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Jours tranquilles à Paris
6 octobre 2017

Nécrologie : La romancière et actrice Anne Wiazemsky est morte

Par Raphaëlle Leyris, Mathieu Macheret - Le Monde

Agée de 70 ans, elle était la petite-fille de François Mauriac et fut la muse et épouse de Jean-Luc Godard.

Elle n’avait aucune nostalgie de sa jeunesse, mais le dernier visage d’Anne Wiazemsky aura été celui de ses 20 ans. Dans Le Redoutable, le rôle de celle qui, en 1968, était la muse et l’épouse de Jean-Luc Godard est tenu par la comédienne Stacy Martin – le film est à l’écran depuis le 13 septembre. L’adaptation par Michel Hazanavicius de ses livres Une année studieuse et Un an après (Gallimard – comme toute son œuvre –, 2012 et 2015) avait amusé l’ancienne comédienne devenue écrivaine et réalisatrice.

anne

Mais en se concentrant sur « JLG », le film ne disait rien d’une part essentiel de ses romans, qui racontaient comment l’amour avait émancipé la jeune femme de son milieu, et comment elle avait ensuite réussi à s’émanciper de cet amour, frondeuse sacrément déterminée derrière sa pâleur rousse, ses yeux ronds et son abord timide – phrases courtes et heurtées. Anne Wiazemsky est morte le 5 octobre des suites d’un cancer. Elle avait 70 ans.

Son œuvre raconte largement son histoire, celle des siens. A commencer par ses parents, qui se sont rencontrés à Berlin en 1945 (Mon enfant de Berlin, 2009) : sa mère, Claire Mauriac, fille de l’écrivain François Mauriac, s’était engagée dans la Croix-Rouge et travaillait au service des personnes déplacées, dont l’un des officiers était Yvan Wiazemsky, d’ascendance russe et princière, immigré après la révolution de 1917.

Anne Wiazemsky naît dans la ville allemande le 14 mai 1947. Elle et son frère Pierre (le futur dessinateur Wiaz, de deux ans son cadet) passent une jeunesse nomade, notamment à Genève et Caracas, dans les pas de leur père diplomate. Ils reviennent en France peu avant la mort de ce dernier, en 1962. La veuve s’installe avec ses enfants chez François Mauriac. Une immense affection lie la jeune fille à son grand-père, entretenue par des discussions sur « la littérature, le bien, le mal », racontera-t-elle, mais pas « la religion », sujet de discorde depuis qu’Anne a perdu la foi.

Sept films avec Godard

Eduquée chez les sœurs de Sainte-Marie de Passy à Paris, elle rencontre le cinéma en 1965, quand Florence Delay, qui a joué Jeanne d’Arc pour Robert Bresson, lui présente le réalisateur. Il lui confie le rôle d’une petite paysanne dans Au hasard Balthazar (1966), attiré par son inexpérience et son jeu d’une « blancheur » intense. C’est pendant le tournage qu’elle rencontre Jean-Luc Godard, tête brûlée de la Nouvelle Vague qui n’oubliera pas de sitôt son visage juvénile et sa présence butée.

Anne Wiazemsky devient, après Anna Karina, la nouvelle muse de Godard, qu’elle épouse en juillet 1967, accompagnant le virage militant de son cinéma dans le sillage de mai 1968. Parmi les sept films qu’ils tourneront ensemble en 1967, puis entre 1968 et 1972 au sein du groupe Dziga Vertov, elle sera tour à tour étudiante maoïste (La Chinoise, où elle brandit face caméra le petit livre rouge), icône révolutionnaire (Sympathy for the Devil, 1969) ou ouvrière en grève (Tout va bien, 1972).

Après ces débuts sous l’égide d’ogres radicalement novateurs, Anne Wiazemsky ne quitte plus la galaxie d’un cinéma moderne, exigeant, intellectuel, à forte teneur politique. Elle est sollicitée par les auteurs italiens les plus subversifs du moment, rencontrant la révolte de Pier Paolo Pasolini (Théorème, 1968 ; Porcherie, 1969), l’insolence de Marco Ferreri (La Semence de l’homme, 1969) ou le baroque halluciné de Carmelo Bene (Capricci, 1969).

En France, elle poursuit sa carrière de comédienne avec les « petits frères » de la Nouvelle Vague, comme Philippe Garrel (L’Enfant secret, 1979) ou André Téchiné (Rendez-vous, 1985), mais se prête aussi au jeu d’expériences purement poétiques, avec Marcel Hanoun (La Vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu, 1974) ou Adolfo Arrieta (Grenouilles, 1981). Elle apparaît également dans les œuvres à portée féministe de Michèle Rosier (Mon cœur est rouge, 1977) et Delphine Seyrig (Sois belle et tais-toi, 1981).

Une femme « étrangère à la nostalgie »

Au mitan des années 1980, ses rôles au cinéma se raréfiant, la comédienne, passée par le cours de théâtre d’Andréas Voutsinas, se tourne un temps vers les planches, jouant pour la scène Les Larmes amères de Petra Von Kant (de Rainer Werner Fassbinder) ou Penthésilée (d’Heinrich von Kleist). Un détour par la télévision, notamment dans Le Pain noir, de Serge Moati (1974), l’encourage, trente ans plus tard, à passer de l’autre côté de la caméra, pour réaliser ses propres documentaires, consacrés à des figures féminines admirées, comme celle, unique en son genre, de la productrice Mag Bodard (2005), ou celle, tutélaire, de Danièle Darrieux (2007).

En même temps qu’aux scènes de théâtre, Anne Wiazemsky passe à l’écriture, la petite-fille de Mauriac s’autorisant, la quarantaine venue, cette « transgression » – « la vraie », dira l’ex- égérie mao. Grande lectrice de Colette, elle érige en devise cette phrase de La Naissance du jour : « Imagine-t-on à me lire que je fais mon portrait ? Patience, c’est seulement mon modèle. » Elle puise dans son enfance et son adolescence la matière de Des filles bien élevées, son premier recueil de nouvelles (1988), comme des romans Mon beau navire (1989), ou Marimé (1991).

Si elle confie qu’il lui semble « toujours bizarre » de se dire écrivain, la reconnaissance lui arrive rapidement. Canines (1993), qui raconte le monde du théâtre, lui vaut le prix Goncourt des lycéens ; Hymnes à l’amour (1996), où elle revient sur son enfance mais aussi sur des passions vécues par ses parents, est couronné du Grand Prix RTL-Lire. En 1998, Une poignée de gens, qui évoque le pan russe de sa famille, remporte le Grand Prix de l’Académie française.

Contrairement aux êtres qu’elle dépeint dans ce livre, il n’y a rien de passéiste dans les textes d’Anne Wiazemsky – « Je suis étrangère à la nostalgie », dit-elle. Quand elle revient sur un épisode de son passé, c’est avec le constant souci d’y retrouver les sensations de l’instant, de restituer la vie même, et pas son regret. Elle y parvient admirablement dans Jeune fille (2007), sur ses débuts dans le cinéma, comme dans Une année studieuse et Un an après, qui replongent dans l’effervescence des années 1960 sans se placer en position de surplomb par rapport à leurs personnages – mais, pas sans témoigner d’une vraie malice.

Ces romans livrent au passage un beau portrait de François Mauriac, ce « Bon Papa » dont elle donne une image merveilleusement espiègle et lucide. De lui, elle disait au Monde, en 2012 : « Il m’a toujours aidée à tourner le dos au conformisme. » Toute sa vie, Anne Wiazemsky a continué d’observer ces leçons de liberté.

Dates :

14 mai 1947 Naissance à Berlin

1966 « Au hasard, Balthazar », de Robert Bresson

1967 « La Chinoise », de Jean-Luc Godard

1968 « Théorème », de Pasolini

1979 « L’Enfant Secret », de Philippe Garrel

1988 « Des filles bien élevées » (Gallimard)

1993 « Canines », prix Goncourt des lycéens

1998 « Une poignée de gens », prix de l’Académie française.

2007 « Jeune fille »

5 octobre 2017 Mort

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