers de femmes ont manifesté dans plusieurs villes après des agressions dans les transports publics par des hommes qui leur reprochaient de porter des shorts ou des débardeurs.

« Touche pas à mes vêtements », ont scandé des milliers de femmes turques sorties dans la rue ces jours-ci à Ankara, à Izmir et à Istanbul, pour défendre leur droit à s’habiller comme bon leur semble.

A deux reprises ces derniers mois, de jeunes femmes en short ont été agressées dans les transports publics par des hommes qui leur reprochaient leur tenue vestimentaire. En juin, à Istanbul, une jeune femme de 22 ans a été frappée dans un bus par un homme qui s’est dit « provoqué » par le port d’un short en plein mois de ramadan. Le 29 juillet, Cagla Köse, une jeune styliste, s’est fait agresser verbalement par l’un des gardiens du parc Maçka, au cœur d’Istanbul, parce qu’elle portait un débardeur un peu trop décolleté à son goût. Arguant de la présence de « familles » dans le parc, l’homme a appelé la police. Une fois arrivés sur les lieux, les policiers se sont dits impuissants à trancher le litige.

L’incident a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, les femmes se sont mobilisées. « Impossible de ne pas réagir à cette montée de l’intolérance », explique Dilber Sunetcioglu, la cinquantaine, venue participer, dimanche 6 août, au pique-nique organisé au parc Maçka par diverses organisations de défense des femmes.

L’affaire du débardeur est d’autant plus inhabituelle qu’elle a eu lieu au cœur du quartier laïc de Sisli, réputé pour sa tolérance en matière de mœurs. Très fréquenté, le parc de Maçka accueille régulièrement des familles venues goûter un peu de fraîcheur sous les arbres centenaires du parc qui descend en pente vers le Bosphore.

Embarrassée, la mairie de Sisli, dirigée par le Parti républicain du peuple (CHP, le parti fondé par Atatürk), a publié un communiqué annonçant que le gardien avait été suspendu de ses fonctions. Une plainte a été déposée contre lui par la jeune styliste.

« Trois enfants au moins »

Patriarcale et machiste, la société turque se montre de plus en plus intolérante envers les femmes. On ne compte plus les hommes qui, dans la rue ou dans les transports publics, se sentent investis d’une mission de police des mœurs. « Il n’est pas rare d’entendre des reproches du genre : “En tant que femme, que fais-tu à cette heure-ci dans la rue ?” C’est inadmissible », estime Dilber Sunetcioglu.

Les féministes sont inquiètes. Ces agressions, disent-elles, sont une conséquence directe du discours sexiste en vigueur chez les ténors du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis 2002. « Incomplètes » sont les femmes qui n’ont jamais enfanté, a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan en juin 2016, recommandant la mise au monde de « trois enfants au moins ». Il convient de ne pas laisser les femmes rire en public, « au nom de la décence », avait souligné en 2014 Bülent Arinç, l’un des fondateurs de l’AKP, à l’époque président du Parlement.

« A chaque changement de régime en Turquie, les femmes trinquent. Les autorités veulent contrôler leurs vêtements, leurs corps, limiter leur liberté. Actuellement, nous allons vers la mise en place d’un régime islamique, donc les femmes sont à nouveau sur la sellette, constate Gülsüm Kav, qui dirige l’ONG Halte au féminicide. Les islamo-conservateurs sont sûrs d’eux car ils se sentent portés par un vent de misogynie planétaire. L’époque est aux machos comme Trump, Poutine, Erdogan, qui n’ont qu’une idée en tête, limiter la liberté des femmes. »

C’est aussi une question de vie ou de mort. Selon l’ONG Halte au féminicide, 328 femmes ont été tuées en Turquie en 2016 – contre 237 en 2013 –, le plus souvent par leur conjoint. Pour les cinq premiers mois de 2017, elles sont 173 – contre 137 sur la même période un an plus tôt – constate l’organisation dans un rapport publié en mai.

Trafics de mariages arrangés

Pour ne rien arranger, les projets de lois concoctés par les islamo-conservateurs à l’endroit des femmes étonnent par leur caractère archaïque. En novembre 2016, le gouvernement a ainsi proposé de suspendre les condamnations pour agressions sexuelles sur mineures à condition que le violeur épouse la victime. Face au tollé suscité par cette proposition, y compris dans les rangs de la Kadem (Association des femmes et de la démocratie) dirigée, entre autres, par Sümeyye Erdogan, la fille du numéro un turc, les parlementaires de l’AKP ont dû remettre leur projet à plus tard.

Dernier projet en date, le mariage religieux va bientôt faire office de mariage civil. Si la loi en cours d’examen est votée, les muftis (dignitaires religieux pour une ville ou une région) pourront enregistrer les mariages à l’égal des maires. Les féministes y voient un grand recul. Pour elles, c’est la porte ouverte aux mariages précoces.

Bien que l’âge légal du mariage soit fixé à 18 ans en Turquie, il arrive que de très jeunes filles soient unies par des imams à des hommes plus âgés, selon la pratique des mariages arrangés. Ce type de mariage est de plus en plus fréquent. L’afflux de 3 millions de réfugiés syriens en Turquie y a contribué. Bien souvent, les réfugiés démunis donnent leurs filles en mariage pour assurer leur survie matérielle. Un véritable commerce des mariages arrangés serait à l’œuvre, selon les associations de défense des femmes.

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