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Jours tranquilles à Paris
16 janvier 2018

Heureux comme un propriétaire de voiture électrique

Par Jean-Michel Normand - Le Monde

Il y a le silence, l’impression de glisser sur le bitume, les accélérations ludiques.... Et si les voitures « zéro émission » redonnaient le plaisir de conduire ? Témoignages enthousiastes de conducteurs devenus accros.

C’est dit, ils ne reviendront jamais en arrière. Qu’on ne compte pas sur eux pour lâcher le volant de cette voiture qui file sans faire de bruit ni cracher de fumée et vous laisse d’un calme olympien dans les encombrements. Solliciter l’avis des conducteurs de voitures électriques, c’est déclencher en retour un flot de témoignages d’affection pour un objet paré d’un charisme auquel l’automobile ne nous avait plus habitués depuis longtemps. Bien sûr, c’est le « côté militant » qui a poussé certains à franchir le pas. Ou un calcul économique qui réduit le coût d’usage à 1,50 euro d’électricité aux 100 km et les amène souvent à rouler beaucoup plus qu’ils ne l’avaient prévu. Pourtant, ce que mettent d’abord en exergue les convertis à la voiture électrique, c’est le rapport particulier, autant physique que psychique, noué avec leur véhicule.

« Conduire une voiture électrique est une expérience, assure Nicolas Carrier, 53 ans, cadre administratif dans le Val-d’Oise. On se sent un peu à part du reste du flux des automobiles vrombissantes, avec l’étrange sensation que le ballet des accélérations, coups de frein et autres manifestations d’énervement nous est totalement étranger. » La fée électricité, c’est le silence de fonctionnement et, surtout, l’absence de vibrations, d’à-coups ou de rapports à passer, puisqu’on ne s’encombre plus de boîte de vitesses.

« C’est mon tapis volant », s’attendrit le propriétaire d’une Renault Zoé. « L’électrique ou le plaisir de conduire retrouvé », renchérit l’acquéreur d’une modeste Peugeot Ion. « Je suis passé à l’électrique d’abord par conviction, mais maintenant je vanterais plutôt la conduite apaisante et les économies qui ont divisé par quatre mon budget carburant par rapport à un diesel », plaide Flavien Nivet, 34 ans, technicien dans l’Hérault, qui a quitté depuis neuf mois le côté obscur de la Force pour passer à l’électrique.

L’autonomie réduite, surtout l’hiver lorsque le chauffage sollicite les batteries ? La faible densité du réseau de bornes de recharge rapide ? Le prix d’achat très salé de ces véhicules qui, malgré leur popularité croissante, ne représentent guère qu’une vente de voiture neuve sur quatre-vingts en France, le pays européen le plus porté sur l’automobile à Watts ? Il en faudrait davantage pour doucher leur enthousiasme et bouder leur plaisir de s’installer aux commandes d’une machine « qui vous donne l’impression de glisser sur le bitume ».

Le plaisir de griller une Audi

Les constructeurs confirment que cette clientèle, composée de deux tiers d’hommes et dont les revenus sont sensiblement supérieurs à la moyenne des acheteurs de voitures neuves, n’appartient pas à la catégorie des râleurs. « Leur taux de satisfaction atteint 93 %, ce qui est exceptionnel, et ils sont 96 % à recommander leur voiture à d’autres consommateurs, ce qui l’est tout autant », souligne Thomas Chrétien, directeur de l’activité véhicule électrique pour Nissan-France. « D’ailleurs, leur distance annuelle parcourue est de 17 000 km contre 12 000 km en moyenne pour un véhicule à moteur thermique », ajoute-t-il.

Selon des études menées par Renault, qui a vendu 90 000 Zoé depuis 2012 dont 49 000 en France, on ne jauge pas une automobile électrique à l’aune des autres modèles. « Les clients évoquent d’abord l’absence de bruit puis le plaisir de conduire, cité spontanément par 57 % d’entre eux contre à peine 10 % des acquéreurs de Clio », indique Robert Bonetto, chargé des voitures électriques au sein du service produit de Renault. « Aujourd’hui, dit-il, les raisons d’achat d’une électrique tiennent surtout aux dimensions technologique et environnementale, mais le principal motif de satisfaction des utilisateurs tient aux sensations particulières ressenties au volant. »

A entendre cette population qui se présente immanquablement comme « l’heureux propriétaire » de sa voiture, cette expérience de conduite compose un étonnant cocktail de sérénité et d’excitation. Côté pile, la révélation d’un « formidable antistress dans les embouteillages, une source de zénitude ». « Je suis devenu plus cool au volant, sans savoir expliquer pourquoi », confie un retraité de Moselle. Passé sans transition d’une Mégane RS, caricature de la culture « vroum-vroum », à une Zoé, son antithèse, cet autre automobiliste dit avoir « appris la conduite zen » et assure que dorénavant, il « arrive au travail complètement détendu ».

Côté face, la vivacité qu’offre un moteur à couple constant, capable d’accélérer en un éclair et de répondre sans délai à la moindre sollicitation de la pédale d’accélérateur. Certains matins, Rebecca Lulli, Parisienne de 27 ans abonnée au réseau de voitures électriques Autolib’, se livre à son petit jeu favori. « L’autre jour, j’ai grillé une Audi au feu vert. Il fallait voir la tête du type… Aujourd’hui, par contre, impossible de gratter une Toyota Prius mais elle était elle aussi en mode électrique », s’amuse-t-elle.

Propriétaire depuis trois ans d’une Zoé, un amateur de belles mécaniques qui, par ailleurs, roule aussi en Porsche Macan, considère avoir trouvé le véhicule idéal pour se déplacer dans la capitale. « Ce qui m’étonne le plus dans cette auto, ce sont les reprises : ce n’est pas un véhicule cacochyme qui peine à s’intégrer à la circulation du périphérique. La Zoé est à l’aise aussi bien dans les embouteillages qu’à 110 km/h en cruising sur les autoroutes urbaines. » Cette notion de sportivité distinguée, qu’est parvenue à incarner la marque américaine Tesla, a incité BMW à lancer la i3s, version survitaminée de sa i3. Renault fera de même avec la Zoé.

Fini la routine !

Les constructeurs ont bien compris qu’il leur fallait exploiter et valoriser cette conduite « à l’élastique », qui peut devenir jubilatoire, et s’impose à quiconque prend place au volant d’une voiture électrique. A bord de la dernière génération de la Nissan Leaf, commercialisée dans les prochaines semaines, tout est fait pour que l’on conduise sans mettre le pied sur la pédale de frein. Un mode permet d’obtenir un maximum de récupération d’énergie au freinage. Lever brusquement le pied de l’accélérateur engendre une forte décélération alors qu’un dosage plus progressif offre de gérer en douceur la conduite dans le trafic, le recours au frein classique étant réservé à des situations imprévues. Un feu passant inopinément au rouge, par exemple.

Cette particularité incite à adopter spontanément une conduite assez progressive, fondée sur l’anticipation. Une façon, finalement, de se réinvestir dans le pilotage de sa voiture après des années de routine. « Hélas, soupire Christophe Campos, rompu aux arcanes de la voiture électrique, cette attitude est mal vécue par d’autres automobilistes qui, ayant appris dans les auto-écoles françaises, croient que la façon normale d’arriver à un stop ou un feu est de freiner fort au dernier moment. » Autre piège dont il faut se garder : les piétons, convaincus que l’absence de bruit de moteur suppose que la voie est libre.

La dimension volontiers ludique associée à la voiture électrique – l’attrait, sans doute, de la nouveauté – se retrouve dans la gestion de l’autonomie. Passé l’angoisse initiale de la panne qui étreint le néophyte, les tenants de l’électromobilité mettent un point d’honneur à soigner leur performance énergétique, davantage pour se lancer un petit défi que par obligation. « J’ai beaucoup progressé en éco-conduite », se vante le propriétaire de la Peugeot Ion, pas peu fier d’avoir « réalisé cet été un trajet de 180 km avec une seule charge alors que la norme officielle, plutôt optimiste, table sur 150 km ».

Le genre de performance à livrer à ceux n’ayant pas encore sauté le pas et qui, sur le parking de l’hypermarché où la voiture est en cours de recharge, viennent se faire une idée plus concrète de l’automobile de demain. « Non, corrige un aficionado. De l’automobile d’aujourd’hui. » Au pays de la voiture électrique, on a la foi chevillée au corps.

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