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Jours tranquilles à Paris
9 décembre 2017

Entretien : « En rendant hommage à Johnny Hallyday, Emmanuel Macron montre qu’il a entendu l’émotion publique »

Par Patrick Garcia, Historien, professeur à l’université de Cergy-Pontoise / Institut d’histoire du temps présent

Dans une tribune au « Monde », l’historien Patrick Garcia estime que le président franchit un nouveau pas dans l’élargissement du périmètre des cérémonies nationales, un rituel républicain qui ne cesse de se réinventer.

Emmanuel Macron va rendre successivement hommage à deux personnalités aussi différentes que l’académicien, écrivain, éditorialiste Jean d’Ormesson et le chanteur emblématique de la génération « yéyé » devenu, au fil des années une figure tutélaire de la chanson française, Johnny Hallyday.

Même si la première cérémonie participe de la catégorie éprouvée des hommages nationaux et la seconde d’une catégorie qui vient juste d’être créée – l’hommage populaire –, leur proximité, alors même que la différence de profil entre ces individus est très grande, en dit long tant sur les sensibilités contemporaines que sur la façon dont l’actuel président de la République conçoit sa fonction.

Rappelons qu’en vertu de la Constitution de la Ve République, ce n’est plus le Parlement qui décide des hommages nationaux mais le président – et lui seul. Cette caractéristique est commune à tous ces événements – hommage national aux Invalides, obsèques nationales, transfert au Panthéon, deuil national.

Hormis l’hommage populaire, tous appartiennent depuis longtemps à la panoplie des rituels républicains. Toutefois, force est de constater qu’il y a une profonde évolution tant dans l’identité des individus honorés que dans la fréquence des cérémonies.

La tradition, l’hommage aux militaires tombés au combat

Identité des personnes d’abord. C’est aux morts pour la France et donc aux militaires tombés au combat que sont traditionnellement dévolus les hommages qui se déroulent le plus souvent dans la cour des Invalides – édifice qui fait office de panthéon militaire.

Cette caractéristique s’est cependant atténuée avec les hommages rendus à de grands résistants parfois devenus hommes politiques, comme Jacques Chaban-Delmas, puis à des hommes politiques nés trop tard pour avoir pu l’être, comme Philippe Séguin ou Michel Rocard. Dans le même temps, le rituel s’est ouvert aux policiers et aux pompiers morts en service sans que les cérémonies aient forcément lieu aux Invalides.

Mais la principale évolution est bien sûr, à la suite de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, l’extension de ce cérémonial aux victimes civiles. En créant pour Johnny Hallyday la catégorie d’hommage populaire, Emmanuel Macron franchit un nouveau pas et montre la grande plasticité d’un rituel républicain qui ne cesse de se réinventer.

LA PRINCIPALE ÉVOLUTION EST BIEN SÛR, À LA SUITE DE L’ATTENTAT CONTRE LA RÉDACTION DE « CHARLIE HEBDO », L’EXTENSION DE CE CÉRÉMONIAL AUX VICTIMES CIVILES

L’hommage national se rapproche alors de cet autre rituel que sont les obsèques nationales, qui n’ont jamais été l’apanage des militaires et qui peuvent presque être considérées comme des panthéonisations inabouties : Paul Valéry, Léon Blum, Joséphine Baker, l’abbé Pierre… L’évolution des rituels de manifestation de la reconnaissance de la nation ne concerne pas seulement ceux qui sont honorés mais aussi le rythme avec lequel l’Etat a recours à ceux-ci.

En effet, la Ve République, depuis les années 1990 pour le Panthéon et depuis les années 2000 pour les hommages nationaux, multiplie cérémonies et commémorations plus qu’aucune autre avant elle. Ainsi Emmanuel Macron, sans parler des cérémonies commémoratives, a déjà présidé quatre hommages nationaux (Fred Moore, ancien compagnon de la Libération, Simone Veil, Jean d’Ormesson et Johnny Hallyday).

Réaffirmation d’une identité française

Pourquoi une telle inflation ? La multiplication des cérémonies se situe à la confluence de deux mouvements. L’un provient de l’Etat lui-même et prend sa source dans les années Mitterrand. Il s’agit alors, après les mandats de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing, de redéployer le rituel républicain tout en faisant progresser l’intégration européenne ; de produire une liturgie adaptée aux sensibilités contemporaines qui réaffirme symboliquement la République et incidemment la personne du chef de l’Etat.

Ainsi la réaffirmation et l’essor du rituel républicain sont liés à la montée de la thématique identitaire qui se développe depuis les années 1980 en lien avec les défis de la globalisation/mondialisation, aux interrogations sur ce que nous sommes aujourd’hui, au devenir et au sens de la France. Cela est vrai aussi pour les cérémonies systématiques en l’honneur des militaires tombés dans des opérations extérieures que beaucoup de Français ignorent.

CES CÉRÉMONIES CONTREBALANCENT LES GESTES DE RECONNAISSANCE CONCERNANT LES ÉPISODES « SOMBRES » DU PASSÉ NATIONAL

Ces cérémonies de réaffirmation de la France, dont les registres sont très différents – de l’exemplarité à l’affectif –, contrebalancent les gestes de reconnaissance concernant les épisodes « sombres » du passé national qui se sont imposés aux autorités françaises depuis les années 1990. C’est ainsi que la création de la cérémonie commémorative de la Rafle du Vél’ d’Hiv en 1993 suivie, en 1995, par la reconnaissance de la responsabilité de la France dans les agissements de Vichy, sont des étapes essentielles de l’essor de ces gestes étatiques.

Les choix du président Macron participent de cette réorganisation symbolique et mémorielle qui conjugue reconnaissance – ainsi de l’existence d’un fascisme français avant 1940 lors de son discours au Vél’ d’Hiv du 17 juillet 2017 –, et réaffirmation d’une identité française – « Jean d’Ormesson c’est l’esprit français » – qui peut se décliner dans un registre affectif – « On a tous en nous quelque chose de Johnny Hallyday ». N’a-t-on pas l’un pour dire l’autre ?

L’empathie devient un devoir régalien

L’autre mouvement est l’importance prise par l’émotion, dont la gestion empathique devient un devoir régalien. Certes il ne s’agit pas d’une nouveauté absolue. Depuis Georges Pompidou au moins, les chefs d’Etat font part de leur tristesse et de la reconnaissance du pays quand décède une figure populaire – par exemple un artiste.

Mais, avant Nicolas Sarkozy qui assiste à la messe célébrée pour Henri Salvador, ils ne sont guère présents lors de la cérémonie funéraire. Ainsi, lors des obsèques nationales de Joséphine Baker, et bien que celle-ci soit une héroïne de la Résistance, ni Valéry Giscard d’Estaing ni aucune figure majeure du gouvernement n’est présent en l’église de la Madeleine.

En décidant de l’hommage à Johnny Hallyday et en y prenant la parole – ce qui sera une première pour un président de la République –, Emmanuel Macron montre qu’il a entendu l’émotion publique, qu’il lui permet de se manifester dans l’un des lieux les plus prestigieux de Paris et qu’il lui confère par sa présence la plus grande signification. Il témoigne, comme il l’a fait en répondant positivement aux demandes de porter Simone Veil au Panthéon, qu’il est un président à l’écoute des Français et en particulier de la France « populaire », participant pleinement de leurs peines.

Ainsi en rendant hommage à Jean d’Ormesson, expression d’une certaine France un brin surannée mais réputée spirituelle et en composant la formule d’hommage populaire pour Johnny Hallyday, célébré lui aussi comme un visage de la France, personnages qui sont en même temps tous les deux des figures de l’ordre et de la légitimité, Emmanuel Macron entend faire fructifier son capital symbolique.

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