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Jours tranquilles à Paris
28 octobre 2017

L’ultime bravade de la Catalogne

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Par François-Xavier Gomez - Libération

Le Parlement de la région autonome a voté vendredi en faveur de la sécession, portant à son paroxysme le bras de fer avec Madrid, qui a activé dans la foulée le processus de mise sous tutelle des institutions catalanes.

 L’ultime bravade de la Catalogne

A 15 h 41 vendredi, le Parlement de Catalogne a voté une résolution ouvrant la voie à l’instauration d’une «République catalane, en tant qu’Etat indépendant et souverain, de droit, démocratique et social». A 16 h 10 à Madrid, le Sénat espagnol votait l’application de l’article 155 de la Constitution, qui suspend de facto le statut d’autonomie de la région et met ses principales institutions sous la tutelle du pouvoir central. Les deux décisions concomitantes sont des premières : elles instaurent des situations qui ne se sont jamais produites en Espagne depuis le retour à la démocratie, en 1978. Elles ouvrent une période d’instabilité, et pire sans doute : un saut dans le vide dont nul ne peut prévoir les conséquences en Espagne, et dont l’onde de choc ne devrait pas épargner l’UE, qui bien sûr ne reconnaît pas l’Etat unilatéralement créé. La maire de Barcelone, Ada Colau, opposée à l’indépendance, a parlé d’une «collision entre deux trains».

Séparation

Au Parlement catalan, le vote a été acquis par 70 voix pour, 10 contre et 2 abstentions, sur un total de 135 sièges. Le bloc indépendantiste, formé d’une coalition pilotée par le parti de centre droit de Carles Puigdemont et du mouvement anticapitaliste CUP, a quasiment fait le plein, puisqu’il dispose de 71 sièges. Les élus du Parti populaire (PP, conservateur), du Parti socialiste catalan (PSC) et de Ciudadanos avaient quitté l’hémicycle en signe de protestation. A l’annonce du résultat, les restants, accompagnés par 200 maires favorables à la sécession, ont entonné Els Segadors, l’hymne catalan, un chant de la fin du XIXe siècle qui incite les «défenseurs de la terre» à porter un «bon coup de faux» à leurs ennemis, «ces gens orgueilleux et méprisants» ; l’Espagne, donc. Un coup de faux : c’est ce qu’ont donné les représentants élus au lien qui unit la région avec le royaume d’Espagne.

La résolution votée prévoit un chemin rapide vers la séparation (lire ci-contre). Et d’abord la formation, en deux semaines, d’une commission chargée d’organiser l’élection d’une Assemblée constituante. La proclamation correspond au scénario proposé par Puigdemont le 10 octobre, lors de son discours devant le Parlement. Il avait annoncé que le résultat du référendum (interdit par le pouvoir central), lui donnait le mandat pour proposer la transformation de la région en république. Une proclamation qu’il suspendait «quelques semaines», le temps d’ouvrir une phase de dialogue avec Madrid. Trois semaines se sont écoulées, le dialogue ne s’est pas produit, l’indépendance est donc proclamée.

Des milliers de partisans de l’indépendance se sont réunis à proximité du Parlement catalan, dans le parc de la Ciutadella à Barcelone, agitant la bannière estelada («étoilée», celle de l’Etat désiré) et sabrant le cava, le mousseux de la région. En début de soirée, la foule affluait autour de l’arc de triomphe de brique rouge situé sur la promenade Lluis-Companys, qui honore le président de la région dans les années 30, fusillé par Franco après que le régime de Vichy l’eut extradé.

A Madrid, le vote de l’article 155 a été suivi par l’adoption d’autres dispositions : la destitution de Carles Puigdemont, effective depuis vendredi soir, de ses consellers (ministres régionaux) et du bureau du Parlement de Barcelone, qui a validé la mise à l’ordre du jour de la résolution sécessionniste. Mais les sénateurs espagnols ont aussi accepté un amendement du Parti socialiste espagnol rejetant, au nom de la liberté d’expression, la prise de contrôle des médias publics de la région, TV3, la station Catalunya Radio et l’agence de presse ACN. Mariano Rajoy avait pourtant défini cet objectif comme prioritaire, jugeant que l’exécutif catalan avait transformé son service public audiovisuel en machine de propagande indépendantiste.

Les principaux dirigeants européens (Macron, Merkel), ainsi que les Etats-Unis, ont réaffirmé leur soutien à l’Etat espagnol et leur refus de reconnaître cet éventuel nouvel Etat, le premier à exiger son indépendance dans un pays de l’Union européenne. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a souligné que l’Espagne restait «la seule interlocutrice» de l’UE. Il a cependant appelé le gouvernement espagnol à choisir «la force de l’argument plutôt que l’argument de la force», alors que beaucoup craignent que la remise au pas de la région rebelle ne s’accompagne d’une spirale d’agitation et de répression, comme les violences policières contre le référendum du 1er octobre.

Avenir flou

Pendant toute la semaine, les épisodes de la crise catalane se sont accumulés, de façon imprévisible. Et l’avenir s’annonce encore plus flou. Le Tribunal constitutionnel et les juges espagnols vont poursuivre leur offensive contre les dirigeants indépendantistes. Deux responsables d’associations séparatistes sont d’ailleurs en prison depuis la mi-octobre pour «sédition». Le chef d’inculpation de «rébellion» sera retenu dès lundi contre Carles Puigdemont et probablement aussi contre son gouvernement. Mais Mariano Rajoy ne souhaite sûrement pas, en emprisonnant des hommes et femmes politiques, fournir de nouveaux martyrs à la cause séparatiste.

De son côté, Puigdemont a appelé ses partisans à «maintenir le pays sur le terrain de la paix, du civisme et de la dignité». Quant à la partie de la société catalane opposée à la sécession, elle ne devrait pas tarder à faire entendre sa voix. En attendant des élections régionales anticipées, annoncées pour le 21 décembre, une indépendance pleine et entière de la Catalogne n’a que d’infimes chances de devenir une réalité.

François-Xavier Gomez

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