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Jours tranquilles à Paris
30 décembre 2017

Avec Macron, la com coule à flot pendant les fêtes

communi

Delahousse et Macron en «interview-balade» à l’Elysée, le 17 décembre. Photo AFP

Conversation avec Hanouna en direct sur C8 pour son anniversaire, interview complaisante avec «Konbini» à Niamey, réaction sur le contrôle accru des chômeurs depuis ses vacances au ski… Alors qu’il avait théorisé, avant et après son élection, une parole rare et digne, le chef de l’Etat a multiplié les interventions anecdotiques ces derniers jours.

 Avec Macron, la com coule à flot pendant les fêtes

Parler peu, parler juste, parler d’en haut : posée avant même l’élection d’Emmanuel Macron, cette triple règle devait régir la communication présidentielle. Et la distinguer des bavardages hollandais, odieux à l’ex-ministre et à ses proches. Parler peu, pour ne pas devenir banal ; parler des choses importantes, pour ne pas être trivial ; parler dignement, pour maintenir l’éclat de la fonction. Sept mois après le début du quinquennat, la presse commençait à prendre la mesure de cet engagement, les coulisses du pouvoir se révélant moins accueillantes à ses chroniqueurs - donc moins transparentes pour le public. Mais à la veille des premiers vœux du nouveau président, quelque chose aurait-il changé ?

Le 17 décembre, Macron donnait à France 2, et à Laurent Delahousse, un entretien déambulatoire dans les salons de l’Elysée. Le 20, on l’entendait répondre en direct à un appel de Cyril Hanouna, l’animateur de Touche pas à mon poste sur C8. Le 24, on cliquait sur l’interview vidéo offerte au site d’info-divertissement Konbini. Le 27, sortait un long entretien accordé au quotidien espagnol El Mundo, qui a fait du Français son «homme de l’année». Le même jour, surpris par LCI dans les rues de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), le vacancier Macron défend face caméra un renforcement du contrôle des chômeurs. Ce samedi, il signera, sous l’œil des caméras, trois lois récemment votées, et notamment la loi de finance 2018. Le 31, enfin, il sacrifiera à la traditionnelle allocution de fin d’année, selon un format dont son équipe garde encore le secret. Un programme aussi chargé que la table du réveillon ; un savant dosage de «vieux» et de «nouveaux» médias : d’abord partisan d’une rareté cultivée, le chef de l’Etat semble converti à l’opportunisme médiatique.

Papotage courtois

Et ce refus revendiqué de l’anecdote, que devient-il ? La promenade du 17, avec l’aimable Delahousse, mêlait aux sujets régaliens un papotage courtois sur le sommeil du Président et le mobilier du palais. Pour Konbini, Macron n’a pas flanché face à d’aussi décisives questions que : «Votre bonne résolution pour 2018 ?» ou «Le moment le plus fort de votre année ?» Quant au coup de fil de Cyril Hanouna, l’objet en est tout simplement l’anniversaire présidentiel : «Ma Marilyn à moi, c’est Brigitte», confie, via haut-parleurs, le quasi-quadragénaire, sous les rires et les applaudissements d’un public entraîné par les chauffeurs de salle. De ces péripéties, la verticalité présidentielle sort boiteuse : imagine-t-on le général de Gaulle… ?

Ces écarts à la stratégie initiale ne bouleversent heureusement ni le confort ni les intérêts du chef de l’Etat. «La jeunesse vous suit et vous écoute», a conclu Macron à l’attention de Hanouna, donnant la clé d’une opération planifiée, selon le Canard enchaîné, par le conseiller présidentiel Ismaël Emelien. Trois jours plus tôt, l’interview à France 2 s’inscrivait dans un format coproduit par la chaîne et l’Elysée - d’ailleurs chamboulé au dernier moment pour en faire passer la durée de dix à quarante minutes. Il faut croire que le maître des lieux n’y voyait pas grand risque… Quant à la séquence LCI, rien n’obligeait le Président à répondre aux questions sur le contrôle des chômeurs. Sauf l’imperdable occasion de rappeler qu’il tient, lui, ses promesses. Un trait devenu, selon les sondeurs, son principal actif auprès de l’opinion. Pourquoi se priver ?

Rien de cela n’implique pour autant que Macron ait changé de sentiments vis-à-vis des journalistes. Paradoxe : l’ex-«candidat des médias», ou réputé tel, a régulièrement critiqué le narcissisme et la mesquinerie de ces derniers. Intervenir dans des émissions de divertissement, ou privilégier les réseaux sociaux, reste une manière de court-circuiter les circuits traditionnels. Mais les tares de l’ancien monde médiatique ne semblent plus être un obstacle à son utilisation raisonnée par l’Elysée.

«On a tous commis une erreur en parlant de rareté, juge Alexis Lévrier, historien des médias (1). Même chez Jacques Pilhan, ce conseiller de Mitterrand et Chirac qui avait théorisé la chose, il s’agit moins d’être rare que d’imposer soi-même le tempo : la parole peut être réduite ou abondante selon le moment, l’important est que ce soit vous qui en décidiez. Ces derniers temps, chez Macron, la parole n’est spontanée et horizontale qu’en apparence. Ses interventions, parfaitement maîtrisées par l’Elysée, reflètent en réalité une vassalisation des médias. Le Président devrait d’ailleurs se méfier : ce genre de mises en scène le rapproche de Valéry Giscard d’Estaing. Ce sont des images qui peuvent jaunir vite.»

Déférence

Pour l’heure, ce changement de style ne nuit pas à un Macron en plein rebond sondagier. Il entraîne en revanche certains remous parmi les médias eux-mêmes. Sur les derniers entretiens présidentiels, deux, celui de France 2 et celui de Konbini, ont été très critiqués pour leur déférence envers le chef de l’Etat. D’autant que le premier impliquait le service public, objet de sévères critiques de la part de l’exécutif, et que le second a été réalisé par une ancienne communicante socialiste. Comme l’a révélé Arrêt sur images, celle-ci cumule désormais les postes de rédactrice en chef et de directrice de la communication. De quoi relativiser l’écart entre «vieux médias» conformistes et «nouvelle garde» impertinente…

C’est plus discrètement, enfin, qu’est parue, cette semaine, une autre curiosité : ce portrait du Premier ministre, Edouard Philippe, dans l’Obs confié à… Gilles Boyer, ami et conseiller politique de celui-ci. Idée «périlleuse», admet l’hebdo. Il est vrai que l’auteur s’y livre - comment résister ? - à un long panégyrique de son employeur. «Le pouvoir cherche à imposer un rapport de forces aux médias, et il faut dire qu’il y parvient admirablement pour le moment, conclut Alexis Lévrier. C’est à la presse elle-même de ne pas accepter ce rapport de domination.» Source : LIBERATION

(1)   Auteur de le Contact et la Distance, éd. Les Petits Matins, 192 pp., 16 €.

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