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Jours tranquilles à Paris
9 octobre 2017

Dans l’œil de Francis Giacobetti, mythique photographe de charme

Article de Chloé Thoreau           

Il a signé d’innombrables photos de charme pour les pages du magazine "Lui", des silhouettes aériennes pour Issey Miyake, ou encore des plages de sable blanc et corps dorés pour le calendrier Pirelli. Esthète invétéré, Francis Giacobetti est un monument de la photographie française. Rencontre.

Jane Birkin, Carla Bruni, Mireille Darc, Grace Jones, Brigitte Bardot… Les plus belles femmes du monde ont défilé devant son objectif dans leur plus simple appareil. Francis Giacobetti, photographe aussi renommé que discret, est l’une des figures emblématiques du magazine Lui. Dès 1963, aux côtés de Daniel Filipacchi et Frank Ténot, il porte le titre à bout de bras et réalise parfois la totalité des clichés du magazine. "Je signais avec 14 pseudos différents pour que ça fasse ‘grand magazine’, raconte-t-il. Playboy avait un staff de quarante photographes, Match aussi, et là ça faisait un peu minable. Donc je signais Giacobetti sur ce qui me plaisait, souvent c’était la mode, et le reste avec des noms ayant les mêmes initiales. Frank Gitty, c’était d’avantage un photographe de cul, et puis Faroum Gorgouloff je n’en parle même pas…"

Paire de fesses sur ciel d'orage

Inspiré de l’esthétique pin-up née aux Etats Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale, le style Giacobetti est aussi imprégné d’humour. Maillot de bain, couverture shootée pour Lui en 1974, représente un mannequin enfilant une culotte en lycra, bonnet de bain et lunettes sur le nez, des escarpins vertigineux aux pieds. Paire de fesses sur ciel d’orage, Chambre avec vue... Le photographe titre ses photos avec malice et esprit.

"Mais le nu, je le préfère graphique," déclare Giacobetti. Ce n’est donc pas un hasard si la couverture du livre rendant hommage à son travail (à paraître chez Assouline au mois d’octobre et assorti d’une vente aux enchères de ses plus belles photos chez Artcurial) représente une paire de fesses, assises, carrées. Courbes féminines et formes géométriques se mêlent également dans sa série Zebras. Ces célèbres clichés de corps féminins striés de lumières (maintes fois imités) avaient été commandés par le couturier Hervé Léger, inventeur de la robe bandage, au lancement de son premier parfum dans les années 80. "Les photos n’ont finalement pas été utilisées, on m’a dit que ça n’allait pas, que les femmes avaient l’air d’être attachées. Alors je les ai gardées pour moi et je les ai déclinées."

Humoristiques ou graphiques, les photos de charme de Francis Giacobetti sont truffées de références à ses icônes : Helmut Newton, Art Kane, ou Irving Penn. Aviateur, cliché réalisé à l’aérodrome de La Ferté Alais en 1969, est un clin d’œil audacieux à la Femme en bottes blanches poursuivie par un avion signée par Helmut Newton pour Vogue, deux ans auparavant.

Birkin en pleine dispute avec Gainsbourg lui agrippant les cheveux, Sylvia Kristel couverte de perles pour l’affiche d’Emmanuelle, Jane Fonda étendue de tout son long sur le sable, et autres nymphes nonchalamment emmaillotées dans leurs draps... Une oeuvre riche et éclectique, dont certains éléments peuvent être aujourd’hui perçus comme archaïques et anti-féministes, car proposant une vision de la femme à travers le prisme du désir masculin. "Je le comprends tout à fait. Tout ça s’est passé dans un contexte de révolution sexuelle, c’était très différent d’aujourd’hui. Je n’ai jamais eu de problème avec les actrices que j’ai photographiées, je faisais des photos qui leur plaisaient".

En effet, de certaines de ses séances photos pour Lui, Giacobetti garde un souvenir amusé. La série avec Mireille Darc, réalisée en 1968, a été shootée dans les décors de Frederico Fellini. "Je lui ai demandé des tuyaux pour faire poser Mireille, nue, dans les rues de Rome. Il m’a dit 'c’est impossible, entre les paparazzis et les carabinieri, tu vas te faire emmerder...’ Alors il m’a suggéré de me rendre à Cinecittà, demander ses décors pour Satyricon, dans lesquels il ne comptait pas tourner" raconte le photographe.

La liberté comme mot d’ordre

Début des années 70, séduit par les nus artistiques de Giacobetti, le groupe italien Pirelli lui propose de travailler sur son fameux calendrier. Il est le seul photographe français à en avoir réalisé les clichés deux années de suite. Non sans y mettre son grain de sel. "On est partis dans les Caraïbes pour faire les photos. J’avais inventé des filtres pour foncer le ciel. Je trouve très beau quand la terre est plus claire que les cieux. Ça donne de la densité". Les plages sublimes de la Jamaïque comme surplombées par un cumulonimbus menaçant. "Ils ont voulu que j’en fasse un troisième, mais cela aurait été en collaboration avec un dessinateur dont je n’aimais pas le travail. Alors j’ai dit non". Il sourit. C’est précisément pour cette raison que le père de Giacobetti lui a mis un Leica dans les mains, le jour de ses treize ans. "Il m’a dit : ‘Je t’offre cet appareil parce que ce métier-là, c’est la liberté'".

Les grands du XXème siècle dans un portfolio

Lorsqu’il nous reçoit, les rideaux de son grand appartement de Neuilly sont tirés. "On voit mieux la photo de Francis Bacon lorsqu’il y a moins de lumière", explique-t-il. Un immense portrait du peintre anglais, dont on devine simplement les contours du visage, trône dans le salon de Francis Giacobetti. Car ce voyageur avide a côtoyé les plus belles femmes du monde mais aussi ses plus grands politiciens, artistes, scientifiques, musiciens et penseurs. "Ma famille ne m’a pas beaucoup vu, j’avais toujours beaucoup de mal à rentrer à Paris une fois à l’autre bout de la planète" se rappelle-t-il. Le Dalaï Lama, Pierre Boulez, Louise Bourgeois, Jean-Yves Cousteau, Frederico Fellini, Ieoh Ming Pei, Luciano Pavarotti, Rigoberta Menchu… Des esprits lumineux dans lesquels il a voulu se plonger par le biais de ce qu’il existe de plus singulier chez eux : leur regard. Pour cela, il a réalisé une série où le portrait de chaque modèle et son iris multicolore, évoquant la surface d’une planète rocailleuse, se répondent. Baptisée Hymn, cette collection compte plus de 200 clichés. "Je mets cinq minutes à faire un portrait, avoue Giacobetti, je ne veux pas emmerder les gens. Et je suis incapable de travailler autrement qu’en petit comité". Humble timidité de celui qui a photographié les plus grands.

La magie de ses photographies réside aussi bien souvent dans leur histoire, car Giacobetti a pour habitude d’accompagner la réalisation de ses portraits de rocambolesques aventures humaines. Celui de Yehudi Menuhin, violoniste de génie et chef d’orchestre américain, a été réalisé dans les toilettes de la Maison de la Radio, faute de place. "Quand l’idée de Hymn m’est venue, c’est à Bacon et Garcia Marquez que j’ai pensé. Je voulais absolument les photographier, raconte-t-il. J’ai rencontré Garcia Marquez le premier". C’est l’auteur de Cent ans de solitude qui propose de lui présenter Fidel Castro, dont il immortalisera également le regard fier et la barbe immaculée. Giacobetti se prend d’affection pour l’île de Cuba où il séjourne régulièrement. Au programme : parties de pêche et mojitos avec le révolutionnaire cubain. "J’ai aussi photographié treize compagnons du Che. Ils étaient tous assis sur le lit de ma chambre d’hôtel, en train de fumer leurs cigares. Dans la suite où Sinatra a passé sa nuit de noces avec Ava Gardner, à l’Hotel Nacional..."

Giacobetti, textes de Jérome Neutres, aux Editions Assouline, 85€, sortie le 5 octobre 2017.

Exposition du 14 au 16 octobre 2017, chez Artcurial à Paris. Vente aux enchères le 17 octobre.

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