Colette : « C’est bien de s’arrêter quand tout va bien »
Par Elvire von Bardeleben - Le Monde
Le concept-store de la rue Saint-Honoré, à Paris, épicentre de la branchitude, ferme définitivement ses portes le 20 décembre.
« En ce moment, des gens viennent en pèlerinage, parfois de loin, comme ce Mexicain qui m’a alpaguée l’autre matin… » Ce n’est pas le pape qui parle, mais Sarah Andelman, qui a fondé Colette avec sa mère, Colette Roussaux, en 1997. C’est un fait, la fermeture du concept-store parisien, programmée pour le 20 décembre, est non seulement un petit séisme dans la géopolitique de la mode et du luxe parisiens, mais aussi un crève-cœur pour ses dévots – et ils sont nombreux.
« ON A EU DES OFFRES DE REPRISES AU DÉBUT, PUIS CELA S’EST SU QU’ON NE VOULAIT PAS VENDRE. » SARAH ANDELMAN, COFONDATRICE DE COLETTE
Il faut dire que personne ne s’y attendait. En mars, la mère et la fille ont célébré en grande pompe les 20 ans de la boutique qui mélange fringues et culture, maquillage et restauration. Après avoir accordé un nombre incalculable d’interviews alors que ni l’une ni l’autre n’ont jamais été très loquaces, elles ont organisé une grande fête aux Arts Déco de Paris. « Ça ne se savait pas, mais c’était notre événement de fermeture. On voulait garder l’annonce pour le plus tard possible », raconte Sarah Andelman.
Mais pourquoi diable fermer maintenant, alors que le business est florissant ? « 20 ans, c’est un bel âge. Maman [69 ans] souhaite se retirer et je ne veux pas continuer sans elle. Et puis c’est bien de s’arrêter quand tout va bien. »
En ce sens, le duo est fidèle à sa ligne de conduite : elles ont toujours affirmé que la boutique ne pouvait pas exister sans elles et ne pouvait être dupliquée. Ce parti pris a beaucoup participé à la création du mythe Colette à une époque où le commerce tend à se désincarner. « On travaille d’une façon que les gens n’imaginent pas, on s’y consacre à 10 000 %, affirme Sarah Andelman. Maman décolle les étiquettes de prix, époussette les mannequins. On se renouvelle sans arrêt, on est toujours aux aguets de la nouveauté. On n’a pas envie de voir le magasin évoluer, et peut-être se dégrader. »
Vendre Colette leur aurait rapporté un paquet d’argent (leur chiffre d’affaires s’élevait ainsi à 28 millions d’euros en 2016), mais elles n’ont jamais envisagé cette option. « On a eu des offres de reprises au début, puis cela s’est su qu’on ne voulait pas vendre », explique Sarah Andelman.
Une étape touristique
Depuis plusieurs mois, à l’étage où sont habituellement disposés les vêtements, les expositions monomarques se sont succédé pour faciliter la gestion du stock avant la fermeture. Le gratin du cool y est passé : Balenciaga, Sacai, Thom Browne, l’attaché de presse Lucien Pagès, Chanel et Saint Laurent. Ce dernier reprendra les lieux et, a priori, la centaine de salariés de Colette y sera reclassée. « On a une longue histoire avec eux. Et puis il faut une marque puissante pour reprendre un espace aussi grand [800 mètres carrés] », estime Sarah Andelman.
L’arrivée de Saint Laurent risque surtout de parachever l’embourgeoisement de la rue Saint-Honoré. Il y a vingt ans, à l’emplacement de Balenciaga, s’élevait une station-service, Theory était une boulangerie, Chantal Thomass une pharmacie. Louis Vuitton, qui a installé son mégastore à l’angle de la rue Saint-Honoré et de la place Vendôme en octobre, et Chanel, qui ouvrira prochainement un magasin de même ampleur à l’angle avec la rue Cambon, accélèrent encore le processus enclenché par Colette.
A une différence près : Colette était un lieu de passage qui proposait certes des sapes hors de prix, mais aussi des objets peu coûteux (gadgets, livres, disques, bonbons, etc.). Et il était d’ailleurs devenu une étape touristique mentionnée dans les guides, au même titre que le chocolat chaud d’Angelina ou les bateaux-mouches.
Force de frappe et capacité fédératrice
La disparition de ce concept-store accueillant mais considéré comme le summum du branché va aussi poser un sérieux problème à toutes les marques qui collaboraient avec Colette en toutes circonstances. Une signature de livre ? Colette ! Une collab ? Colette ! Un vernissage ? Colette ! Un anniversaire ? Colette !
Car même s’il existe d’autres lieux dans la même veine dans la capitale, aucun n’a sa force de frappe ni sa capacité fédératrice. « Il y a plein d’endroits où lancer son projet à Paris, des galeries, des librairies, des magasins, des hôtels, des restaurants, tempère Sarah Andelman. Il faudra juste se creuser les méninges. »
Ou alors frapper à sa porte, puisque la businesswoman de 42 ans va devenir consultante, continuer de travailler avec les artistes et les marques, développer des collaborations et des projets spéciaux, trouver des idées, des plates-formes physiques ou digitales. Elle bénéficiera de l’aide de sa mère, « de manière non officielle ». Soit, finalement, le même labeur qu’avant. Le lieu de culte en moins.