Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
18 novembre 2017

L’Arabie saoudite prise au piège de sa diplomatie boomerang

Par Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant - Le Monde

Riyad espérait que la démission de Saad Hariri remodèlerait en sa faveur l’échiquier politique libanais. Las, après le Yémen et le Qatar, c’est un nouvel échec.

Alors que l’arrivée de Saad Hariri à Paris clôt la première phase de la crise libanaise, le bilan pour la diplomatie saoudienne, à l’origine de cet accès de tension régionale, n’est pas franchement flatteur.

Que les dirigeants de Riyad aient contraint M. Hariri à démissionner avant de le retenir contre son gré dans le royaume, comme de nombreux témoignages et indices le suggèrent, ou bien qu’ils l’aient simplement persuadé de se retirer du pouvoir pour créer un électrochoc, comme leurs partisans le soutiennent, revient à peu près au même. « Le résultat est catastrophique, lâche Ali Mourad, professeur de droit public à l’Université arabe de Beyrouth. Les Saoudiens n’ont pas du tout anticipé la réaction de la société libanaise. »

La couronne saoudienne, emmenée par le prince héritier Mohamed Ben Salman, escomptait que le renoncement surprise du premier ministre sunnite libanais, annoncé depuis Riyad le 4 novembre, incite une partie de la classe politique locale à se dresser contre le Hezbollah, le mouvement chiite pro-Téhéran. C’était l’objectif implicite du réquisitoire prononcé par M. Hariri sur l’écran de la chaîne saoudienne Al-Arabiya, dans lequel il promettait de « couper les mains » de l’Iran.

Le royaume saoudien, engagé dans une course à la suprématie régionale contre le régime iranien, espérait que cette décision spectaculaire remodèle l’équation politique libanaise dans un sens plus favorable à ses intérêts. Or, ce qui se passe sur le terrain depuis deux semaines va dans la direction contraire.

« Amateurisme et impulsivité »

La grande majorité des Libanais a été scandalisée par la manœuvre saoudienne, perçue comme un diktat doublé d’un rapt. Du jour au lendemain, Saad Hariri, un homme politique sans charisme, est devenu le héros de la rue. Hormis quelques faucons pro-Riyad, la communauté sunnite, dont l’Arabie saoudite a sous-estimé le patriotisme, a préféré se solidariser avec son leader humilié plutôt que de tourner sa colère vers Haret Hreik, le quartier général du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth.

« Les Saoudiens s’attendaient à ce que la démission de M. Hariri soit rapidement avalisée [pour passer] à la phase deux de leur offensive, la négociation d’un nouveau consensus gouvernemental, analyse Ali Mourad. Mais la résistance de la population et l’attitude du président Michel Aoun, qui a refusé d’accepter la démission du premier ministre, ont fait qu’ils sont restés bloqués à la phase une. »

Conséquence paradoxale : au lieu de braquer l’attention des observateurs sur le Hezbollah, ce parti-milice qui forme un Etat dans l’Etat et relaie les intérêts iraniens dans la région sans aucun égard pour ses partenaires de gouvernement, le coup de force saoudien a mis en lumière l’ingérence flagrante de Riyad dans les affaires libanaises. « D’un côté, on a la montée en puissance iranienne, professionnelle et cynique, et de l’autre, on a les gesticulations saoudiennes, pleines d’amateurisme et d’impulsivité », résume Karim Emile Bitar, professeur de relations internationales à l’université Saint-Joseph de Beyrouth.

Au Yémen, une guerre ingagnable

Ce n’est pas la première fois que Mohamed Ben Salman, dit « MBS », se prend les pieds dans ses initiatives diplomatiques. Depuis janvier 2015, date de son irruption sur la scène politique saoudienne et début de sa marche vers le trône, le fils du roi Salman, âgé de 32 ans, a déclenché au moins deux autres crises, dans lesquelles le royaume est désormais enlisé.

Il a d’abord envoyé l’aviation saoudienne, en mars 2015, à l’assaut des rebelles houthistes du Yémen, considérés à Riyad comme le cheval de Troie de l’Iran. Aveuglé par sa supériorité militaire, le royaume, à l’image de l’Egypte de Nasser dans les années 1960, s’est jeté dans une guerre ingagnable.

Outre qu’ils sapent son image, déjà peu reluisante, sur la scène internationale, les carnages à répétition de civils produits par ses bombardements ont rendu son discours anti-houthiste inaudible pour une grande partie des Yéménites. MBS s’est piégé lui-même dans un conflit asymétrique où il suffit à ses adversaires de résister au blitz saoudien et de tirer quelques missiles par-dessus la frontière pour tenir en échec la puissante Arabie.

La crise qatarie est un autre cas de diplomatie brouillonne et boomerang. En décrétant, en juin 2017, un embargo diplomatico-économique contre le petit émirat, accusé de conspirer pêle-mêle avec l’Iran, l’organisation Etat islamique (EI), les chiites saoudiens et le Hamas, le prince héritier espérait mettre son voisin rapidement à genoux. C’était sans compter le vaste réseau d’alliés et de clients dont Doha s’est doté ces vingt dernières années dans les milieux diplomatiques, militaires, culturels et sportifs occidentaux.

Obsession iranienne

Un réseau, dont MBS, estimant probablement suffisant d’avoir gagné Donald Trump à ses vues, a sous-estimé l’efficacité. Le rôle joué par James Mattis, le chef du Pentagone, et Rex Tillerson, le secrétaire d’Etat américain, est à cet égard instructif.

Familiers de la dynastie qatarie, qu’ils ont côtoyée à l’époque où ils dirigeaient respectivement respectivement le CentCom – le quartier général de l’armée américaine au Proche-Orient, implanté à Doha – et le géant pétrolier ExxonMobil, les deux hommes ont très vite remis la barre au centre après deux tweets anti-Qatar du président américain. Dans l’affaire Hariri, M. Tillerson a là aussi modéré les ardeurs saoudiennes, en rupture avec M. Trump, resté quasiment silencieux.

Alors que sur la scène intérieure, MBS avance ses pions sans coup férir, abattant l’un après l’autre les pôles de pouvoir susceptibles d’enrayer son ascension, en politique étrangère, peut-être à cause de son obsession iranienne, il pêche par précipitation et excès de confiance, donnant l’impression de mal lire les rapports de force.

Riyad mise désormais sur la réunion de la Ligue arabe, dimanche 19 novembre au Caire, pour reprendre la main. Le pouvoir saoudien veut profiter de cette plateforme pour dénoncer une nouvelle fois l’ingérence de l’Iran dans les affaires des pays arabes du Proche-Orient. Le langage qui sera employé dans le communiqué final et le nombre de pays qui choisiront de l’endosser donneront une idée des intentions de MBS et du soutien dont ce prince particulièrement aventureux dispose dans la région.

Publicité
Commentaires
Publicité