Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
16 août 2017

Le journaliste français Loup Bureau entame son 22e jour de détention en Turquie

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante

Emmanuel Macron s’est entretenu hier avec le président turc et lui a fait part de « sa préoccupation » sur la situation du jeune homme. Loup Bureau est accusé par Ankara d’appartenir à « une organisation terroriste » pour avoir réalisé en 2013 un documentaire sur les Kurdes syriens.

Le fait que le président français Emmanuel Macron et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan aient évoqué, mardi 15 août par téléphone, la situation du journaliste français Loup Bureau, emprisonné en Turquie pour un reportage, « est très positif, c’est le premier signe d’une réelle implication politique de la France », s’est réjoui Loïc Bureau, le père du jeune homme, interrogé par téléphone. « C’est ce que nous attendions. De plus, il y aura une suite puisque les deux dirigeants sont convenus de se reparler à nouveau. »

Voici 22 jours que le journaliste, inculpé par un juge turc pour « appartenance à un groupe terroriste », se morfond à la prison de Sirnak, non loin de la frontière turco-irakienne. « Il est dans l’isolement le plus total. Le consulat de France lui a fait parvenir des livres mais il ne les a pas encore reçus, ils sont encore à la fouille », explique Loïc Bureau qui a pu parler samedi quelques minutes avec son fils par téléphone tandis qu’une visite consulaire avait été autorisée la veille.

Papiers en règle

Le journaliste, qui a notamment travaillé pour Arte et TV5Monde, a été interpellé le 26 juillet alors qu’il franchissait en toute légalité, ses papiers en règle, la frontière irako-turque au poste de Habur. C’est là, dans le cadre d’un contrôle de routine qu’il a été placé en garde à vue à Sirnak, la ville la plus proche, pour être ensuite relâché en fin de journée.

Mais, peu de temps après et alors qu’il attendait le bus à Sirnak, une unité antiterroriste est venue l’arrêter. Il a alors été présenté à une ancienne juge pour enfants fraîchement nommée qui l’a aussitôt inculpé d’« appartenance » à une organisation terroriste, sans la nommer.

Plus de 4 000 magistrats ont été démis de leurs fonctions dans le cadre des purges qui ont suivi le coup d’état du 15 juillet 2016, entraînant une grande désorganisation de l’institution judiciaire. Il n’est pas rare actuellement de voir des magistrats eux-mêmes accusés d’appartenance au mouvement du prédicateur Gülen, décrit comme l’instigateur du coup d’Etat, instruire des dossiers liés au « terrorisme ».

Dans le cas de Loup Bureau, l’objet du délit est un documentaire sur les Kurdes syriens et sur leurs milices armées YPG réalisé en 2013. Aux yeux des autorités turques, ces milices ne sont qu’une filiale des Kurdes autonomistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), avec lesquels une guerre est en cours depuis plus de 30 ans.

Aucun des avocats du jeune homme n’a accès au dossier

Toutefois, en 2013, la Turquie était en paix avec le Parti de l’Union démocratique (PYD) – dont les YPG sont le bras armé – et avec son chef Saleh Muslim, lequel était régulièrement reçu à Ankara. A l’époque, une trêve était également en vigueur en Turquie entre les autorités et le PKK. Les choses ont commencé à se gâter en 2015.

« Il est absurde qu’un documentaire diffusé à la télévision française puisse servir de pièce à conviction dans le cadre d’une enquête sur le terrorisme », déplore Loïc Bureau qui se démène pour que son fils soit lavé de l’accusation de terrorisme et libéré. « Mon fils est allé une seule fois en Syrie, en 2013, il n’y est pas retourné depuis. Le 26 juillet, il a franchi la frontière turco-irakienne en toute légalité et ne comptait pas travailler en tant que journaliste en Turquie. D’ailleurs, il s’apprêtait à prendre un avion à Ankara pour rentrer en Europe. »

L’assimilation faite par les autorités turques entre journalisme et terrorisme dépasse l’entendement. Aucun des avocats du jeune homme n’a eu accès au dossier comme c’est le cas pour les affaires liées au terrorisme.

« Impossible de savoir sur quels fondements les juges et le procureur turcs se sont fondés pour motiver l’incarcération de Loup », regrette Rusen Aytac, une avocate du barreau de Paris qui défend le journaliste.

« Son incarcération est dure, il est très isolé »

Son collègue Martin Pradel confirme : « Les autorités turques assument parfaitement le fait de poursuivre des avocats pour avoir plaidé, des journalistes pour avoir informé. Du point de vue français c’est surprenant, mais en Turquie, cette considération est assumée. » Le conseil n’est pas très optimiste sur le sort de son client, « Loup est en difficulté, son incarcération est dure, il est très isolé, et les charges qui pèsent contre lui sont extrêmement lourdes. »

La conversation que le chef de l’Etat français a eue avec le président turc est tout de même une bonne chose. « La situation des magistrats turcs étant ce qu’elle est, on comprend qu’ils ne peuvent pas prendre des décisions contraires à la volonté du numéro un turc, donc cette intervention était indispensable. Nous l’appelions de nos vœux depuis le début. »

Plus de 160 journalistes sont actuellement emprisonnés en Turquie. Récemment, 35 mandats d’arrêts ont été émis contre des journalistes accusés de « soutien au terrorisme », dix d’entre eux ont été arrêtés à Istanbul, dont Burak Ekici du quotidien d’opposition Birgün. Etre journaliste est devenu un crime. La chasse aux sorcières a pris des proportions inquiétantes.

Ainsi, lundi 14 août, des journaux progouvernementaux (Aksam, Star, Sabah) ont publié des noms, ceux de journalistes turcs affiliés à un groupe actif sur l’application WhatsApp, et se sont empressés de les présenter comme des fomentateurs de rébellion, des traîtres.

Publicité
Commentaires
Publicité