Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
27 janvier 2018

« Bouquet of Tulips » de Jeff Koons : le monde des arts entre en résistance

Dimanche 21 janvier, un collectif de personnalités de la culture signait sur le site de « Libération » une tribune sans équivoque contre l'installation de « Bouquet of Tulips », la sculpture monumentale « offerte » par Jeff Koons à la Ville de Paris qui doit être bientôt implantée sur la place du Palais de Tokyo à Paris.

« Nous, artistes, responsables politiques, professionnels et amateurs de la scène artistique française, demandons l’abandon de cette initiative. En effet, ce projet est choquant, pour des motifs d’ordre et d’importance divers, dont l’accumulation doit conduire avec sagesse à y renoncer ». Ainsi s’ouvre la tribune parue ce dimanche sur le site www.liberation.fr et dans l’édition papier d’hier, lundi 22 janvier, du journal « Libération ». Co-signé par une trentaine de personnalités du monde de l’art et de la culture, ce texte énonce de manière systématique les raisons pour lesquelles il devient urgent de dire « « Non ! » au « cadeau » de Jeff Koons ». Rappelons que le 22 novembre 2016, la Ville de Paris, en la personne de son maire, Anne Hidalgo, annonçait vouloir doter les rues de la ville d’un nouveau monument : une sculpture en bronze de 12 m de haut réalisée par la star de l’art contemporain Jeff Koons et offerte par l’artiste en témoignage de sa solidarité envers la France après les attentats du Bataclan. Symbole d’amitié et d’optimisme, pendant moderne à la flamme de la Liberté de l’Alma, l’œuvre devait être installée sur la place séparant le Palais de Tokyo du musée d’Art moderne de la Ville dans le courant de l’année 2017… Plus d’un an plus tard, faute de voir se dresser le fameux bouquet de ballons aux couleurs électriques, on avait presque oublié cet encombrant cadeau…

À l’aube de cette année 2018, la tribune de Libération rappelle que l’œuvre est actuellement « en cours de réalisation dans une usine allemande » et devrait être prochainement mise en place ! Face à l’imminence de son installation, une résistance artistico-patrimoniale s’organise, qui entend bien démontrer l’inconséquence d’un tel projet. S’articulant autour de six points distincts, le texte reprend notamment les deux principaux arguments soutenus depuis le début de l’affaire par les détracteurs du projet, à savoir le coût excessif de l’opération (environ 3,5 millions d’euros seraient nécessaires à la construction et à la mise en place de la sculpture) et les contraintes techniques liées à l’érection d’une sculpture de près de 35 tonnes au-dessus des espaces d’expositions du Palais de Tokyo. Le texte met également en avant l’impact architectural et patrimonial du projet sur le site parisien sélectionné, soulignant que ces 12 mètres de bronze polychrome ne manqueraient pas de transformer notre perception du bâtiment, nuisant à l’harmonie de sa colonnade et bloquant la perspective qu’elle ouvre sur les bords de Seine et la Tour Eiffel. Il souligne, parallèlement, le manque de démocratie à l’œuvre dans la conduite de ce projet qui, bien qu’il concerne un « lieu culturellement et historiquement particulièrement prestigieux » de la capitale, a été imposé à ses habitants sans qu’aucun appel à projets n’ait été lancé. Quant au choix du lieu, les signataires dénoncent son inconsistance symbolique, considérant qu’il est « sans aucun rapport avec les tragiques événements invoqués et leur localisation ». De fait, le geste de Jeff Koons serait sans doute plus signifiant si l’œuvre était érigée à proximité du Bataclan ou sur la Place de la République, des sites pour lesquels l’implantation d’une création contemporaine constituerait, de plus, un attrait touristique et culturel plus opportun.

Enfin, et c’est là sans doute son aspect le plus intéressant, le texte remet en question le choix même d’une œuvre de Jeff Koons, déplorant dans un premier temps que ce projet de transformation du site du Palais de Tokyo n’ait pas d’abord été ouvert aux artistes de la scène française. On regrette, en effet, que les vœux pieux du ministère en matière de commande publique ne soient pas ici exaucés par la Ville de Paris, qui préfère mettre en lumière un artiste dont la reconnaissance internationale n’est plus à faire. Mais le texte va plus loin en dénonçant la quasi indécence de la démarche qui consiste ici à associer à « deux institutions culturelles majeures, dévolues notamment aux artistes émergents et à la scène artistique française », l’œuvre d’un artiste « devenu l’emblème d’un art industriel, spectaculaire et spéculatif ». Allant jusqu’à affirmer que le projet « Bouquets en Tulips », aussi louables que soient ses intentions symboliques, s’apparente en réalité à « de la publicité ou du placement de produit », un certain mercantilisme que cautionnerait donc la Ville de Paris.

Ce jugement de valeur, qui met directement en cause le travail de Jeff Koons et sa pertinence artistique, est d’autant plus saisissant qu’il est porté, non pas par ces tenants du patrimoine qu’on taxe bien trop souvent d’hermétisme congénital à l’égard de l’art contemporain, mais par des personnalités qualifiées de la scène contemporaine parmi lesquelles les artistes Christian Boltanski et Jean-Luc Moulène, Pierre Oudart, directeur de l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée, l’architecte Dominique Perrault ou encore Antoine de Galbert, collectionneur et fondateur de la Maison rouge, et Alexia Fabre, conservatrice en chef du Mac/Val. Au-delà des débats autour du site de l’avenue Wilson et des méthodes mises en œuvre par la mairie de Paris, c’est donc notre approche de l’art contemporain, de ses dérives et de ses potentialités, que met en lumière cette querelle autour d’un bouquet de tulipes, dont l’auteur, rappelons-le, a été condamné en mars dernier pour contrefaçon d’une photo de Jean-François Bauret. Compte tenu de l’état d’avancement du projet, on ne sait si la vox populi, si éclairée soit-elle, aura raison des ambitions de la Ville de la Paris, mais l’on doute déjà que ces fleurs de la discorde puissent devenir le symbole universel de la fraternité. Anne-Sophie Lesage-Münch - Le Monde

 

Publicité
Commentaires
Publicité