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Jours tranquilles à Paris
9 janvier 2018

« Si elle pouvait parler, que de choses entendues aurait à nous répéter une aphone cabine »

cabine

Par Benoît Hopquin - Le Monde

Depuis ce 1er janvier de l’an de grâce et de progrès de l’ère Macron, il n’y a plus officiellement de cabines téléphoniques en France, regrette dans sa chronique Benoît Hopquin, directeur adjoint de la rédaction du « Monde ».

En préambule, pour les plus jeunes, pour les perdreaux de l’année, à tout le moins du millénaire, pour qui n’a jamais connu un fil de bigorneau qui tire-bouchonne jusqu’à vous vriller les nerfs, il n’est pas inutile de citer ces lignes tirées de Wikipédia : « Une cabine téléphonique est un édicule situé sur l’espace public (typiquement, le trottoir), muni d’un téléphone permettant d’émettre des communications. »

Pertinente définition, jusque dans son style anachronique, comme directement inspiré d’un manuel des PTT. Seul le temps employé est impropre. Un passé eût été plus judicieux pour cette notice wikipédiesque et nécrologique. Il aurait davantage été dans la tonalité de cet appareil en voie de disparition. Depuis ce 1er janvier de l’an de grâce et de progrès de l’ère Macron, il n’y a plus officiellement de cabines téléphoniques en France.

La faute justement au susnommé, porte-voix de la modernité, branché s’il en est. Voilà bien un messager résolument ancré dans son époque, connecté sur l’avenir. Il n’a jamais usé d’une standardiste pour obtenir et mener à bien sa communication. Il est sans fil, et sans filet parfois, lui reproche-t-on. Sa volonté de mettre à la page cette bonne vieille France, de la réinscrire dans l’annuaire du monde, s’exprimait déjà lorsqu’il était ministre de l’économie.

La loi Macron a mis fin en 2015 à « l’obligation de service universel de publiphonie », vieillerie jusque dans son appellation qui exigeait un maillage minimum du territoire par des téléphones publics. Le texte dégageait Orange, héritier de l’opérateur national, d’une charge coûteuse. Et entérinait l’éradication. Des cabines, faisons table rase.

Des portes nées d’un esprit malade ou sadique

Le mobile de ce massacre est connu. Le portable justement, qui a frappé d’archaïsme ces guitounes semées en masse à partir des années 1970. Son apparition, sa facilité, notre addiction ont programmé leur obsolescence. Les cabines n’étaient plus utilisées qu’une minute par jour en moyenne, contre une heure aux temps glorieux. De 300 000 à leur apogée en 1997, elles n’étaient plus que 3 000 vingt ans plus tard.

COMME CES VIEUX CHÊNES QU’ON ABAT, CES BOÎTES ONT DONC ÉTÉ ARRACHÉES UNE À UNE DU DÉCOR URBAIN ET DU PAYSAGE RURAL

Sic transit téléphonique. Finie l’époque où ces cages de verre et de métal étaient désespérément recherchées dans la rue. Quand enfin se trouvait un exemplaire en état de marche, on faisait la queue à son entrée. On râlait contre les bavards impénitents. A notre tour d’entrer dans cette tirelire qui dévorait en ogresse la monnaie, de décrocher ce combiné qui pesait comme un âne mort et défiait les règles d’hygiène, de se battre avec son câble d’acier qui nous emberlificotait, de tenter sans espoir de trouver un espace plan pour griffonner un nom. D’affronter surtout ces improbables portes, nées d’un esprit malade ou sadique, qui tenaient du casse-tête pour entrer et de la chausse-trape pour sortir. Avec cette peur permanente de rester coincé dans ce piège à cons aux formes et dimensions de cercueil.

Comme ces vieux chênes qu’on abat, ces boîtes ont donc été arrachées une à une du décor urbain et du paysage rural. Au sortir de cet hiver meurtrier, elles ne seront plus que 300 encore debout, dans les rares campagnes non encore couvertes par les antennes des opérateurs. Des maires ont bien essayé d’empêcher ce déracinement, au nom de la ruralité ou du maintien du service public. Les cabines sont ainsi devenues l’écho d’un mal-être et d’un sentiment d’abandon. Mais les numéros de bravoure de ces édiles ont été vains le plus souvent.

Petit pincement au cœur

Soyons honnêtes : la suppression progressive de ce mobilier à l’esthétique discutable nous avait largement échappé, tout occupés que nous étions à tapoter nos textos. Tiens, la cabine n’est plus là, avait-on simplement remarqué, passant devant un carré de goudron fraîchement déposé, comme une pierre tombale, à son ancien emplacement. La défunte avait été enlevée en catimini. Une exécution sans appel, dans le plus grand silence.

Mais cela n’empêche pas un petit pincement au cœur. On n’y peut rien : on a la fibre nostalgique, l’optique d’un rétroviseur. Si elle pouvait parler, que de choses entendues aurait à nous répéter une aphone cabine. Elle fut la chambre d’enregistrement des rires et des pleurs, des cris et des mots tendres, la caisse de résonance du quotidien, un réceptacle de la vie. Combien de conversations et de destins se trouvèrent suspendus, faute d’un dernier franc à glisser dans la fente ou d’unités sur sa carte ? Cela servait aussi de bonne excuse pour couper court à une ennuyeuse parlotte : « Je n’ai plus de pièces » était la forme ancienne de « Je passe sous un tunnel ».

A L’INTÉRIEUR, VOUS CUEILLAIT PARFOIS UN PARFUM CAPITEUX, SOUVENT UNE ODEUR DE TABAC, DE PISSE, DE CLOAQUE

L’habitacle était refuge des amoureux, havre des SDF, abri contre les intempéries. Elle était le panneau d’affichage des révoltes et des concerts, la dernière chance de retrouver son chat ou un emploi. Quand la bonne fortune voulait qu’on se glisse à deux êtres dans ce lieu exigu, ce rapprochement physique avait quelque chose de troublant. A l’intérieur, vous cueillait parfois un parfum capiteux, souvent une odeur de tabac, de pisse, de cloaque. Elle était régulièrement la cible des vandales, rançon de sa gloire. On sait aussi des partis politiques qui regretteront de ne plus pouvoir y tenir leur congrès.

Elle n’est plus là ! Et les tentatives pour lui redonner une seconde vie – borne Wi-Fi, kiosque à livres, etc. – semblent tenir de la bonne parole. Ne restent que des images de films cultes et des souvenirs auxquels se raccrocher. Bip-bip-bip.

Précision. Dans une récente chronique sur le RER, j’ai donné pour alexandrin « Les portes du métro sont automatiques ». Peu enclins à m’accorder une licence poétique, des lecteurs m’ont fait remarquer qu’il manquait un pied ou une roue à mon vers suburbain, sauf peut-être à être déclamé dans le métro de Marseille. L’un d’entre eux, Jacques Benoît, rappelle à propos une ancienne consigne de la SNCF, formellement impeccable jusque dans sa métrique et son hémistiche : « Le train ne peut partir que les portes fermées ». En nous excusant de la gêne occasionnée.

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