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Jours tranquilles à Paris
6 octobre 2017

Si à 11 ans on a pas un sweat Supreme, c’est qu’on a raté sa vie

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Par Caroline Rousseau - Le Monde

Ils n’ont pas même passé le brevet des collèges, mais sont hyper affûtés quand il s’agit de mode. Ces jeunes achètent ou revendent à prix d’or tee-shirts ou sweats issus de collaborations entre marques de streetwear pointues et grands noms du luxe.

En 2017, il arrive que des gosses de 12 ans qu’on habille encore chez H&M et Decathlon demandent un matin devant leur bol de céréales : « C’est quoi déjà, maman, la marque avec le cœur et les yeux ? » S’ils posent la question, c’est souvent que maman sait de quoi il retourne ; en l’occurrence, la ligne Play de la marque japonaise Comme des Garçons.

Ce qui ne l’empêche pas de s’étrangler avec sa tartine, car maman sait aussi que 90 % des gens de sa propre génération ignorent qui est Rei Kawakubo – la créatrice à succès de Comme des Garçons, icône discrète à la veille de ses 75 ans –, et que cette culture de mode-là est réservée à une bande de snobinards urbains qui pour moitié ont découvert la griffe il y a dix ans sans avoir jamais entendu parler de l’école japonaise des années 1990 et de sa révolution stylistique…

C’est peut-être à ce moment précis, en répondant à l’amateur de Chocapic prépubère que « c’est une marque fantastique mais très chère » (cardigan en laine noire à logo cœur rouge brodé = 450 €), qu’il faut commencer à s’inquiéter. Car il y a fort à parier que la prochaine étape sera la suivante…

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Cinq heures de queue

Le 30 juin, pour commercialiser les pièces créées en collaboration avec la marque de skate new-yorkaise Supreme, et présentées lors des défilés de janvier (puis largement relayées par les réseaux sociaux), Louis Vuitton ouvrait un magasin éphémère au numéro 10 de la rue Boucher à Paris ainsi que dans de nombreuses villes étrangères. Mais l’exemple français reste unique : prévu pour durer un mois, le pop-up store fermera ses portes quarante-huit heures plus tard, totalement dépassé par son succès. Dans la queue interminable, des branchés avec sac à dos et capuche, quelques filles et, surtout, de très jeunes gens… Une présence en masse qui illustre l’inéluctable et récent rapprochement des adolescents et du luxe.

« Certains avaient campé la veille pour avoir un ticket [et revenir le lendemain avec le sésame pour pénétrer dans la boutique], d’autres ont mis leur réveil à 5 heures le jour J…, raconte Luca, 15 ans. Moi, je l’ai fait sonner à 7 h 30, j’y suis allé avec ma marraine. On est arrivé à 9 heures et j’ai eu un ticket pour le jour même. Y avait beaucoup de sécurité et de monde. C’est tellement long… On a le temps de se rendre compte que c’est ridicule de faire cinq heures de queue. »

Deux mois et demi après l’événement, Luca est là, chez lui. On a calé un rendez-vous un lundi après la sortie du lycée et avant l’arrivée du prof particulier. « Vous voulez que je vous montre ? », demande le garçon sans fanfaronner. Dans l’appartement familial du 15e arrondissement, le chat s’éclipse quand il pose sur la table les « items » qu’il a réussi à acheter ce fameux jour de juin.

Le packaging est celui de Vuitton. Les deux boîtes en carton safran impérial contiennent l’une un portefeuille en cuir Épi (l’un des classiques de la maroquinerie maison) frappé du mot Supreme et l’autre un petit foulard monogrammé LV X Supreme. Luca a aussi gardé son ticket, le no 272, presque aussi précieux que le reste de son butin.

La revente ? Un jeu d’enfant !

Les produits sont neufs. Les boîtes ont encore leur ruban. Il explique qu’il s’intéressait déjà à Supreme, marque culte du streetwear américain, avant que l’ouverture de leur première boutique à Paris, rue Barbette, dans le 3e arrondissement, ne fasse le buzz l’année dernière. « Mais avant j’achetais pour porter, maintenant j’achète pour revendre. Je me demande si j’ai pas trop tardé là, mais, bon, le portefeuille je l’ai payé 475 euros et je pensais en tirer 2 000. Le foulard à 200 euros, peut-être 700. »

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Pour la revente généralement (« resell » dans le jargon, ou « flip », pour bien signifier la bascule), cela se fait directement à la sortie du pop-up store, sur le trottoir, ou un ou deux jours plus tard par l’intermédiaire de groupes Facebook spécialisés ou encore dans une boutique de dépôt-vente comme Afterdrop, rue Tiquetonne, à Paris. Les plus vieux préfèrent les sites comme Vestiaire Collective, sur lequel on a tout de même vu passer des pulls, gilets, sweats Louis Vuitton × Supreme à 10 500 euros. On peut attendre aussi, comme Luca, que les autres fassent leur business et sortir du bois plus tard. Ça a l’air simple. Un vrai jeu d’enfant.

« LE PORTEFEUILLE JE L’AI PAYÉ 475 EUROS ET JE PENSAIS EN TIRER 2 000. LE FOULARD À 200 EUROS, PEUT-ÊTRE 700. » LUCA, 15 ANS

Des enfants, d’ailleurs, il y en avait plein, dimanche 10 septembre, au salon Sneakerness, l’événement de street culture qui tourne dans les grandes villes du monde. On y vend et achète des baskets collector, de grosses parkas et des sweat-shirts à capuche de seconde main en écoutant des DJ mixer et en buvant un cool drink sous un faux palmier. Là, même s’il y a du monde, pas besoin de faire cinq heures de queue. Au sous-sol de la Cité de la mode et du design, où se tenait cette « convention », il suffisait de répondre à la question posée sans préambule : « carte ou espèces ? », et de s’acquitter de 9 euros pour obtenir son bracelet d’entrée.

À l’intérieur, des gamins par grappes de deux ou trois courent dans les allées comme s’ils allaient louper l’affaire du siècle face à des pros qui ont pignon sur rue (les resellers se multiplient dans les grandes villes et sur le Web) ou face à des brocanteurs nouvelle génération venus écouler leur stock de collectionneurs éclairés. Vendeurs et acheteurs ont entre 35 et… 11 ans bien tassés. De grands et de très jeunes enfants qui semblent dealer des sneakers et du textile en fins connaisseurs un peu blasés.

« Un hoodie et des baskets, c’est jeune ou c’est vieux ? »

Chaï Boun, 26 ans, petit bonnet bleu, lunettes rondes et banane portée en bandoulière bien serrée en travers du torse a le sourire. Il est venu donner un coup de main à un ami qui tient un stand. L’ex-étudiant de l’Institut français de la mode (IFM), promotion 2016, dont le mémoire s’intitulait « Sport : une révolution pour la mode ? », adore tout ça… Les fringues, la mode, le luxe, le streetwear.

« Hier, sur le stand, on avait un tee-shirt Supreme, le classique, sauf que le box logo [grand rectangle imprimé sur la poitrine avec la marque inscrite à l’intérieur] n’était pas rouge et blanc mais avait les couleurs de Gucci. Un garçon de 13 ans le voulait. Il n’a pas demandé le prix, alors je lui ai quand même dit qu’il était à 1 500 euros. Il avait les sous », raconte Chaï, pas plus surpris que ça au milieu de centaines de tee-shirts de la marque new-yorkaise soigneusement glissés sous des housses en plastique de pressing et vendus entre 150 et 500 euros la pièce contre une quarantaine d’euros l’unité en boutique. Eh oui ! ce modèle-là, on ne le trouve plus nulle part…

« HIER, SUR LE STAND, ON AVAIT UN TEE-SHIRT SUPREME. UN GARÇON DE 13 ANS LE VOULAIT. JE LUI AI QUAND MÊME DIT QU’IL ÉTAIT À 1 500 EUROS. IL AVAIT LES SOUS. » CHAÏ BOUN, EX-ÉTUDIANT DE L’INSTITUT FRANÇAIS DE LA MODE

Que les gosses cherchent à se distinguer, à exister en portant quelque chose de cool ou d’original, à prendre confiance en eux en étant reconnus par leurs pairs, à appartenir à une chapelle grâce à un logo ou un signe graphique fort… c’est vieux comme la mode. Qu’ils soient surinformés grâce aux réseaux sociaux (merci Instagram), cela se conçoit aussi. Mais que les jeunes qui s’intéressent à toutes ces marques pointues ou inabordables n’aient pour la plupart pas encore passé le brevet des collèges est un phénomène assez récent.

Devant un Coca et un smoothie au cassis, un expert du secteur, qui observe les transformations de la mode depuis trente ans, accepte d’évoquer le sujet, uniquement sous couvert d’anonymat. « Il n’y a plus de silhouette de jeune ou de vieux. Un hoodie et des baskets, c’est jeune ou c’est vieux ? Les lycéens portent des pantalons de costard et les banquiers des baskets… Jeff Koons l’artiste en costume, Zuckerberg le patron en claquettes et tee-shirt. Certaines marques de mode masculine font aujourd’hui la plus grande part de leur chiffre d’affaires grâce aux baskets », explique ce spécialiste du secteur. Il démontre avec force arguments que ce qu’on appelait le streetwear ne sert plus à rien en tant que style distinctif, que c’est devenu le basique du vestiaire. Le luxe s’y est mis depuis pas mal de temps maintenant.

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Les 13-18 ans, un nouveau continent

À la base, le but des grandes maisons était de vendre un vestiaire plus décontracté aux quadras dont les goûts évoluaient. Elles ont aussi embauché des designers d’à peine 30 ans. En rajeunissant leur staff et leur style, elles ont par ricochet intéressé les étudiants, puis les lycéens et maintenant les collégiens. Et sont en ce moment en train de se rendre compte de l’enjeu. Cette cible adolescente devient un nouveau marché.

« Avant, la croissance du luxe était possible grâce à une conquête géographique : la Chine, la Russie, le Moyen-Orient, le Brésil étaient dans le viseur avec des succès contrastés, mais c’était le moyen de faire grossir le chiffre. On a atteint les limites de cette expansion géographique, la conquête, désormais, est démographique. »

Le nouveau continent, ce sont les 13-18 ans, qui n’intéressaient pas trop le luxe jusque-là, car il était entendu que cette population dépendait financièrement de ses parents. « Faux !, poursuit notre expert. Aujourd’hui, et depuis l’arrivée d’eBay (comme par hasard partenaire de Sneakerness), ils revendent leurs livres, leurs jeux, les vêtements qu’ils ne mettent plus… Ils ont trouvé une source de revenus. »

Et le moyen de la faire fructifier en faisant la queue des heures pour un tee-shirt un peu rare qu’ils revendront le triple. L’économie parallèle de la « seconde main » est leur terrain de jeu favori. Une économie que certains comparent au deal de cannabis par son aspect « commun » ou au marché de l’art par son côté « averti », au courant de la cote de chaque créateur.

La pénurie, une stratégie

« Tous les six mois, on dit que Supreme n’est plus cool, mais tu peux passer devant le magasin. Ils sont tous là à attendre en espérant entrer », fait remarquer Chaï Boun. La marque lancée en 1994 a trouvé comment faire de ses molletons et jerseys des pièces aussi précieuses que des cachemires numérotés : elle les distribue au compte-gouttes – très peu d’exemplaires par modèle et de nouveaux arrivages chaque jeudi à midi, « sachant qu’à 12 h 01 y a plus rien, explique Luca, tout part en trente secondes, y en a même qui utilisent des bots (logiciels qui permettent d’acheter à leur place) ». Elle génère elle-même la pénurie, donc le manque, donc l’envie, donc la surenchère.

S’aventurer un dimanche en fin de journée rue Barbette, second magasin Supreme à avoir ouvert en Europe après Londres, est une expérience en soi. Derrière un cordon de sécurité, dans cette rue déserte du Marais, neuf personnes s’agglutinent, quinze minutes avant la fermeture du magasin, autour du videur-vigile-vendeur en tendant leurs portables avec sur l’écran la photo de la pièce qu’elles sont venues chercher.

Aussi aimable que le physionomiste d’une boîte branchée, il répond en français et en anglais : « Non, on l’a plus, non celui-là non plus. Il ne reste que du vert de toute façon. Today, green, only in green. Mais là on va fermer, on ne rentre plus. »

Un peu en retrait, un père (anglais ? américain ?) regarde si ses deux filles d’à peine 18 ans parviennent à leurs fins. L’une des deux obtient un « yes, this one, we got it ». Elle sautille et sera la seule à pouvoir entrer une fois que papa aura sorti sous le nez du vigile-vendeur deux billets de 200 euros prouvant qu’elle a les moyens de ses ambitions.

Tout le monde se déteste

Si Supreme est passé maître dans l’art de gérer sa rareté et ses collaborations, elle n’est pas la seule marque à trouver grâce aux yeux des jeunes gens. Inutile de donner une liste précise de celles qu’ils adulent, elle serait obsolète au moment de la parution, mais les solides Nike, Adidas, Champion, The North Face, Carhartt, Fila tiennent bien le choc face à Comme des Garçons, Gosha Rubchinskiy, Vetements, Pigalle, Hood by Air (que son créateur Shayne Oliver vient d’arrêter pour prendre la direction artistique de Helmut Lang), ou les tauliers du streetwear que sont Thrasher, Bape, Palace (enfin, ça dépend des semaines), etc. Du pointu, du cool, du style en barre.

Enfin, si les fringues le sont (cool), l’ambiance, elle, ne l’est pas toujours… Difficile de se faire confirmer les rumeurs de gamins rackettés à la sortie du pop-up store Vuitton. Mais Luca a bien senti la tension pendant qu’il faisait le pied de grue avec sa marraine.

« Le stress et l’énervement montent très vite, côté vigiles comme côté clients, dit-il. Le problème, c’est que certains revendaient le ticket qu’ils avaient fini par obtenir. Mais ceux qui les achetaient, et qui poireautaient quand même, se faisaient refouler car ton numéro est associé à ton identité sur iPad ; donc, si t’as pas le passeport qui correspond au ticket, tu rentres pas. En plus, les vendeurs ont fait une pause-déjeuner alors que 1 000 personnes attendaient sous la pluie… Franchement, ils auraient pu sauter le repas ou se faire remplacer, quoi ! »

À Sneakerness, quelques participants lâchent en baissant la voix que, dans ce petit milieu de la street culture, tout le monde se déteste, se méfie, craint d’être volé par plus cool et plus malin que soi. En gros, si jadis on avait peur d’entrer dans une boutique de l’avenue Montaigne, maintenant on flippe en arrivant chez Supreme. « On est mal traité, reconnaît Luca, dont le constat est corroboré par les commentaires des clients sur le site de la marque. Y a une personne sympa à l’intérieur ; c’est la seule qui te répond quand tu dis bonjour. Moi, je suis un peu négatif sur Supreme, mais comme y a des rappeurs et des célébrités qui en portent… Si j’en prends, j’ai de la marque connue sur moi, c’est bien. Pour 150 euros maximum en prix boutique, ça va. »

« Le rock d’aujourd’hui, c’est le rap »

Le prof particulier est arrivé. Il patiente avec le père de Luca dans la cuisine en sirotant un café pendant que son élève parle TVA, frais de port, prix « retail ». Grâce à Instagram, le lycéen est au courant de tout ce qui sort et du moindre bout de tissu porté ou lancé par les rappeurs ou modeux Kanye West, Virgil Abloh ou Travis Scott. C’est à celui qui sera le plus vite au courant de qui fait quoi et quand…

Pourtant, toutes les marques qui ont la cote auprès de ces collégiens, lycéens et étudiants vendent les mêmes produits. Au doigt mouillé, on est tenté de penser que rien ne ressemble plus à un sweat-shirt blanc à capuche qu’un autre sweat-shirt blanc à capuche.

Les quadras et quinquas se rappelleront peut-être que, lorsqu’ils étaient adolescents, le placard d’un amateur de new wave ne ressemblait pas du tout à celui d’un fan de ska. Aujourd’hui, être à la mode pour un garçon de 14 ans, c’est forcément porter les mêmes fringues que son voisin de cantine (la panoplie sweat-shirt - tee-shirt - baskets) en se distinguant uniquement par le logo, la marque, le graphisme du tee-shirt, la couleur et le modèle de baskets.

La faute à la musique dont s’inspire toujours la mode. « Le rock d’aujourd’hui, rappelle Chaï, c’est le rap » ; donc un seul style musical et vestimentaire prévaut désormais, celui qui vient de la rue, de la musique, du sport : celui des rappeurs. Ces grands mecs un peu bégueules qui fricotent avec les maisons de luxe, quand ils ne s’appellent pas comme elles (cf. Gucci Mane), et depuis peu avec les créateurs ultrapointus dont certaines rédactrices de mode ont encore du mal à épeler le nom.

Le mariage du luxe et du rap

On retrouve Chaï au lendemain de Sneakerness, à la terrasse d’un café de la rue du Temple. Il a demandé si son ami Moriba-Maurice Koné, 30 ans, lui aussi diplômé de l’IFM (promotion 2012), avec un mémoire titré « Le blogging de mode comme pont entre streetwear et couture », et qui a depuis lancé sa propre marque, Applecore, pouvait se joindre à la conversation. Ils font ça souvent tous les deux : parler du rap et du hip-hop comme vecteurs de mode et comparer à l’infini les apports de Hiroshi Fujiwara, Pharrell Williams, Kanye West, Virgil Abloh, Hood by Air ou Verbal au streetwear d’aujourd’hui.

À les écouter, ce rapprochement de la mode pointue, du luxe et du rap (comme style vestimentaire) doit beaucoup à A$AP Rocky. « Il a fait le grand écart comme peu de gens avant lui », certifie Moriba. Un pied chez Dior, l’autre chez Gucci, le rappeur-producteur, beau gosse né à Harlem en 1988, a, dans son album Long. Live. A$AP, en 2013, fait paraître le titre « Fashion Killa », dans lequel, selon les deux passionnés, il « valide » les créateurs et les marques « rien qu’en les citant ». Anna Wintour, la rédactrice en chef du Vogue américain, peut prendre sa retraite.

S’il fait rimer Nirvana avec Dolce & Gabbana, sa shopping-list ne se limite pas aux enseignes connues et démontre une connaissance assez fine des calendriers des Fashion Weeks… Damir Doma, Thom Browne, Rick Owens, Raf Simons… Le gamin connaît bien sa leçon de mode. Après ça, on a vu Pharrell Williams traîner dans les ateliers des métiers d’art de Chanel et Travis Scott chanter High Fashion tout en fréquentant assidûment les premiers rangs des défilés et en portant (hormis ses maillots Supreme) du Versace, du Vetements, du JW Anderson ou du Helmut Lang.

Mais, à force de fricoter avec le luxe dans des collaborations qui parfois frôlent le mariage de la carpe et du lapin, des voix s’élèvent contre l’institutionnalisation du streetwear qui revendiquait il y a peu d’être l’enfant illégitime du coton et du bitume… Pas celui de la soie et des tapis rouges.

Le grand détournement

Quand Supreme s’adressait à quelques skateurs new-yorkais ou Palace aux cool kids londoniens, c’était plus subversif, regrettent les jeunes qui commencent à avoir un peu d’expérience du haut de leurs 25 ans. Maintenant tout est sous contrat, sous contrôle, y a des copyrights sur les détournements. « Les marques installées mettent toujours un peu de temps à sentir que leur bateau prend l’eau, après elles s’agitent pour raccrocher les wagons, quitte à se dédire ; ce serait un peu exagéré de parler de mode mainstream, mais une chose est sûre, le streetwear n’est plus underground. Qu’on le veuille ou pas, les marques de luxe récupèrent aujourd’hui des tendances qui les répugnaient hier », analyse Chaï Boun.

Des exemples récents donnent raison au jeune homme. Vuitton a poursuivi en justice Supreme il y a quelques années pour utilisation non autorisée de son logo sur des planches de skate avant de conclure un pacte avec son ex-pilleur. Dapper Dan a lui aussi été rejeté, conspué, accusé de vol caractérisé par les maisons de luxe dont il détournait les produits et monogrammes avant de redevenir le roi de la sape pour ces géants du luxe qui désormais lui « rendent hommage » (défilé croisière de Gucci en avril) et collaborent officiellement avec lui (toujours Gucci).

Le détournement est aujourd’hui constitutif de la mode. Et les jeunes excellent à ce jeu-là dans une époque où ce qui est drôle, transgressif, informé et référencé fait souvent mouche. « C’est comme si désormais le luxe, qui pensait n’avoir besoin de personne à part lui-même, écoutait davantage ce que la rue et les jeunes proposent en termes de look ; les rapports ont changé », constate Chaï.

Un article des Inrockuptibles citait récemment Svet Chassol, le manageur des quatre Parisiennes du Gucci Gang, qui racontait que ces jolies gamines, promues par Instagram en icônes de style alors qu’elles avaient à peine 15 ans, étaient depuis plusieurs mois approchées par toutes sortes de marques pour des demandes très variées. Des shootings, alors qu’elles ne sont pas mannequins, ou un travail sur l’image, du stylisme. « On leur demande leur avis, on vient les chercher pour leur univers et leur vision de la mode », rapportait l’hebdomadaire.

Ils sont ainsi plusieurs à distiller leurs conseils auprès de quelques belles maisons désireuses de faire entrer un peu d’air frais dans leurs collections, communication ou carnet d’adresses… Ou à devenir de vraies sources d’inspiration, à l’instar du petit Britannique Leo « Gully Guy » Mandela, âgé de 14 ans, qui vaut son pesant de cacahuètes et de followers. Comme si ces minots qui devaient jusque-là la boucler et filer dans leur chambre étaient désormais autorisés à parler à table.

Les photos sont de Terry Richardson

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