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Jours tranquilles à Paris
10 octobre 2017

Nécrologie : Jean Rochefort, acteur inoubliable d’« Un éléphant ça trompe énormément »

Par Thomas Sotinel - Le Monde

Le comédien, âge de 87 ans, est mort dans la nuit du dimanche 8 au lundi 9 octobre. Il a tourné dans environ 120 films au cours de sa carrière, longue d’une soixantaine d’années.

Sa présence si constante (sa première apparition sur une scène parisienne remonte à 1953) au théâtre, à la télévision et au cinéma, son ironie bienveillante avaient engendré une familiarité entre l’artiste et ses publics sans équivalent en France. Pour les amoureux du théâtre des années 1960, il était l’interprète d’élection d’Harold Pinter, pour les adultes de l’après-Mai 68, il était le mâle en plein désarroi des films d’Yves Robert, pour les enfants de la fin du XXe siècle, le gentil oncle qui narrait les aventures de Winnie l’Ourson sur le petit écran. La disparition de Jean Rochefort, mort dans la nuit du dimanche 8 au lundi 9 octobre, à Paris, à l’âge de 87 ans, rappelle une évidence : il fut l’un des meilleurs acteurs français des soixante dernières années.

Sa vocation remonte à 1947. Il a 17 ans, il habite Nantes avec ses parents – issu d’une famille originaire de Dinan, Jean Rochefort est né le 29 avril 1930, dans le 20e arrondissement de Paris. Son père le verrait bien comptable. L’adolescent vient à Paris. A la Gaîté-Montparnasse, pas loin de la gare, il découvre Liliom, de Ferenc Molnar, dont le spectacle le décide à contrarier ses parents.

Il s’inscrit au Conservatoire de Nantes, puis à celui de Paris. Dans la capitale, il a pour condisciples Jean-Paul Belmondo, Philippe Noiret et Jean-Pierre Marielle. « Ni vraiment beaux ni vraiment laids, on nous cantonnait dans la catégorie des “inclassables” voués aux rôles de composition », a-t-il raconté au Figaro, en 1964.

Premiers succès au théâtre

Ecarté des emplois de jeune premier, Jean Rochefort échoue de plus au concours final de l’Ecole de la rue Blanche. En 1953, il rejoint la compagnie théâtrale Grenier-Hussenot, à laquelle il collaborera pendant sept ans. Il y côtoie Yves Robert, sous la direction duquel il tournera à huit reprises.

Au début des années 1960, son nom commence à se hisser sur les colonnes Morris : il joue Génousie, de René de Obaldia, sous la direction de Jean Vilar, ou Le Comportement des époux Bredburry, de François Billetdoux, est remarqué par la critique. En 1961, il fait sa seule apparition sur la scène du Théâtre national populaire, tenant le premier rôle dans Loin de Rueil, comédie musicale inspirée d’un roman de Raymond Queneau, mise en scène par Jean Vilar.

Peu après, sa carrière théâtrale prend son essor. Delphine Seyrig, étoile montante des scènes parisiennes, exige qu’il soit son partenaire dans Cet étrange animal, adaptation de nouvelles de Tchekhov par Gabriel Arout, mise en scène par Claude Régy. Non seulement le spectacle est un succès critique et public, mais il oblige l’acteur, qui ne fait pas confiance aux postiches, à se laisser pousser une moustache qu’il gardera pour le restant de ses jours, ne la rasant qu’à de rares occasions, comme pour jouer le marquis de Bellegarde dans Ridicule, de Patrice Leconte, en 1996.

Avec Delphine Seyrig, Jean Rochefort se rend à Londres auprès du dramaturge Harold Pinter pour le convaincre de leur accorder les droits de deux de ses pièces, La Collection et L’Amant, qu’ils interpréteront en 1965 sous la direction de Claude Régy.

Remarqué au cinéma dans « Cartouche »

Dans les années qui suivent, ses apparitions au théâtre s’espacent pour s’interrompre tout à fait pendant la décennie 1970. Lentement mais sûrement, Jean Rochefort est en train de devenir une figure majeure du cinéma français. A la télévision, il a déjà été remarqué dans La Dame de pique, mis en scène par Stellio Lorenzi d’après Pouchkine en 1958, ou dans Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, version Marcel Bluwal, en 1961.

Sur le grand écran, son premier rôle d’importance est une catastrophe. Sorti en 1961, Vingt mille lieues sur la Terre, film franco-soviétique à la gloire de l’URSS, lui impose Léon Zitrone comme partenaire et un séjour prolongé en Sibérie, qu’il évoquera dans son livre de souvenirs, Ce genre de choses, paru chez Stock en 2013.

Il faut attendre 1962 pour qu’il soit remarqué sur le grand écran. Jean-Paul Belmondo, ex-condisciple, l’impose aux producteurs de Cartouche, réalisé par Philippe de Broca, dans lequel Rochefort incarne La Taupe, second du bandit redresseur de torts.

Cette première réussite aura une autre conséquence : les nombreuses séquences équestres du film, qui font que Jean Rochefort termine le tournage avec « des bandages partout, plusieurs fractures », éveillent chez le comédien une passion pour le cheval. Passion qui le mènera plus tard à se faire éleveur, à participer à des concours hippiques ou à commenter cette discipline lors des Jeux olympiques d’Athènes, en 2004. Cette ferveur est coûteuse au point d’avoir poussé Jean Rochefort à accepter des « scénarios lamentables [devenus] après un coup d’œil à [son] compte en banque, tout à fait acceptables ». Il surnommait ces participations alimentaires ses « films avoine ».

En cette décennie 1960, Jean Rochefort enchaîne les seconds rôles, chez de Broca (Les Tribulations d’un Chinois en Chine, 1965, Le Diable par la queue, 1969) ou dans la série des Angélique, de Bernard Borderie, dans laquelle il joue Desgrez, chef de la police et soupirant de la marquise. De cette période, on garde le souvenir d’une apparition saisissante dans Qui êtes-vous Polly Magoo ?, de William Klein (1966), et d’un premier premier rôle, longtemps resté sans lendemain, dans un film noir, Symphonie pour un massacre (1963), qui marque les débuts du réalisateur Jacques Deray.

Au premier plan à partir de 1972

C’est à partir de 1972 que Jean Rochefort passe au premier plan dans le cinéma français. Son apparition en colonel du renseignement dans Le Grand Blond avec une chaussure noire marque le début d’une fructueuse collaboration avec Yves Robert, son ex-camarade de la compagnie Grenier-Hussenot, pendant que Serge Korber lui offre un grand rôle dramatique dans Les Feux de la Chandeleur, avec Annie Girardot. Présenté à Cannes, le film y est mal reçu, mais connaît un succès public.

Avec Yves Robert, Jean Rochefort tourne Salut l’artiste (1973), Le Retour du grand blond (1974) et surtout le diptyque Un éléphant ça trompe énormément (1976) et Nous irons tous au paradis (1977). A deux reprises, il est Etienne Dorsay, fonctionnaire, produit épanoui des « trente glorieuses », dont la virilité est remise en question par l’infidélité, fantasmée ou réelle, qui mine son couple. Sa capacité à subir toutes les avanies sans renoncer à son élégance, sa vulnérabilité discrètement mise en évidence font de Dorsay le personnage le plus représentatif du travail de Jean Rochefort à cette époque.

Par ailleurs, Bertrand Tavernier lui offre le beau rôle de policier dépressif de L’Horloger de Saint-Paul (1974), puis celui de l’abbé Dubois dans Que la fête commence (1975), qui vaudra à Jean Rochefort d’être désigné meilleur second rôle masculin lors de la première cérémonie des Césars en 1976.

En revanche, sa collaboration avec Patrice Leconte commence sous des augures moins favorables. Adapté des enquêtes du commissaire Bougret, de Gotlib et Goscinny, Les vécés étaient fermés de l’intérieur (1976) est un échec artistique et commercial malgré la présence de Coluche. Le tournage est si tendu qu’interprète et réalisateur ne se parleront plus jusqu’à ce que Leconte propose à Rochefort le premier rôle de Tandem, en 1987.

Des choix éclectiques

Dans la filmographie pléthorique (environ cent vingt titres) de l’acteur surgissent des œuvres un peu oubliées – le très émouvant Un étrange voyage, d’Alain Cavalier (1981), des apparitions inattendues chez Luis Buñuel, dans Le Fantôme de la liberté (1974), et chez Robert Altman (Prêt-à-porter, 1994) ou des rôles taillés sur mesure comme celui du commandant dans Le Crabe-Tambour, de Pierre Schoendoerffer, qui lui permet d’obtenir le César du meilleur acteur en 1978.

Dans les années 1990 et 2000, Rochefort reste fidèle à Yves Robert (Courage fuyons, Le Bal des casse-pieds), à Patrice Leconte (Ridicule, Le Mari de la coiffeuse), tout en donnant leur chance à de jeunes réalisateurs comme Régis Wargnier (Je suis le seigneur du château, 1989), Pierre Salvadori (Cible émouvante, 1993) ou Philippe Lioret (Tombés du ciel, 1993). Il revient au théâtre pour créer Art, de Yasmina Reza, en 1998, interprète en 2004 des sketchs de Fernand Reynaud qu’il avait côtoyé un demi-siècle plus tôt sur les scènes des cabarets de la rive droite. Cet éclectisme le conduit également sur les routes d’Espagne, où il doit incarner Don Quichotte sous la direction de Terry Gilliam, aux côtés de Johnny Depp.

Mais, en 2001, le tournage de The Man Who Killed Don Quixote vire à la catastrophe. Victime de violentes douleurs dans le dos, Jean Rochefort doit abandonner le plateau, qui est par ailleurs emporté par la crue soudaine d’une rivière. Chroniquée dans le documentaire Lost in la Mancha (que le comédien s’est toujours refusé à voir), cette débâcle tient Rochefort éloigné des plateaux pendant deux ans.

Il revient dans L’Homme du train, de Patrice Leconte, avec pour partenaire Johnny Hallyday. On le voit ensuite chez Edouard Baer (Akoibon), Guillaume Canet (Ne le dis à personne) ou Samuel Benchetrit (J’ai toujours rêvé d’être un gangster). En 2015, Jean Rochefort avait incarné un vieillard qui perd la raison dans Floride, de Philippe Le Guay, avec une précision et un humour qui n’empêchaient pourtant pas que l’on croie à la maladie du personnage.

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