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Jours tranquilles à Paris
13 octobre 2017

« Les Inrockuptibles » mettent Bertrand Cantat en « une », et un débat que l’on connaît bien ressurgit

Par Violaine Morin - Le Monde

La présence médiatique de l’artiste, condamné pour l’homicide de Marie Trintignant, ne laisse toujours pas indifférent, treize ans après.

Le numéro 1 141 des Inrockuptibles est sorti, mercredi 11 octobre, avec, en « une », la photo de Bertrand Cantat, l’ancien chanteur de Noir Désir, condamné en 2004 pour l’homicide de sa compagne, Marie Trintignant. L’image est barrée du titre « Bertrand Cantat en son nom ».

Dans les pages, figurent un article de Jean-Daniel Beauvallet sur le projet d’album solo de l’artiste, qui doit paraître en décembre, et une interview dans laquelle Bertrand Cantat prononce notamment ces mots, reproduits à la « une » :

« Emotionnellement, j’étais pourtant incapable de lire, d’écouter. La beauté, lentement, en frottant, a retrouvé une petite place. J’ai refait mon parcours avec mes albums fondateurs tout en restant à l’écoute de toute nouveauté. »

Ce n’est pas seulement la « une » qui fait réagir en ligne, mais aussi le contenu de l’article, accusé d’être complaisant envers Cantat, qui y évoque longuement sa reconstruction à travers la musique, et d’ignorer Marie Trintignant, la victime.

« L’auteur d’un féminicide »

En plus de la foule d’anonymes qui s’est exprimée sur les réseaux (#LesInrocks était un des sujets les plus discutés du jour sur Twitter), des acteurs et des responsables politiques de premier plan ont participé à la discussion.

La secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a notamment réagi au titre, « En son nom », en demandant : « Et au nom de quoi devons-nous supporter la promo de celui qui a assassiné Marie Trintignant à coups de poings ? Ne rien laisser passer. »

Laurence Rossignol, ancienne ministre des familles et sénatrice socialiste de l’Oise, a relevé une ironie : le CD qui vient avec l’actuel numéro des Inrocks contient une chanson d’Orelsan, rappeur connu pour ses propos dégradants envers les femmes et auteur de la douteuse expression « tu vas te faire marie-trintigner », pour laquelle il a été condamné à une amende avec sursis, en 2013, pour injure et provocation à la violence envers les femmes.

Nadia Daam, journaliste à Slate et spécialiste entre autres des questions de violences faites aux femmes, a répondu à la couverture en publiant une photo où la citation de Bertrand Cantat est recouverte d’un extrait du rapport d’autopsie de Marie Trintignant.

Selon Nadia Daam, c’est le principe même de consacrer des pages à Bertrand Cantat qui pose problème :

« On ne prête pas une oreille compatissante à l’auteur d’un féminicide (…) surtout quand les victimes, elles, ne bénéficient jamais d’autant de compassion, d’écoute et d’exposition médiatique. »

Persister à vouloir une vie publique

Ce n’est pas la première fois que la couverture médiatique dont bénéficie Bertrand Cantat pose question, ni que les Inrocks en font les frais. Jean-Daniel Beauvallet, joint par Le Monde, déclare ne pas souhaiter commenter, précisant qu’il a déjà fait face aux mêmes reproches lors de sa précédente interview du chanteur, en 2014.

Depuis sa libération conditionnelle en 2007, Bertrand Cantat revient progressivement à des projets artistiques. A chaque album, chaque concert, chaque prise de position, le débat ressurgit dans les mêmes termes : peut-il continuer à avoir une vie publique, a fortiori si elle est politiquement engagée par ses textes, c’est-à-dire la vie qu’il avait avant la mort de Marie Trintignant ? La première chanson extraite de l’album à paraître, déjà disponible en ligne, s’appelle L’Angleterre et dénonce le Brexit et le sort réservé aux migrants en Europe.

Et quand bien même Bertrand Cantat choisit de poursuivre cette carrière, faut-il faire la publicité desdits projets, leur offrir une exposition médiatique ? Une partie du public et des collaborateurs de Bertrand Cantat considèrent que, la peine purgée, ce dernier a le droit de reprendre son métier. C’est le cas de l’auteur de l’interview, qui écrit :

« Pour ses actes, Bertrand Cantat a été jugé, condamné, incarcéré. Il a ensuite été libéré, peine purgée. Chacun a le droit de s’en étonner, de s’en offusquer ou de juste respecter une décision de justice qui offre à un homme une rédemption, le droit d’exercer son ancien métier de musicien. Malgré tout. Amor fati, pour Nietzsche, consistait à aimer son destin, à l’accepter au moins, quel que soit son prix, son enfer. »

C’était aussi le cas du dramaturge Wajdi Mouawad, qui avait souhaité inviter Bertrand Cantat à mettre en musique les paroles du chœur dans La Trilogie des femmes, une mise en scène de trois pièces de Sophocle donnée à Avignon en 2011. Une polémique avait alors opposé Bertrand Cantat et Jean-Louis Trintignant, le père de Marie Trintignant, qui menaçait de boycotter le festival si le chanteur s’y rendait, ce à quoi il a finalement renoncé.

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