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Jours tranquilles à Paris
19 novembre 2017

Azzedine Alaïa, un couturier à l’écart des systèmes de mode

 


Par Carine Bizet - Le Monde

Le couturier, qui avait donné formes et vie à une vision universelle du corps féminin, est mort samedi à Paris, à l’âge 77 ans.

C’est un maître de couture admiré, craint mais surtout respecté de tous qui est mort samedi 18 novembre, à Paris, à l’âge de 77 ans. « Il y a dans la mode des sortes de “fil à plomb” et Azzedine Alaïa est l’un d’entre eux, au même titre que Madame Grès ou Cristobal Balenciaga », expliquait en 2016 au Monde Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera qui lui avait consacré une rétrospective en 2013.

Pourtant, personne n’a jamais été plus vigoureusement à l’écart des systèmes de mode, allergique aux honneurs et à la pompe mielleuse que ce « petit » homme aux éternels pyjamas chinois. Azzedine Alaïa a défendu du début à la fin son indépendance, dans son travail, comme dans sa vie.

Un esprit artisanal

Né le 26 février 1940 à Tunis, il est élevé par sa grand-mère très libre et au caractère bien trempé (elle fera une fugue à 80 ans !) et est fasciné par le travail de sa sœur Hafida, qui travaille chez une couturière et auprès de laquelle il apprend les bases de son futur métier. Il s’inscrit aux Beaux-Arts (en mentant sur son âge), décroche son diplôme et travaille pour une couturière locale. Il part rapidement pour Paris, au début des années 1950, et fait mine de s’intégrer au système des grandes maisons de couture. « J’ai passé cinq jours chez Christian Dior [d’où il a été renvoyé faute de papiers] et deux ans chez Guy Laroche, à l’atelier tailleur car je voulais apprendre à coudre, racontait-il dans un entretien accordé au Monde en 2016. Mais ce sont les femmes qui m’ont tout appris. »

Dès lors, le jeune homme tenace va se consacrer à elles, et ce pour toujours. Il commence par se constituer une clientèle privée, d’abord depuis la chambre de bonne que lui prête la comtesse de Blégiers en échange de petits travaux ; puis dans un atelier appartement de la rue de Bellechasse dans le 7e arrondissement de Paris. Là, il accueille Greta Garbo, Arletty, Louise de Villemorin, mais aussi de simples inconnues fascinées par son travail. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’Azzedine Alaïa crée une marque ou plutôt une maison, car l’esprit artisanal et familial est au cœur de son œuvre.

Il a constitué son écosystème rue de Moussy à Paris (4e), dans une ancienne usine de montres et de matelas qui abrite ses ateliers, son appartement, une galerie d’art (où les expositions sont toujours gratuites) et un hôtel de trois chambres qui ne reçoit que des proches choisis par le maître. « Autour de la cuisine, Azzedine a modélisé un monde où famille, mais aussi journalistes, se retrouvent. Il est tout dans la société, le patron, le père et la mère, raconte Olivier Saillard. Azzedine, il faut le mériter, y compris en amitié. Mais quand il vous a adopté, il est d’une grande fidélité. »

Un style anatomique

La top model Naomi Campbell est l’un des meilleurs exemples de cette philosophie familiale. « Adoptée » à l’âge de 15 ans alors qu’elle est une jeune mannequin inconnue en quête d’un lieu où dormir, elle a toujours sa chambre chez le maître qu’elle appelle « papa ». « Maintenant, quand je viens, on regarde la télévision ensemble, racontait-elle au quotidien anglais The Independent. Il aime beaucoup la Tunisie et il est très attaché à ses racines. (…) Maintenant que je suis un peu plus vieille, il vient aussi chez moi. Mais le plus important, c’est que nous rions ensemble, on rit et on se dispute, mais surtout on rit. » Cette famille composite qui compte aussi six chats et trois chiens constitue sa bulle et son bonheur.

A l’abri, il construit son style : sculptural, féminin, anatomique, sophistiqué, les adjectifs ne manquent pas. Il est parfaitement en phase avec la femme conquérante des années 1980 et devient une vraie star. Mais ce n’est pas la tendance qui intéresse Azzedine, l’un des rares avec John Galliano qui sache vraiment coudre. Sa passion, son obsession, c’est la perfection de la coupe, l’exactitude d’un tombé, la rareté d’une texture de maille. Inlassablement, il refuse toutes les propositions pour prendre la tête d’une grande maison de couture.

La chair heureuse

Il a son œuvre à poursuivre et crée au passage certaines des images les plus iconiques de la mode : Jesse Norman venue chanter au bicentenaire de la Révolution française en 1989, il a habillé Grace Jones, son ancien mannequin cabine devenue star et muse, a élaboré une collection avec Tati sortie en 1990. Les clichés de Jean-Paul Goude où il joue de sa petite taille aux côtés de mannequins sculpturaux comme Farida Khelfa montrent le côté joyeux du style Alaïa, sa relation profonde avec les femmes qu’il aime magnifier. « Même si elle est idéalisée, la mode d’Azzedine n’est jamais fantasmée, elle s’adresse à des corps vivants, très différents », affirme Olivier Saillard.

Il y a de la chair heureuse dans cette mode, trop pour les années 1990 et leurs élans grunge. Des journalistes annoncent la chute du maître qui n’en a absolument rien à faire. Tant pis si on le dit difficile et capricieux. Azzedine n’a jamais cherché à se cacher derrière une image de gentil : il aime les gens de caractère, comme lui, et cultive ses inimitiés avec autant de soin que ses amitiés. La brouille avec Anna Wintour, grande prêtresse du Vogue américain, est une des légendes préférées du milieu de la mode depuis au moins vingt ans. Azzedine Alaïa a osé dire tout haut ce qu’il pensait des goûts de la dame et a été banni du magazine. « Curieusement, les Etats-Unis sont un de mes plus gros marchés », glissait-il, soulignant l’air de rien l’inutilité de ce boycottage.

La densité des textures

Alaïa, c’est aussi cela : l’art de la repartie doublé d’un sourire solaire qui réchauffe ceux qui l’entourent et le reçoivent. Et le couturier poursuit son chemin, autonome, libre, même si dans les années 2000, il doit bien trouver des partenaires financiers : ce sera d’abord le groupe Prada (2000-2007) puis le groupe Richemont qui lui permet de développer sa marque, mais toujours selon ses règles. En 2015, une exposition à la Galeria Borghese de Rome a été un test ultime : face aux œuvres du Caravage ou du Bernin, celles d’Azzedine Alaïa tiennent le choc. La puissance et la justesse des lignes, la densité des textures (cuir perforé, maille granitée, crocodile brut) donnent formes et vie à une vision universelle du corps féminin.

Malgré un calendrier de la mode toujours plus serré, Azzedine Alaïa a continué de présenter ses collections à son rythme. « Elle sort quand elle est prête », tranchait-il à chaque interrogation. Sa dernière incursion en marge des défilés de haute couture, en juillet, avait été un triomphe après six ans loin des podiums. Après ce show ouvert par la sublime Naomi Campbell, la standing ovation n’a pu le faire sortir des coulisses. Il a toujours préféré laisser son œuvre parler pour lui, parler aux femmes. Elles n’oublieront jamais la générosité, certes intransigeante, de maître Azzedine.

Dates

26 février 1940 Naissance à Tunis

Début années 1950 Départ pour Paris et travail pour Dior et Guy Laroche

1980 Création de sa maison de couture

18 novembre 2017 Mort à Paris

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