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Jours tranquilles à Paris
9 octobre 2017

Emmanuel Macron, la solitude du pouvoir

Emmanuel-Macron

Par Solenn de Royer, Bastien Bonnefous - Le Monde

Surexposé, le chef de l’Etat se projette sur tous les fronts, sans boucliers ni paratonnerres. Cette ultraincarnation du pouvoir découle des institutions, mais aussi de la faiblesse du dispositif politique autour du pivot présidentiel.

C’est une vérité que tous les présidents de la Ve République ont intériorisée avant lui : le pouvoir isole. Déjà, durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était préparé à cette solitude suprême, « absolue ».

« Même si je m’efforce d’avoir une méthode collégiale, tu es la clé de voûte. Tu n’as plus de gens à qui tu peux dire les choses innocemment. Et tu ne peux pas avoir une minute de relâche. Il y a une part irréductible de mystère, la nécessité du secret. Tu retrouves une sorte d’épaisseur métaphysique. Ce n’est pas une fonction, c’est un être », expliquait le futur chef de l’Etat à l’écrivain Philippe Besson (Un personnage de roman, Julliard). Confidence prémonitoire.

Six mois plus tard, nous y sommes : Emmanuel Macron est un président seul aux commandes. Une solitude qu’il subit autant qu’il l’organise. Qui l’arrange et qui lui coûte. Et après des débuts où il a tenté de se mettre en surplomb, le voilà désormais sur tous les fronts. La semaine qui s’ouvre, comme les précédentes, en est une fois de plus l’illustration.

Mardi à Francfort, en Allemagne, pour inaugurer la Foire du livre et évoquer avec la chancelière Angela Merkel sa réforme de l’Europe, le chef de l’Etat sera mercredi à Rungis pour faire un point d’étape des Etats généraux de l’agriculture, avant de recevoir, jeudi et vendredi à l’Elysée, l’ensemble des partenaires sociaux pour lancer le deuxième volet de sa refondation sociale, avec la réforme de l’assurance-chômage et de la formation professionnelle.

Ultraincarnation du pouvoir

Emmanuel Macron est partout, il s’occupe de tout. Surexposé, le moindre de ses mots peut enflammer la lande politique, des « fainéants » au « bordel ».

Cette ultraincarnation du pouvoir découle des institutions, mais aussi de la faiblesse du dispositif politique autour du pivot présidentiel. Au gouvernement, les ministres expérimentés – Jean-Yves Le Drian (affaires étrangères), Bruno Le Maire (économie) ou Gérard Collomb (intérieur) – se comptent sur les doigts d’une main et ils peinent à exister en leurs noms propres.

A Matignon, Edouard Philippe est un premier ministre loyal et actif, mais sans troupes et sans parti, qui ne fait pas d’ombre à l’Elysée. Le casting gouvernemental ne parvient pas, à quelques exceptions près, à occuper le devant de la scène dans l’esprit des Français.

« Les ministres ne font pas assez de terrain, il faut aller voir les gens pour expliquer ce qu’on fait pour eux », répète-t-on à Matignon. D’où le « séminaire gouvernemental » organisé dimanche 8 octobre rue de Varenne, pour détailler la « feuille de route » des ministres jusqu’à la fin de l’année. Et mettre en scène une équipe encore largement méconnue dans l’opinion.

Pas une tête qui dépasse

A l’Assemblée nationale, les députés de La République en marche (LRM) ont, certes, bouleversé le paysage parlementaire des dernières décennies, mais ils restent des apprentis. Le parti présidentiel n’a pas non plus trouvé de figures visibles, ni un discours audible. C’est un handicap pour le pouvoir qui manque ainsi de relais d’opinion parmi les élus comme chez les militants.

« Il y a urgence à retrouver une incarnation au parti. Cela manque, il faut relayer la parole du président », alerte la députée (LRM) des Yvelines, Aurore Bergé. « On a besoin de quelqu’un de capé, d’un émetteur, d’un chef de meute », reconnaît Arnaud Leroy, un des trois animateurs en poste du parti.

Mais même au sein de sa garde rapprochée, Emmanuel Macron ne veut pas une tête qui dépasse. Selon plusieurs sources, il aurait mal supporté de voir son affidé, le député de Paris Benjamin Griveaux, afficher ses ambitions pour la capitale en 2020, et il hésiterait de ce fait à lui confier les rênes du parti présidentiel.

« Plutôt que de le faire élire à la tête du groupe LRM à l’Assemblée, où l’on est un premier ministre bis, ou à la tête du parti, Macron l’a nommé secrétaire d’Etat sans attribution, dernier du gouvernement dans l’ordre protocolaire », note un proche d’Emmanuel Macron, pour qui le chef de l’Etat « ne veut pas laisser grandir quelqu’un de jeune et talentueux, qui a du métier politique et peut contrebalancer son avis. »

« Une garde de petits marquis »

Comme Machiavel qui conquit le pouvoir avec l’aide de sa brigata, « une brigade de jeunes gens affamés de pouvoir et d’amitié », selon les mots de l’historien Patrick Boucheron, Emmanuel Macron s’est entouré à l’Elysée d’une armée de jeunes conseillers dévoués, qui forment autour de lui comme un cordon sanitaire. Au grand dam de certains élus, qui regrettent de ne pas avoir plus d’accès au président. « Sa garde de petits marquis l’isole et verrouille tout », soupire un compagnon de route du chef de l’Etat.

Emmanuel Macron semble également se tenir éloigné d’instances dont il sait que la plupart sont décrédibilisées aux yeux des Français (partis, élus, médias, etc.). Et s’il multiplie les longs discours, dans des décors à la symbolique forte – au pied du Parthénon, ou à la Sorbonne –, il s’est encore peu expliqué devant les Français, notamment à la télévision, ce que certains de ses proches le pressent de faire.

Cette mise à distance, doublée d’une difficulté manifeste à accepter la contradiction, alimentent un procès en toute puissance, instruit par l’opposition.

« Il y a chez Macron une volonté de tout ramener à lui, comme s’il était à l’origine de tout. C’est dangereux et risqué pour lui », estime le député Nouvelle Gauche de Mayenne Guillaume Garot. « Macron paie le prix de la fragmentation politique. Il est fort, mais dans un champ de ruines, et il est tout seul », analyse à son tour l’ancien premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.

« Beaucoup d’instruits, mais peu de rusés »

L’absence patente de voix fortes autour de la figure présidentielle inquiète de plus en plus au sein de l’exécutif. « Il faut se garder de vivre trop longtemps avec un gouvernement non politique », indique un proche du premier ministre Edouard Philippe qui plaide, en privé, pour le retour ou pour l’entrée au gouvernement « de figures que les Français identifient, comme François Bayrou ou Manuel Valls. »

« Autour du président, il faut toujours un mélange d’instruits et de rusés, estime un poids lourd de la majorité. D’un côté, des gens compétents pour ficeler les dossiers techniques. De l’autre, des gens plus madrés, à l’aise dans le combat politique. Pour l’instant, autour de Macron, il y a beaucoup d’instruits, mais peu de rusés. »

Ces inquiétudes font sourire à l’Elysée où l’on balaie à la fois l’omniprésidence et la faiblesse du pack gouvernemental. « Plusieurs ministres pèsent, comme Collomb, Le Drian, Hulot, Castaner, Blanquer, etc. », affirme un conseiller, qui compare même l’équipe Philippe à « la dream team » du premier gouvernement Jospin en 1997.

« Les ministres ont d’abord été choisis pour leurs compétences personnelles », souligne ce proche d’Emmanuel Macron, qui ajoute, ironique : « Les gouvernements sous Hollande étaient remplis de soi-disant poids lourds politiques. Est-ce que ça a été plus efficace au final ? Le président a-t-il été mieux protégé, plus populaire ? Je n’ai pas l’impression. »

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