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Jours tranquilles à Paris
28 novembre 2017

Eloge de la paresse au bureau

Par Nicolas Santolaria - Le Monde

La procrastination n’est plus à prendre comme le synonyme de flemme mais comme celui de repos productif.

De nos jours, la procrastination est vue comme un handicap, presque une tare sociale dont on s’avoue victime en baissant honteusement la tête, tel un lépreux improductif. Comme le laisse entendre Tim Urban, auteur du blog « Wait but why », le procrastinateur abriterait dans son cerveau un « singe de gratification instantanée » piratant sans cesse son système de prises de décisions rationnelles.

Au quotidien, sous l’influence de ce macaque inconséquent, c’est avec une culpabilité latente que l’on se livre aux virées sans fin sur Instagram, à la lecture interminable de pages Wikipédia, aux recherches « ulysséennes » de destinations week-ends sur Airbnb. Autant d’activités menées de front durant les heures de travail dans une ambiance de semi-clandestinité dommageable pour les nerfs.

Culpabilité

Lorsqu’on remet consciencieusement à demain ce que l’on pourrait faire aujourd’hui, on a toujours ce sentiment désagréable d’être un adolescent contraint de camoufler aux yeux de parents puritains une coupable activité masturbatoire. N’est-il pas curieux de se sentir ainsi en faute alors que l’on est simplement en train de mettre son esprit au repos ? Rappelons que certains vont jusqu’à rapprocher le mot « travail » du latin tripalium, nom d’un instrument de torture…

A la lumière crue de cette exhumation étymologique parfois contestée, il est donc grand temps de réviser nos a priori : non, la procrastination ne doit plus être envisagée comme l’expression d’une inadaptation sociale, mais plutôt comme un signe enviable de bonne santé mentale. D’après une étude menée par la revue Computers in Human Behavior, le fait de regarder des vidéos de chats permettrait notamment de dissiper les émotions négatives et de provoquer un regain d’énergie chez le travailleur.

Distraction = concentration

Si elle ne devient pas un moyen de fuir nos responsabilités mais uniquement de les différer, la procrastination est sans doute la meilleure réponse qui soit à l’accélération du temps productif. « Distraction is the new concentration », professe même le poète américain ­Kenneth Goldsmith, qui propose, dans le cadre de l’université de Pennsylvanie, des cours de cyber-glandouille intitulés « Wasting Time on the Internet ».

Flâner sur le Web serait, pour Goldsmith, le moyen d’élargir son horizon créatif, de s’ouvrir à des sphères inexplorées de son propre inconscient et de cultiver sa capacité à tisser des liens inattendus, ce qui pourrait constituer une bonne définition de ce qu’est l’intelligence.

En ce qui me concerne, j’ai transformé ma tendance à la procrastination en véritable méthode de travail. Tel Lance Armstrong pratiquant l’autotransfusion sanguine, mon « moi présent » a ainsi pour habitude de déléguer à mon « moi futur » les tâches qui lui incombent, en vue de susciter in fine un état de transe productif pareil au coup de pédale qui permet de partir sans effort à l’assaut de l’Alpe-d’Huez. Est-ce que ça marche vraiment ? Permettez-moi de ne pas conclure dans la précipitation et de terminer auparavant le visionnage de ce passionnant documentaire : L’Histoire cachée de la Grande Muraille de Chine.

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