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Jours tranquilles à Paris
19 octobre 2017

Xi Jinping, l’empereur rouge

xi

Par Brice Pedroletti, Pékin, correspondant - Le Monde

Xi Jinping a rendez-vous avec l’Histoire. Au cours du XIXe congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui s’est ouvert mercredi 18 octobre à Pékin, le numéro un chinois devrait être non seulement reconduit pour un second mandat de cinq ans, mais il ­devrait aussi rejoindre des dirigeants illustres comme Mao Zedong (au pouvoir de 1949 à 1976), le fondateur du régime communiste, et Deng Xiaoping (1978-1992), le père des ­réformes.

L’un des enjeux du congrès est en effet l’inscription dans la charte du PCC de son nom au côté de la théorie ou du maître-concept qui lui sera associé. Jusqu’alors, seuls Mao (avec la « pensée Mao Zedong ») et Deng (avec la « théorie Deng Xiaoping ») avaient eu cet honneur, mais pas de leur vivant.

A 64 ans, Xi Jinping pourrait connaître cette consécration alors qu’il est encore au pouvoir : c’est un moment important pour ce dirigeant à la fois nationaliste et conservateur, qui a refaçonné le parti-Etat qui dirige la Chine et soumis la société à son idée autoritaire de la gouvernance. Tout cela au nom de la suprématie du PCC et d’un pays puissant et conquérant.

Il conjugue fermeté vis-à-vis des puissances étrangères, quitte à provoquer des tensions en mer de Chine, et fermeture sur le plan intérieur, ­réprimant dissidents et avocats. « Les étrangers demandent souvent si Xi suit la voie de Mao ou celle de Deng. C’est une méprise, il est l’élève à la fois de Mao et de Deng », explique l’intellectuel néomaoïste Sima Nan, un partisan inconditionnel.

Aux côtés de Poutine et d’Erdogan

Mao et Deng en un seul homme pour une Chine conquérante. Sur la scène mondiale, M. Xi a pris sa place aux côtés d’un Poutine et d’un Erdogan, car la Chine considère qu’elle offre une alternative à la démocratie occidentale par son système d’élections, de représentation populaire et de méritocratie.

Il s’est aussi posé en chantre de la globalisation économique face à une Amérique en perte de ­vitesse, offrant au monde ses « nouvelles routes de la soie » – un immense projet de construction d’infrastructures – tout en maintenant le marché chinois aussi verrouillé que possible, comme le dénonce de plus en plus vigoureusement l’Union européenne.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, l’heure est au repli sécuritaire, au contrôle sociétal et au recentrage sur des valeurs traditionnelles et souvent anti-occidentales.

Le PCC est célébré comme le grand artisan de l’enrichissement de la Chine et son seul ­facteur de cohésion. Une Chine de retour à sa juste place, après avoir été éclipsée et ­humiliée au milieu du XIXe siècle sous le joug des puissances coloniales.

« Grâce à la stabilité et au fait que le parti dirige la Chine de manière appropriée, nous vivons aujourd’hui comme dans les films américains ou français que nous regardions dans le passé. Nous chérissons cette vie. Et c’est mon devoir de la protéger », dit Hu Xijin, rédacteur en chef du Global Times, un quotidien nationaliste publié aussi en anglais.

Chine décomplexée, conquérante et fière

A l’approche du congrès, la propagande met en avant les succès diplomatiques de M. Xi. Dans La Diplomatie d’une puissance majeure, une série de six documentaires diffusée en septembre, le commentateur explique que « désormais, pour la première fois, la Chine se tient au centre de la scène internationale ». « Elle a trouvé la capacité et la ­confiance pour réaliser le rêve chinois de la grande renaissance de la nation. Nous empruntons un nouveau cours historique tracé par le président Xi Jinping. »

Cinq cent soixante-dix mille kilomètres parcourus, 56 pays visités… M. Xi passe d’un avion à un autre, est reçu en grande pompe par les plus hauts dignitaires et les accueille pour les grands sommets de son mandat. Sur les images de la Télévision centrale de Chine (CCTV), il est calme et souriant, qu’il s’avance sur un tapis rouge ou s’exprime devant des publics denses et prestigieux. Il incarne cette Chine décomplexée, conquérante et fière, à qui l’Amérique de Trump, isolationniste et brouillonne, semble laisser la voie libre.

Le grand accomplissement de Xi Jinping, et peut-être son apport personnel à la charte du parti, se veut la « gouvernance ». D’où le titre de l’ouvrage phare de son mandat écoulé, un volume de plus de 500 pages, publié il y a exactement trois ans et compilant ses discours et essais : La Gouvernance de la Chine.

Guerre intestine en 2012

Pour comprendre cette insistance sur la « gouvernance », il faut revenir à l’année 2012, celle du XVIIIe congrès, où Xi Jinping fut adoubé. Ce fut l’annus horribilis par excellence.

Après s’être brutalement crispé à la suite des révolutions qui avaient balayé le monde arabe en 2011, le régime chinois voit éclater l’affaire Bo Xilai, chef du Parti de Chongqing, qui plonge le PCC dans une ­féroce guerre intestine et l’expose sans doute à des tentatives de coup d’Etat.

Second événement hautement symbolique, l’un des plus célèbres dissidents chinois, « l’avocat aux pieds nus » Chen Guangcheng, séquestré dans son village, parvient en mai 2012 à tromper la police alors qu’il est aveugle et à gagner l’ambassade américaine, ouvrant une crise diplomatique retentissante.

La Chine de Hu Jintao semble bien terne et démunie face au charisme de Barack Obama et à la pugnacité d’Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat. Dans tout le pays enfle une insurrection larvée sur les réseaux sociaux, où des tribuns mettent en pièces l’appareil de propagande et appellent à plus de participation politique. Des journaux chinois titrent sur la « crise de la gouvernance » qui mine le pays.

Une fois au pouvoir, Xi Jinping prend le contre-pied de ceux qui voyaient en lui un partisan de réformes politiques longtemps repoussées. Il purge sans état d’âme le parti au nom de la lutte anticorruption, consolide son pouvoir en plaçant ses hommes, remanie l’armée et place la société civile dans une camisole de force.

La prise de contrôle est inouïe par sa brutalité et ses implications. « Il y a quatre ou cinq ans, j’étais optimiste, comme beaucoup dans ma génération. Le scénario dominant était que nous nous dirigions vers un modèle de type occidental, européen, que notre société devenait de plus en plus libre. Ce n’est plus le cas, il faut abandonner cette fantaisie. Les rouages du totalitarisme n’ont pas disparu. On croyait toucher du velours, mais on ne réalisait pas qu’il entourait des barreaux », dit à Pékin un intellectuel et essayiste chinois.

Après notre entretien, il requiert par courriel l’anonymat : « Je crains de préférer rester prudent dans la situation extrême que traverse la Chine aujourd’hui. »

La notion d’Etat de droit conspuée

Pour mener à bien son grand projet de gouvernance, Xi Jinping veut tout siniser : il convoque à son service la civilisation chinoise, le confucianisme et toute une palette de traditions politiques qui auraient fait leur preuve dans la Chine antique sans rien ­devoir aux systèmes occidentaux, le légisme du lettré Han Fei (280-233 avant J.-C.), au cœur du concept de « l’autorité par la loi ». Une loi au goût d’édit impérial que le régime n’hésite pas à brandir pour torturer et jeter en prison ­plusieurs dizaines d’avocats ­chinois qui s’attelaient depuis une dizaine d’années à faire progresser une notion bien différente, celle d’« Etat de droit » à l’occidentale, conspuée.

La gouvernance autoritaire de Xi Jinping se veut entièrement au service du maintien du monopole du pouvoir au parti, mais aussi des ambitions internationales de cette « nouvelle Chine » enfin réinstituée dans son statut de grande puissance, selon le discours officiel.

Le nationalisme est essentiel à la ­légitimité du parti, qui a, sous Xi Jinping, ­redoublé en intensité. « Mao était connu pour vouloir exporter la révolution. L’ère nouvelle, sous Xi Jinping, c’est exporter du capital. Xi Jinping nourrit le rêve d’un grand empire rouge », dit l’historien chinois Zhang Lifan. L’économie chinoise est son arme la plus ­efficace. Les « routes de la soie » et l’internationalisation du yuan en sont les moyens stratégiques.

« Or, tout cela, poursuit l’historien, nécessite de la puissance militaire en appui. Donc, il faut s’attendre à ce que la Chine étende dans le monde son empreinte militaire comme elle vient de le faire avec sa première base à Djibouti. Les investissements dans ces domaines sont substantiels, car Pékin s’est fixé comme objectif de devenir une puissance maritime alors qu’elle ne l’était pas. »

Les défis à relever n’en restent pas moins nombreux pour le président Xi : l’économie vacille, et le numéro un chinois est réputé s’être fait beaucoup d’ennemis à l’intérieur du système. Et à la périphérie, la puissance chinoise continue d’inquiéter : Hongkong et Taïwan sont entrées en rébellion sous son mandat. L’accroissement des tensions sur la péninsule coréenne, avec un Donald Trump irascible et incontrôlable, est déjà un test pour cette « diplomatie de grande puissance » que Pékin se targue de déployer. Un danger en perspective, mais aussi une opportunité.

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