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Jours tranquilles à Paris
27 août 2017

Jean-Marie Périer. « C'est quand on est jeune qu'il faut en profiter ! »

Propos recueillis par Joël De Falco/ALP

C'était l'ami et le photographe des stars, du temps des yéyés, de Salut les copains et de la Beatlemania. Jean-Marie Périer, cultive une douce nostalgie des années 60 et un anti-parisianisme jouissif. Installé dans l'Aveyron, il veut maintenant y créer une maison d'édition. Bref, Périer est resté un drôle de zigue.

> Avez-vous conscience d'être arrivé sur le marché de la photo au bon moment ?

Oui, j'ai eu une chance extraordinaire. Daniel Filipacchi (1) m'avait donné tout pouvoir. Sa seule consigne, c'était : « Débrouille-toi pour que les photos déplaisent aux parents » ! Je n'avais aucune limite de moyens ou d'imagination, c'est très très rare. Et j'en ai dépensé du pognon pour monter des décors, organiser des voyages... Comme le hasard faisait que je vivais avec Françoise (Hardy, NDLR), je faisais le journal et j'étais dedans ! On est arrivé à une situation grotesque. J'avais mon propre fan-club !

> Pourtant, votre rêve, c'était la musique. Vous y avez renoncé par amour pour votre père adoptif, François Périer et par rejet de votre père biologique, Henri Salvador ?

Oui, je faisais du piano, je composais, je ne vivais que pour la musique... Et je n'ai pas pu faire ce que je voulais, à cause de cette histoire sur laquelle on ne s'étendra pas. J'ai décidé de ressembler à mon père et j'ai arrêté du jour au lendemain tout ce qui pouvait me rattacher à « l'autre » (Henri Salvador, dont il ne prononce jamais le nom, NDLR). Ma vie s'est arrêtée en 1956, quand j'avais 16 ans. Depuis, je suis une sorte de dilettante qui s'occupe... Il se trouve qu'on m'a demandé si je voulais être photographe et j'ai dit oui mais plombier, ça aurait été pareil... Donc, c'est une vie ratée. Mais à partir de là, je me suis dit qu'il fallait réussir mon ratage. Ça vaut mieux que de rater sa réussite, non ? Et puis, après tout, j'aurais peut-être été un très mauvais musicien.

> Ces années 1960, c'était vraiment une parenthèse enchantée ?

C'est une époque unique et j'ai eu une chance unique. Tous ces mômes, Sylvie Vartan, les Beatles ou les Stones, ont entre 17 et 20  ans et moi, je les rencontre à cette période-là. Ce qui fait qu'au moment où les Stones deviennent des stars mondiales par exemple, moi, je les connais déjà... J'ai la nostalgie de tout ça, bien sûr. Je me marrais beaucoup plus à 25 ans qu'à 77 ans, quand même... Et en plus, je comprenais ce qui était en train d'arriver. Quand tu vois le Texas retourné par un Mick Jagger plein de cocaïne et qu'une espèce de cow-boy épouvantable vient timidement lui demander un autographe, tu te dis qu'il se passe un truc quand même...

> La pop-culture et le rock ont-ils changé le monde ?

Non, la chanson n'a été que le haut-parleur le plus facile... De 1960 à 1975, selon moi, ce sont les enfants de l'après-guerre qui ne veulent pas de la vie de leurs parents. Dans la rue, je voyais des Catherine Langeais et des Guy Mollet avec des imperméables sinistres et puis, à l'écran, il y avait James Dean, en Cinémascope. Donc, tu veux être ça, tu veux être dans le film ! Et là, je rencontre Daniel Filipacchi, qui me file un Leica en cinq minutes et m'envoie en tournée avec Dizzy Gillespie, Ella Fitzgerald et Miles Davis...

> C'est cette liberté qui a construit votre propre style ?

Je n'en suis pas convaincu... Je me suis toujours adapté aux gens que je photographiais et j'ai donc souvent changé de style. La seule chose, c'est que la réalité ne m'intéresse pas du tout. Je fais du spectacle, tout est pensé et monté avant. Même les photos qui ont l'air vraies sont fausses ! Ma chance, grâce à ce journal sans prétention dont les photos étaient juste destinées à orner les murs des chambres des adolescentes, ça a été de faire de la couleur, pour faire plus gai. Sinon, j'aurais fait du noir et blanc, comme tout le monde, c'est beaucoup plus facile et ça fait tout de suite classe. Du coup, je suis un des rares à avoir des photos couleur de l'époque. Et, pour une raison qui m'échappe, elles ne sont pas démodées...

> Vos photos montrent-elles le bonheur des jeunes ?

Non, elles montrent la réalité des rêves des mômes de l'époque... C'est la nostalgie qui amène les gens dans mes expositions (2). Ils ne viennent pas pour moi, ils viennent pour leurs souvenirs de jeunesse, pour voir le chanteur qui leur plaisait à l'époque. À chaque fois, on fait 40.000 ou 50.000 visiteurs en deux mois parce que, tout ça, c'est pour faire plaisir aux gens qui avaient entre 12 et 20 ans à l'époque, pas pour avoir des papiers dans Libé ou Télérama. De toute manière, j'ai toujours préféré être connu que reconnu.

> Vous êtes resté en contact avec les stars de l'époque ?

Je vois toujours la « famille », Françoise Hardy, Jacques Dutronc... Johnny, aussi, mais moins. La dernière fois, c'était à Los Angeles, il y a trois ans... C'est très bien comme ça. La tournée des Vieilles Canailles, c'est super pour eux mais qu'est-ce que j'aurais à y foutre, franchement ? Je ne vais pas rester en coulisses comme je l'ai fait pendant toutes ces années. Je préfère mes souvenirs. Mick Jagger m'a laissé l'accompagner pendant dix ans mais si je le croisais aujourd'hui, qu'est-ce qu'on aurait à se dire ? Le mec est milliardaire et moi, je vis dans l'Aveyron...

> Pourquoi l'Aveyron, au fait ?

Je suis comme Thomas Dutronc, j'aime plus Paris ! L'Aveyron, j'y suis allé quand je n'avais plus un seul euro sur mon compte. Plus rien ! Alors, je me suis dépêché d'acheter une maison, comme ça, ça m'obligeait à travailler... L'Aveyron, c'est la campagne, la vraie. Là-bas, tu sens le temps passer, les gens sont vrais. Alors bien sûr, tu ne passes pas tes journées à parler de Proust mais de toute manière, à Paris non plus, tu ne parles pas de Proust (rires). Non, l'Aveyron, c'est formidable et c'est là que je vais vivre ma dernière vie. Il me reste quoi avant que ça craque vraiment de partout ? Douze printemps ? Eh bien, je vais les vivre comme je veux...

> Et cela se traduit comment ?

En écrivant. L'écriture, ça sera ça, ma dernière vie. Je vais monter une maison d'édition qui s'appellera les éditions Loin de Paris et là, je prépare un livre, un coup de gueule contre le « vieillisme » ambiant. Vous savez, tous ces bouquins à la con, « La vie commence à soixante ans », « Bien vivre avec ses varices »... Ce qui me met en boule, c'est le message qu'on envoie à la jeunesse avec tout ça. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il faut attendre la retraite pour être heureux ? C'est d'une tristesse infinie. La vie, c'est tout l'inverse. C'est quand on est jeune qu'il faut en profiter !

1. Créateur de Salut les copains et éditeur de Paris Match.

2. « Jean-Marie Périer, des années 60 à nos jours », exposition gratuite à voir à Marseille, aux archives départementales, jusqu'au 2 septembre.

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