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Jours tranquilles à Paris
22 novembre 2017

La lettre politique de Laurent Joffrin : Emmanuel Bonaparte

Joue-la comme le Premier consul. Décidément, parmi toutes les références historiques qu’on cherche à imputer au président de la République – De Gaulle, Giscard, Jeanne d’Arc, Clemenceau ou Mendès – une figure tutélaire s’impose : celle de Bonaparte. Un caractère impérieux, aux limites de l’autoritarisme, une énergie juvénile, un goût du management expéditif, un activisme législatif et réformateur d’homme pressé : les premiers mois du parcours macronien rappellent irrésistiblement, mutatis mutandis, ceux du jeune consul qui s’est emparé du pouvoir après le 18 Brumaire. Cela se voit jusque dans les détails anecdotiques. Comme Bonaparte, Macron dort peu, travaille sans cesse, s’exprime d’une voix flûtée et coupante, décide de tout et notamment de la désignation du chef de son pa rti, Christophe Castaner, ratifiée à la hussarde par l’assemblée des grognards et des marie-louise d’En marche (autre référence : Bonaparte et son armée gagnaient les batailles en marchant…). Il pousse même la ressemblance jusqu’à vivre avec une épouse plus âgée que lui, comme le jeune général, avant de partir en Italie, avait épousé Joséphine, de plusieurs années son aînée, à la grande surprise de ses contemporains et même de l’intéressée.

Sur le fond, surtout, les points communs se multiplient. Bonaparte gouvernait au centre («ni talon rouge, ni bonnet rouge», c’est-à-dire ni jacobin ni aristocrate), imposait ses arbitrages au forceps («il faut imposer au peuple, disait-il, le gouvernement qu’il souhaite»), mettant en œuvre une politique du juste milieu appuyée sur le long travail préparatoire effectué par des commis de haute volée sous le Directoire (Roederer, Talleyrand, Cambacérès…). Emmanuel Macron cherche lui aussi le point d’équilibre entre étatisme et libéralisme, en s’appuyant sur les multiples travaux technocratiques mûris au sein de l’administration ou dans les commissions auxquelles il a participé du temps de Sarkozy et Hollande, notamment sous la houlette de Jacques Attali. Comme Bonaparte, il les fait mettre en œuvre par des techniciens confirmés (Blanquer, Pénicaud, Buzyn, etc.). On peut même arguer que son action internationale, ell e aussi intense et spectaculaire, accompagnée d’une communication efficace, est la transposition pacifique de la gloire européenne acquise par le Premier consul sur les champs de bataille. Le Consulat fut une ère de réforme autoritaire mais souvent avisée, dont beaucoup de réalisations ont survécu plus de deux siècles, jusqu’à aujourd’hui. On voit mal Macron rééditer cet exploit historique. Parlera-t-on des «cars Macron» dans deux siècles ?

Mais qui peut nier qu’il y a là un parfum de bonapartisme ? On lira à cet égard le bon petit livre de Jean-Dominique Merchet, longtemps journaliste à Libération et spécialiste reconnu des questions militaires, Macron Bonaparte (Stock). Le Consulat menait à l’Empire. Fort heureusement, la Constitution interdit qu’il en soit ainsi dans les années qui viennent. Mais l’installation d’un pouvoir, sans partage ou presque, autour du jeune président pourrait y faire penser. Les républicains doivent donc exercer une vigilance constante, quand bien même, ou surtout si, l’entreprise était couronnée de succès. Dans son fameux dictionnaire, Pierre Larousse, républicain de forte conviction, avait résumé de manière lapidaire la césure entre le général de la Révolution et l’Empereur despotique qui régna dix ans sur la France, en rédigeant ainsi l’article «Bonaparte» : «Général français, né à Ajaccio en 1769, mort le 18 B rumaire 1799 au château de Saint-Cloud.» Prudence, donc…

Laurent Joffrin - Libération

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