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Jours tranquilles à Paris
23 janvier 2018

Davos, le forum économique le plus politique de la planète

Par Isabelle Chaperon - Le Monde

Le World Economic Forum se tient du 23 au 26 janvier. Quelque 70 chefs d’Etat et de gouvernement doivent participer à ce rendez-vous prisé des patrons du monde entier.

Passage obligé de la grande caravane internationale, calé entre les réunions des Nations unies (ONU), de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, le Forum économique mondial (World Economic Forum, WEF) de Davos, qui se tient du 23 au 26 janvier dans les Alpes suisses, cristallise autant de fascination que de répulsion. Que s’y passe-t-il ? Ce concentré annuel de dollars et de pouvoir présente une réelle utilité, assurent les habitués. Même les moins suspects de partialité.

« Il y a beaucoup de bling-bling à Davos et nous avons des désaccords avec nombre de participants, mais, pour nous, cela constitue une occasion majeure de marteler auprès de Wall Street le message que l’économie mondiale ne saurait viser uniquement à augmenter les profits des entreprises », plaide le syndicaliste gallois Philip Jennings, secrétaire général d’UNI Global Union, fédération internationale qui représente 20 millions de travailleurs du secteur des services du monde entier. Avec quel succès ? « La lutte continue, mais les choses évoluent, comme le prouvent des discours comme celui de Larry Fink, le patron de BlackRock, le premier gestionnaire mondial d’actifs, sur la nécessaire valeur sociale des entreprises », se réjouit-il.

En fait, après avoir perdu de son lustre au moment de la crise financière de 2007-2008, vue comme la faillite des élites au pouvoir, le barnum des Alpes est revenu encore plus fortement sur le devant d’une scène mondiale de plus en plus éclatée. Preuve en est la venue attendue de la chancelière allemande Angela Merkel ou celle du président américain Donald Trump, rendue toutefois incertaine par la fermeture partielle (« shutdown ») des services de l’Etat fédéral aux Etats-Unis.

« Parce que c’est l’un des rares endroits au monde où se mélangent les continents, les générations, le public, le privé, son rôle est précieux », souligne Bertrand Badré, ancien directeur général de la Banque mondiale, fondateur du fonds Blue like an Orange, qui veut promouvoir le développement durable dans les pays émergents.

Vocation humaniste

En clair, si Davos n’existait pas, il faudrait l’inventer. Et c’est exactement ce qu’a fait un professeur d’université allemand, Klaus Schwab, 79 ans, en fondant le WEF en 1971. La machine derrière Davos s’affirme désormais comme l’équivalent d’une PME de 653 salariés à la croissance exponentielle, installée à Cologny, près de Genève, entre un golf et le lac Léman.

Là, le long des baies vitrées vertigineuses offrant une vue imprenable sur le Jura, des bataillons de jeunes gens (36 ans de moyenne d’âge) œuvrent à « améliorer l’état du monde ». C’est en tout cas la promesse revendiquée par cette fondation privée à but non lucratif, reconnue comme une institution internationale par la Suisse. Un statut à part, comme celui de la Croix-Rouge ou du Comité international olympique.

Au regard des 17 500 candidatures reçues en 2017 pour 120 postes ouverts, la place est prisée. Dans ce Babel sur Léman, 80 nationalités se côtoient. On y parle anglais, espagnol ou chinois, climat, diversité ou nouvelles technologies. « Avec mes trois passeports, je me croyais à part. J’ai vite réalisé que j’étais comme tout le monde ici », avoue Nico Daswani, Franco-Anglo-Indien, chargé du secteur arts et culture.

Comme les autres salariés, cet idéaliste croit dur comme fer à la vocation humaniste du forum, que ce soit en soutenant la formation d’un orchestre de jeunes musiciennes afghanes ou en favorisant un accord mondial contre la déforestation. « Franchement, oui, nous changeons le monde. C’est notre passion », s’enthousiasme le Marocain Wadia Ait Hamza, qui anime le programme des « Global Shapers », lancé en 2011 pour associer la jeunesse aux débats sur l’avenir de la planète.

Avec l’appui du WEF, quelque 7 000 jeunes même pas trentenaires mettent ainsi en œuvre des projets locaux dans 380 villes : à Vienne, une agence de recherche d’emploi pour les réfugiés, à Mogadiscio, une application pour collecter le sang après l’attentat d’octobre 2017… « On commence par faire bouger les villes et, à force, on finit par améliorer le monde », insiste M. Ait Hamza.

Mieux que « vu à la télé », « rencontré à Davos »

On est loin de Davos. Le Forum des neiges n’est en réalité que la figure de proue du navire, mais d’une stature tellement imposante qu’elle masque le reste, à commencer par le « Davos de l’été » en Chine, une demi-douzaine de forums régionaux et autres happenings à Durban ou à New York. Car le WEF, c’est d’abord un gigantesque club de rencontres, Klaus Schwab étant convaincu que plus les gens se connaissent, plus ils collaborent, au bénéfice de tous.

Frédéric Lemoine racontait ainsi lorsqu’il était patron de Wendel comment ses discussions répétées, d’un Davos à l’autre, avec le ministre de l’économie du Rwanda l’avaient conforté dans sa volonté d’investir en Afrique. Typique aussi : deux négociateurs du traité de libre-échange entre le Canada et la Colombie mis en œuvre en 2011 ont révélé que cet accord n’aurait jamais vu le jour s’ils n’avaient pas appris à se faire confiance au sein de la communauté des « Young Global Leaders », ces moins de 40 ans prometteurs sélectionnés chaque année par le WEF.

Mieux que « vu à la TV », il y a « rencontré à Davos ». Faisant partie des 335 entrepreneurs sociaux sélectionnés par la Fondation Schwab, « j’ai été invité trois fois à Davos et, depuis, les entreprises me regardent d’un autre œil », constate Sébastien Marot, qui a créé l’ONG de protection de l’enfance Friends-International rayonnant à partir du Cambodge. « Pour être honnête, je n’ai pas noué de contacts intéressants sur place. En revanche, j’ai participé à des forums régionaux en Asie qui m’ont été très utiles. »

Dès le départ, Klaus Schwab a eu l’idée d’orchestrer une sorte de gouvernance mondiale parallèle en rassemblant autour de la table des personnes qui se méfiaient les unes des autres. Par opposition aux très bureaucratiques réunions de l’ONU ou de la Banque mondiale, dominées par le politique, le WEF est parvenu, aux dires des participants, à créer un cadre d’échanges neutre, moins formel, où gouvernements, multinationales, ONG, Interpol ou l’Organisation mondiale du commerce palabrent sur un pied d’égalité.

« Un effet d’entraînement »

En sachant toutefois que « les entreprises financent la plate-forme pour les autres », explique Julien Gattoni, le directeur financier du forum. Les 1 300 sociétés dans la boucle payent cher, très cher, pour participer. Pour se donner bonne conscience ? « Aller à Davos, c’est comme aller à confesse », ironisait un ancien fidèle de la grand-messe. Certains dirigeants passent leurs journées cloîtrés, à négocier des contrats dans leur hôtel de luxe. Mais ils restent peu nombreux.

« En deux jours et demi, je peux voir une trentaine de patrons, de chefs de gouvernement, de ministres… Cela m’a permis de faire avancer des business concrets pour Total, témoigne Patrick Pouyanné, le PDG du groupe pétrolier. Mais l’intérêt de Davos va beaucoup plus loin. Ces rencontres, ces débats participent de la formation du patron. On réfléchit ensemble sur l’utilité sociale de l’entreprise ou les enjeux de la cybersécurité. Il y a là une intelligence collective très puissante, qui fait bouger les lignes. Je suis convaincu, en particulier, que la cause climatique a beaucoup progressé à Davos – en tout cas, c’est vrai chez les pétroliers qui ont créé leur club commun là-bas. »

La France, la première, s’est d’ailleurs servie du WEF pour rallier le soutien de l’industrie et de la finance à l’accord de Paris sur le climat, conclu en décembre 2015. « Nous nous sommes appuyés sur différents véhicules pour influencer le débat. Ce qui fait la spécificité du WEF, c’est l’accès au plus haut niveau dans les entreprises. L’effet d’entraînement est très impressionnant », relate un ancien de l’équipe COP 21. « En associant le secteur privé en amont, la France a ouvert une nouvelle voie diplomatique dont s’inspirent les initiatives en cours en matière de biodiversité ou de protection des océans », ajoute Dominic Waughray, chargé de la collaboration public-privé au WEF.

Soutenir une multitude de chantiers

Le défi pour Klaus Schwab et ses équipes consiste à entretenir la flamme toute l’année, et pas seulement durant Davos, en incitant les uns et les autres à soutenir une multitude de chantiers, du recyclage des batteries à la lutte contre la corruption.

« De nombreux experts d’Engie participent aux travaux du WEF, sur l’hydrogène ou la mobilité verte. On cherche collectivement des solutions aux problèmes du monde », relate Arnaud Erbin, directeur des relations internationales chez Engie. Mais sans le pouvoir réglementaire des Etats, la légitimité de l’ONU ou la force de frappe financière de la Fondation Bill-&-Melinda-Gates, « tout cela repose uniquement sur la bonne volonté, ce qui est une source d’espoir en soi », poursuit-il.

« On trouve au WEF exactement ce qu’on y apporte, résume Thierry Déau, fondateur du fonds d’infrastructures Meridiam. Il y a là-bas beaucoup d’énergie positive. Nous avons monté un club de PDG pour promouvoir des projets qui ont un impact fort en faveur du développement durable, de la Jordanie à l’Afrique du Sud. » Davos est souvent le point d’orgue pour évaluer toutes ces initiatives. Et en lancer de nouvelles.

Déjà, à Cologny, les plans pour construire un troisième bâtiment sont prêts. En mars 2017, un centre de recherche consacré à la quatrième révolution industrielle a vu le jour à San Francisco en Californie. D’autres annexes sont en projet. Le WEF se diversifie pour prouver qu’il existe en dehors de Davos.

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