Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
20 septembre 2017

La tour Montparnasse, mal aimée, obtient une seconde chance

montpar01

Par Frédéric Edelmann - Le Monde

Une équipe française a été choisie pour métamorphoser le bâtiment : plus ouvert, plus écologique, plus végétal. Et, peut-être, enfin apprécié par les Parisiens.

Depuis quelques mois les bookmakers parisiens se frottaient les mains. Qui allait l’emporter des sept cents équipes inscrites, puis, après écrémage, des sept agences d’architecture invitées à plancher sur la « métamorphose » de la tour Montparnasse ? Un nombre finalement réduit à deux : l’une, américaine, baptisée Studio Gang, du nom de sa fondatrice Jeanne (prononcer Djini) Gang, née dans l’Illinois. Elle s’est fait connaître en 2010 par une tour de 86 étages, soit 262 mètres de haut, à proximité du lac Michigan et du Parc du Millenium, assez originale pour être alors sacrée gratte-ciel de l’année par l’association allemande Emporis.

L’autre challenger, et désormais lauréat depuis ce 19 septembre, histoire de casser le suspense, est un regroupement de trois agences d’architecture parisiennes dont les fondateurs sont nés dans les années 1970. Elle est baptisée pour la circonstance Nouvelle AOM, autrement dit « Nouvelle Agence pour l’opération Maine-Montparnasse ». Une appellation qui reprend celle de l’équipe des constructeurs en 1972, Agence architecturale de l’opération Maine-Montparnasse.

Regroupement de trois agences parisiennes

Si le Studio Gang avait pour lui d’être de Chicago, autrement dit la patrie incontestée des gratte-ciel au XIXe siècle, la Nouvelle AOM passe pour être composée de chouchous de la Mairie de Paris : Franklin Azzi Architecture, Chartier-Dalix et HardelLe Bihan Architectes.

Franklin Azzi est passé par l’agence Frédéric Borel puis par Architecture Studio, un autre des sept finalistes. Il a fait ou refait de nombreuses boutiques de mode à travers le monde, travaillé en Chine, à Dubaï, à Londres, construit d’assez nobles édifices à Paris et France, et sacrifié aux marottes de la Maire de Paris en investissant généreusement les quais de la capitale.

Pascale Dalix et Frédéric Chartier, qui ont marqué leur premier but avec le Boulodrome de Meaux récompensé par le Prix de la première œuvre 2009, sont passés auparavant par l’agence Dominique Perrault, un autre des sept concurrents pour la tour. On a pu les croiser chez les Suisses Herzog & De Meuron, puis s’étant établis, ils ont construit des écoles efficaces avant de se jeter à corps perdu dans le semi à tout va, sur les balcons, les toits et tout ce qui peut, dans un édifice, accepter fleurs ou légumes.

Mathurin Hardel et Cyrille Le Bihan (HardelLe Bihan architectes) sont enfin passés par l’atelier MVRDV, à Rotterdam, Claude Parent, Moatti et Rivière, Thomas Leeser (New York)… Un parcours de haut vol, et une formation sûre pour imaginer des projets sans excès de végétation.

Face à des concurrents difficiles à battre

Les trois équipes se sont ainsi retrouvées, passablement jeunes, face à des agences considérées comme difficiles à battre. Sauf que pour le projet Montparnasse, elles semblent avoir jeté l’éponge un peu vite, comme si elles n’y avaient pas cru.

Architecture Studio a adopté une posture inhabituellement banale, quand ils sont connus pour des « gestes » volontiers provocants. Dominique Perrault, l’auteur de la BNF a accolé une seconde tour, beaucoup plus haute et qui semble prendre la « vieille » par le cou. A ce détail près, un peu malpoli, sa proposition était l’une des plus élégantes, rappelant les premières esquisses.

Ma Yansong, aujourd’hui l’un des plus célèbres chinois de la nouvelle génération, habituellement proche des modèles élastiques de Zaha Hadid, a sorti une décoration piteuse, et sans esprit. OMA, l’agence mondialement connue de Rem Koolhaas (PaysBas) seul lauréat du Pritzker Prize (2000), est parvenue au plus moche des projets qu’elle ait jamais pu rêver, après, nous a-t-on dit, une proposition initiale ludiquement égayée par une grande roue.

Reste PLP Architecture (Londres), conduits par Lee Polisano, David Leventhal, Karen Cook, Fred Pillbrow et Ron Bakker, qui ont comme particularité commune d’être des transfuges d’une des plus grosses entreprises architecturales du monde, la firme américaine KPF (Kohn Pedersen and Fox). Depuis, ils passent pour avoir édifié à Amsterdam la tour de bureaux la plus écologique de la planète, voire « la plus intelligente jamais construite ».

« Des traces d’amiante »

Au regard des propositions concurrentes, celle de la Nouvelle AOM apparaît comme la plus pertinente, et en tout cas la plus susceptible d’obtenir l’approbation des Parisiens comme de la mairie. L’Ensemble immobilier tour Maine-Montparnasse (EITMM), qui regroupe les 40 propriétaires de la tour stricto sensu, et plus largement les 273 propriétaires d’un complexe qui regroupe la gare, le parvis, la « petite » tour carrée, les sous-sols commerciaux, etc., est le véritable décideur de ce concours comme de ceux qui doivent intervenir dans les mois à venir.

On le voit dans la composition d’un jury qui regroupe a minima Jean-Louis Missika, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, de l’architecture et des projets du Grand Paris, Alaf Gabelotaud, conseillère de Paris et présidente du Pavillon de l’Arsenal, Frédéric Lemos, président du syndicat des copropriétaires, Gilles Vuillemard, président du syndicat des copropriétaires, et Patrick Abisseror, président de la structure projet Demain Montparnasse.

Les copropriétaires affirment que 92 % de l’amiante présente a été traitée et que 250 millions d’euros ont été affectés à ces travaux. « Il ne reste des traces d’amiante que dans des parties techniques ou non fréquentées par le public », déclarent-ils. Ils se moquent peu ou prou de l’amiante, dont la tour était truffée. Problème manifestement pris en charge par l’EITMM.

Ils ont ainsi réagi à la volonté de certains candidats aux élections de détruire l’ensemble immobilier (en particulier Nathalie Kosciusko-Morizet), en pleine affaire autour de son désamiantage. S’abritant derrière le droit de propriété, les copropriétaires soulignent qu’il faudrait invoquer « une décision d’expropriation pour cause d’utilité publique motivée par une raison de fond grave et étayée, et non une préoccupation d’ordre esthétique » : « Il n’y a donc aucun péril. » Or, dans l’hypothèse d’une destruction, le montant minimum des travaux serait de 800 millions d’euros.

L’achèvement des travaux espéré pour 2023 ou 2024

Ce sont les copropriétaires aussi qui financeront l’opération à 100 %, soit plus de 300 millions d’euros hors taxes. Des travaux qui devraient débuter en 2019. Pour un achèvement espéré en 2023, ou au plus tard 2024… pour participer aux Jeux olympiques.

La première des qualités du projet Nouvelle AOM, en ce début de XXIe siècle, est le dispositif écologique qui la fait, au sens propre, respirer, et au-delà, répondre naturellement aux besoins de chaleur ou de froid. La deuxième qualité est sa réponse au moins programmatique.

Contraints par un profil dont les qualités restent à démontrer, Mathurin Hardel fait remarquer au Moniteur des travaux publics que la marque de fabrique du bâtiment réside « dans ses deux galbes et ses deux dièdres. Au-delà, la métamorphose sera complète : d’opaque, énergivore, amiantée, monofonctionnelle la tour deviendra claire, bas carbone, économe et capable d’offrir de nouveaux usages ». Pour Franklin Azzi, « l’idée est d’en faire une tour vivante 24 heures/24 et un lieu de multi-destinations, afin d’y faire venir les Parisiens. On souhaite donc les faire profiter d’espaces extérieurs. »

En pratique, l’élargissement des quatorze premiers étages permettra de casser la course des vents qui glissent aujourd’hui, de haut en bas, le long des façades, et donc de rendre le parvis plus confortable. Au-delà, sur toute la hauteur, chacune des pointes de la tour accueillera une loggia agrémentée de plantations. Dans le même esprit qui conduit à installer un jardin au quatorzième niveau, la tour sera plus haute de 18 mètres et son nouveau sommet accueillera une « serre agricole ». Même si la tour reste en partie inoccupée, les architectes assurent que leurs plans permettront de doubler l’occupation du bâtiment. Ils proposent ainsi la création d’un hôtel entre les 42e et 45e étages.

Une histoire tourmentée

Avec la tour Montparnasse, on revient de loin. Son design original (1968), à quelques pas du cimetière du même nom, et la couleur sombre du verre qui la recouvrent rappellent une pierre tombale, tandis que son vieillissement assumé donne l’image d’un cendrier au lendemain d’une soirée arrosée. Dès sa naissance, un bruit aimable courut, affirmant que la plus belle vue de Paris est celle qu’on a en haut de la tour : c’est le seul endroit d’où on ne la voit pas.

Et comme pour mieux l’enterrer, en 2008, une association liée au tourisme l’élut comme la construction la plus laide du monde après la mairie de Boston. L’histoire de l’édifice aura été tourmentée, et agitée. On en prend la mesure dans l’ouvrage de Sylvie Andreu et Michèle Leloup, La Tour Montparnasse 1973 - 2013, Je t’aime… moi non plus (Editions de la Martinière, 2013).

L’opération s’inscrit dès le départ dans la géographie du grand patron de l’époque, l’architecte chargé du plan d’urbanisme directeur de Paris, Raymond Lopez, et de son adjoint Michel Holley, responsables heureux des grands massacres patrimoniaux de l’époque et, plus grave, de toutes les grandes zones urbanisées, comme le 13e arrondissement, le Front de Seine, les Halles ou, bien sûr, le quartier Montparnasse. Petite musique de l’époque, écrite par Lopez : « Pauvre vain peuple dont les réactions préfabriquées sont affublées du titre ronflant “d’opinion publique” et dont le goût consiste à louer systématiquement tout ce qui est vieux ou semble vieux et à dénigrer systématiquement tout ce qui est nouveau ou semble nouveau. »

Les grands patrons des Beaux-Arts, Eugène Baudoin, Urbain Cassan, Louis Hoÿm de Marien, Roger Saubot, vont dessiner la tour qui sera le phare d’un projet qui comprend aussi nouvelle gare, des hôtels, des commerces, un centre commercial, une piscine, des logements et des bureaux, bref le symbole d’un Paris « moderne ». Dans les premières esquisses de 1958, il n’y a pas de tour mais André Malraux, alors ministre de la culture, jouera un rôle décisif dans la construction de ce « moderne campanile ». La maquette lui est présentée en 1959 et, reçue avec enthousiasme, la tour de 210 m sera terminée.

Verre clair et corbeille de « légumes » sur le toit

En juin 2016, un concours d’architecte – « Demain Montparnasse » – est lancé par l’EITMM en vue de moderniser et transformer la tour d’ici 2024, avec un budget estimé à 500 à 700 millions d’euros. Selon les initiateurs du projet, « il s’agit de la mettre aux standards de demain et, ainsi, de lui redonner ce caractère de modernité qu’elle représentait il y a quarante ans ». L’architecte Jean-Marie Duthilleul est le conseil de l’EITMM pour cette opération. Il explique que la forme même de la tour pourrait changer : « Toutes les propositions sont possibles, on accepte les surprises. Pourquoi pas des balcons ou des occlusions dans la façade ? Pourquoi pas une coiffe pour en finir avec ce toit plat ? »

Par chance, au-delà des fantaisies végétales qui d’ailleurs se partagent en deux catégories – celles qui relèvent de la communauté, et celles qui relèvent de chaque propriétaire, libre donc de choisir des géraniums plutôt que des pétasites japonica – l’équipe lauréate a travaillé un profil intelligent et aussi sage que celui de leurs concurrents était déraisonnable.

La corbeille de « légumes » placés sur le toit sera sans doute un « signal fort » pour l’avenir de la mairie. Son rappel au quatorzième rappellera que rien, à Paris, ne saurait être impossible. Mais surtout le dessin des façades, passé du marron éteint, presque noir, à ce type de verre clair qu’on trouve heureusement de plus en plus souvent dans ce genre de constructions, devrait donner un beau sentiment d’espoir aux électeurs de la maire de Paris. On note ici le rapprochement de la jeune génération Nouvelle AOM avec celle de Renzo Piano, et notamment avec la tour qu’il a construit pour le New York Times à Manhattan.

Publicité
Commentaires
Publicité