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Jours tranquilles à Paris
25 octobre 2017

En Chine, la consécration de Xi Jinping et sa « nouvelle pensée »

Par Brice Pedroletti, Pékin, correspondant - le Monde

Après Mao Zedong et Deng Xiaoping, le numéro un chinois voit son nom et sa doctrine inscrits dans la charte du Parti communiste chinois.

L’heure était à l’unanimité, mardi 24 octobre, dans l’immense amphithéâtre du Palais du peuple, place Tiananmen à Pékin, pour la clôture du 19e congrès du Parti communiste chinois (PCC), ce conclave quinquennal de première importance. Après la lecture du projet d’amendement des statuts du parti, qui devait consacrer l’apport philosophique du secrétaire général, Xi Jinping, à l’édifice du socialisme à la chinoise, celui-ci a lui-même procédé au vote à main levée des quelque 2 200 délégués : « Que ceux qui approuvent lèvent la main. » Des milliers de bras se sont tendus dans un froissement d’étoffe.

Puis : « Que ceux qui ne sont pas d’accord lèvent la main ! » Tour à tour, les appariteurs répartis dans la salle ont crié : « mei you ! » (« aucun »). Une nouvelle déferlante de « mei you » tonitruants a parcouru la salle lorsque furent sondés les abstentionnistes. « La résolution est adoptée », a déclaré, sans trahir la moindre émotion, le secrétaire général sortant et candidat à son renouvellement – son mandat à la tête du PCC sera formellement approuvé mercredi.

« Guide pour l’action »

Et c’est ainsi que « la pensée de Xi Jinping du socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » a rejoint dans la charte du PCC le marxisme-léninisme, la pensée de Mao Zedong, la théorie de Deng Xiaoping, la « pensée importante des trois représentativités » et le « concept de développement scientifique ». Ces deux dernières contributions, dues respectivement aux secrétaires généraux Jiang Zemin (1989-2002) et Hu Jintao (2002-2012), tous deux présents au Palais du peuple, ne sont pas nominalement rattachées à leurs promoteurs dans les statuts du parti.

Ces « pensée », « théorie » ou « concept » fonctionnent comme des mises à jour du logiciel théorique du PCC, centré sur le marxisme-léninisme et toujours organisé selon le principe du « centralisme démocratique ». Chacune est un « guide pour l’action », un ensemble d’orientations et de choix politiques censés adapter le communisme chinois aux nouveaux enjeux de l’époque et mobiliser les troupes.

La « nouvelle pensée » de Xi fournit un cadre au « rêve chinois de renaissance de la nation » qui lui est cher, pour la « nouvelle ère » dans laquelle entre la Chine : rien moins que les trente-deux ans à venir jusqu’au centenaire de la fondation de la République populaire, le 1er octobre 2049. La Chine sera alors un « pays socialiste moderne, prospère et puissant », comme l’a plusieurs fois promis M. Xi, et « toute proche du grand rêve chinois de renaissance ».

Le secrétaire général s’est levé après le vote pour écouter L’Internationale devant l’immense emblème de la faucille et du marteau. La salle a fait de même : les milliers de délégués et anciens dirigeants, des hommes dans leur majorité, en veste, cravate et badge rouge épinglé au veston – à l’exception des représentants des minorités ethniques, vêtus de superbes costumes traditionnels, ou du personnel de la police et de l’armée, en uniforme. La séance a également désigné à la tête de la Commission centrale de discipline, le redoutable bras anticorruption du parti, Zhao Leji, un proche allié de Xi Jinping qui supervisait la direction du personnel au sein du parti, en remplacement de Wang Qishan.

Projet « décisif »

La mention du nom de Xi Jinping au côté de sa « pensée » est une consécration pour le numéro un chinois. Aucun dirigeant, depuis Mao, n’avait vu son apport théorique inscrit dans la charte de son vivant, puisque celui de Deng l’avait été à titre posthume. « Cela va au-delà du titre de “noyau dirigeant” qui lui a déjà été accordé [en octobre 2016], et lui assure la suprématie idéologique. Son autorité suprême dans le parti va donc en sortir renforcée », commente le chercheur chinois Chen Daoyin.

Une autorité qui pourrait prolonger son influence au-delà de ses deux mandats, même s’il n’est plus le secrétaire général désigné, ont spéculé certains observateurs – une manière pour Xi Jinping de rester virtuellement au pouvoir après le prochain congrès de 2022 sans bousculer les usages d’une retraite au-delà de 67 ans (M. Xi en a aujourd’hui 64).

Ce signal de la consolidation de son pouvoir par Xi Jinping consacre le retour au centre du jeu (politique, social, culturel) du parti communiste comme donneur d’ordres, décideur et producteur de normes. Le projet de « construction du parti » – comme entité dirigeante irréprochable mais surtout indiscutable – a été présenté comme « décisif » par Xi Jinping.

« La trajectoire politique suivie ces cinq dernières années laisse penser qu’il y aura encore plus de contrôle, expliquait l’historien chinois Zhang Lifan avant le congrès. Il est difficile pour Xi Jinping de faire machine arrière, il s’en est pris à toutes les factions au sein du parti, a attaqué les intellectuels libéraux, les patrons. S’il perd du pouvoir ou entame des réformes, il perdra le contrôle, et le parti peut s’écrouler. La seule chose qu’il peut faire est d’accumuler encore plus de pouvoir pour lui et pour le parti. »

« IL RESSORT [DE LA PENSÉE DE XI] UN RENFORCEMENT DU PARTI SUR LE PAYS, LA SOCIÉTÉ, L’ÉCONOMIE », ESTIME JEAN-PIERRE CABESTAN, SINOLOGUE

C’est le retour en force de l’idéologie. « Il y a une logique inhérente dans le parti-Etat qui a un besoin ardent d’idéologie : il faut un raisonnement convaincant pour justifier l’existence d’un parti avec une autorité supra-étatique », écrit le politologue norvégien Stein Ringen dans l’ouvrage qu’il vient de consacrer à la Chine (The Perfect Dictatorship, non traduit). L’ouverture et les réformes, poursuit-il, n’ont jamais remis en question ce discours. Elles ont juste rejeté l’idée d’une révolution permanente (chère à Mao).

« Depuis lors, bien plus que de démonter l’échafaudage idéologique de l’Etat, chaque dirigeant successif a ajouté de nouveaux éléments. L’idéologie est bien là, elle est couvée, nourrie et réinventée », explique-t-il. Ce qui pourrait, c’est l’une des hypothèses du livre, mettre la Chine sur la voie d’un « Etat de puissance » de type fasciste.

Cet aggiornamento communiste n’en a pas moins des limites, juge le sinologue Jean-Pierre Cabestan, qui y voit « un populisme à la chinoise ». « Il ressort [de la pensée de Xi] un renforcement du parti sur le pays, la société, l’économie. Ce que cela montre aussi, a contrario, c’est que la société chinoise s’est éloignée du parti. Les Chinois sont détachés de la politique, ils ont tourné le dos à la politique et aux politiciens – du moment que le parti fournit la sécurité et la croissance. »

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