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Jours tranquilles à Paris
16 novembre 2017

Entretien - Charlotte Gainsbourg : « Je ne me suis jamais sentie maître de la langue »

charlotte

Par Stéphane Davet - Le Monde

La chanteuse et comédienne sort un nouvel album, « Rest », qui fait la part belle aux musiques électroniques et, contrairement à ces précédents opus, aux textes en français.

Après six années loin de la musique, Charlotte Gainsbourg redevient chanteuse avec Rest, autant album de deuil que d’affirmation de soi. Pour la première fois, auteure de toutes ses chansons – avec la complicité musicale du producteur électro Sebastian –, la fille de Serge et Jane, bouleversée par la mort de sa demi-sœur, la photographe Kate Barry (1967-2013), ose se démasquer en français, après des années de camouflage anglophone.

Votre métier d’actrice vous laisse-t-il le temps de penser à votre carrière de chanteuse ?

Mes projets musicaux se conçoivent en termes de collaborations. Ils naissent, prennent des pauses, évoluent… J’avais rencontré Air [le duo qui a coréalisé l’album 5:55, en 2006] à un concert. Mon producteur, Nigel Godrich, m’avait ensuite présenté Beck [le chanteur américain producteur de l’album IRM, en 2009]. Cela peut prendre beaucoup de temps, mais la musique ne me quitte jamais vraiment.

A la fin de ma dernière tournée, en 2012, j’avais commencé à travailler avec l’auteur-compositeur-interprète néo-zélandais Connan Mockasin. Nous sommes partis nous isoler une semaine en Bretagne. Cela n’a pas été extrêmement productif, mais sont restées quelques mélodies – dont deux figurent sur le nouvel album. J’avais de toute façon depuis longtemps envie de collaborer avec quelqu’un des musiques électroniques.

Pourquoi ?

J’en écoute souvent. J’aime le côté hypnotique de ces boucles. Elles possèdent aussi une énergie à laquelle je voulais confronter ma fragilité vocale.

L’un des Daft Punk, Guy-Manuel de Homem-Christo, vous a composé un titre. Avez-vous espéré travailler avec le duo ?

Tout le monde rêve. J’ai régulièrement frappé à leur porte. Et un jour Guy-Man m’a ouvert pour me proposer une boucle. J’ai tout de suite eu envie de tenter un texte par-dessus. Le premier était trop bavard. Guy-Man m’a conseillé d’élaguer, pour coller à son minimalisme. On l’a ensuite enregistré rapidement.

C’est finalement un autre musicien électronique français, Sebastian, qui a pris en main « Rest ». Qu’est-ce qui vous plaît chez lui ?

A la fois la brutalité de certains de ses sons et le côté grandiose, cinématographique de ses compositions.

Le cinéma a-t-il une influence directe sur votre répertoire musical ?

Professionnellement, ces deux mondes ne se mélangent pas, mais je suis d’abord formée par le cinéma. L’essentiel de mes références musicales sont d’ailleurs cinématographiques.

La première fois que j’ai rencontré Sebastian, je lui ai donné une liste d’inspirations possibles. Il ne s’agissait quasiment que de musiques de film : celles des Dents de la mer, de Psychose, de La Mort aux trousses, de Carrie, de The Shining, du Clan des Siciliens… Des ambiances souvent lourdes, dramatiques. Et aussi les bandes originales du compositeur Giorgio Moroder, en lien plus direct avec les musiques électroniques. Sebastian est reparti avec cette liste et ses premières maquettes correspondaient exactement à ce que j’attendais.

Vous saviez dès le départ que vous écririez cette fois en français ?

Beck m’y avait beaucoup encouragé. Il me conseillait, pour me libérer, « d’écrire la pire chanson possible » ! Connan Mockasin avait lui aussi beaucoup insisté. C’est avec lui que j’ai vu que ça pouvait peut-être fonctionner. Sebastian était également persuadé que je devais chanter en français.

Je n’avais aucune confiance en moi, trop intimidée par l’héritage paternel. D’autres personnes m’ont heureusement épaulée, comme ma mère ou Etienne Daho. Par contre, je n’osais pas les montrer à Yvan [Attal, son compagnon]. Nous sommes trop honnêtes l’un avec l’autre. Je savais que s’il n’aimait pas mes textes, cela aurait été horrible !

Comment avez-vous réussi à vous libérer de la comparaison avec votre père ?

En n’essayant pas de jongler avec les mots comme lui savait le faire. Je ne me suis jamais sentie poète ou maître de la langue. La seule manière pour moi de m’exprimer était d’être la plus sincère possible. Mon père jouait avec les mots, mais se cachait souvent derrière. Je n’ai pas cherché à me camoufler.

La mort de votre sœur, Kate, est le sujet de plusieurs chansons. Ce drame a-t-il été un moment-clé pour votre écriture ?

Cela a tout changé. Ce moment était tellement plus fort que tout ce sur quoi j’avais écrit jusque-là. Plus rien d’autre ne comptait. Je ne pouvais plus écrire qu’à propos d’elle, qu’à propos de ma peine. C’est arrivé tellement brutalement…

C’est la raison pour laquelle ma famille et moi avons déménagé à New York. Cet éloignement a réintroduit un peu de douceur. C’est à New York que la collaboration avec Sebastian a le plus avancé. Si mes textes étaient crus, ses musiques permettaient d’exprimer ma douleur avec une distance plus cinématographique et de jouer des contrastes. Comme dans Les Oxalis, où, sur un rythme assez enjoué, je décris la promenade que je fais régulièrement au cimetière de Montparnasse où reposent Kate, mon père et mon beau-père.

Pourquoi écrire le plus souvent les couplets en français et les refrains en anglais ?

Dans Lying With You, par exemple, je décris le traumatisme qu’a été ce dernier moment avec mon père, avant sa mise en bière. En français, je ne cache rien de cet instant terrible. Mais ce morceau est aussi une déclaration d’amour absolu. C’était plus facile pour moi de la faire en anglais. Bizarrement, l’anglais me permet d’être plus sentimentale, plus poétique. Un refrain doit sonner, être plus musical. On doit y être plus joueur, faire plus de compromis. J’ai plus de distance avec l’anglais, car je le maîtrise moins bien.

Il n’est pas votre autre langue maternelle ?

Je ne le parle pas aussi naturellement. Quand je suis née, ma mère, qui venait de s’installer en France, faisait l’effort de ne parler que français. Même si nous allions souvent en Angleterre, je comprenais l’anglais mieux que je ne le parlais. Cette distance m’a d’ailleurs servi quand j’ai commencé à chanter sur des textes de Jarvis Cocker ou de Beck. Cela me permettait de ne pas me poser la question, « est-ce que je fais comme mon père, ou comme ma mère ? », puisque elle-même n’a quasiment chanté qu’en français.

Avez-vous l’impression, avec « Rest », de vous rapprocher des interprétations de Jane Birkin ?

Je ne chante pas aussi joliment qu’elle, mais nous avons des registres comparables. A l’époque de mon premier album, Charlotte for Ever [1986, quand elle avait 15 ans], mon père m’avait fait chanter le mot « mélodie » dans une des chansons. Je me rappelle prendre du plaisir à prononcer ces trois syllabes en pensant à ma mère chantant Melody Nelson. Son répertoire a toujours été très présent.

J’ai longtemps eu un faible pour les chansons écrites par mon père quand ils étaient encore ensemble – Rocking Chair, Apocalypstick, Melody Nelson… Peut-être parce que je voulais retrouver le souvenir d’une famille unie. Pourtant, ce sont les chansons d’après la rupture qui sont les plus belles. Je les ai redécouvertes quand ma mère a commencé à les interpréter en concert, à l’âge de 40 ans. J’étais bouleversée par sa force sur scène.

Comment va-t-elle ?

Elle a traversé des moments très difficiles, mais elle revit aujourd’hui en tournée, accompagnée d’un orchestre symphonique. Je l’ai d’ailleurs suivie et filmée à l’occasion d’un concert à Tokyo. Je ne sais pas encore ce que cela va donner, mais c’était un moment émouvant de partir à la rencontre de ma mère.

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